NOW I'M DANCING WITH THE DEVIL の ARABELLA

Achats compulsifs ou bien simple plaisir de faire chauffer la carte bleue en sachant pertinemment qu'elle n'avait pas de plafond, cela tenait un peu des deux. Shae profitait d'un trou dans son emploi du temps pour afficher son dernier sac Marc Jacobs et ses Louboutins à travers tout Boston. Elle était loin l'adolescente des quartiers modestes de Londres, pourtant la blonde nouvelle version faisait face à ce qu'elle avait pu être lorsque son regard croisa celui d'Arabella, sacs de fringues aux bras, petit air à la fois faussement cool et un peu hautain qu'elle avait tant travaillé. Si ce n'est son meilleur ami, personne à Harvard ne savait sa véritable biographie. Ici, son histoire commençait le jour où elle avait revu sa mère, qu'elle avait rapidement pris sa part de la fortune de son beau-père, qu'elle s'était affublé du 'Williams' de sa mère, qu'elle avait été scolarisée dans une école privée hors de prix. Le simple fait de voir la brune en face d'elle perturba légèrement Shae, qui néanmoins continua sa route comme si de rien était. Peut-être qu'elle s'était trompée, peut-être que cette jeune femme ressemblait seulement beaucoup à son ancienne amie. Un court instant, elle s'était sentie de nouveau naïve, un peu moins blonde, décontractée, pauvre, gentille et empreintes de valeurs louables. Puis elle contourna la brune, comme si de rien était, et elle se sentit de nouveau terriblement Shae. Elle préférait ça. À moins qu'Arabella – ou son sosie – n'en décide autrement …

J'avais du mal à comprendre comment j'avais atterri ici. J'avais commencé par me balader dans les rues un peu oubliés de Boston, là où ça ne grouillait pas de monde, là où on pouvait tomber de temps à autre sur un sans-abris ou un dealer de drogue, là où on était loin de la jeunesse dorée qui ne demandait qu'à sortir sa carte bleue. Là où j'aurais peut être pu croiser Shae il y a quelques années. J'haussais un sourcil en examinant la couleur beaucoup moins terne de ses cheveux blonds, son air hautain et ses habits qui devaient coûter plus cher que les loyers réunis de la plupart des gens que je connaissais. J'esquissais un sourire en la voyant m'ignorer, le fait qu'elle ne voulait pas tomber sur moi me procura un plaisir malsain. La dernière fois qu'on s'était vu elle m'avait rejeté comme une vulgaire chaussette, et dieu sait que ses chaussettes n'étaient pas de marque à l'époque. D'ailleurs personne ne semblait le savoir, sauf moi. Je jetais ma cigarette par terre avant d'avancer vers elle, marchant à ses côtés, examinant la foule. "Tu te mélanges si bien parmi tous ses gens, Shae. Vraiment, on pourrait presque y croire." J'eu un air faussement pensif. "Non attend. Eux, n'ont pas à faire semblant." Je souris, savourant l'avantage que j'avais. Moi, je n'avais rien à cacher. Elle, elle pouvait tout perdre.

Spoiler:

Shae y avait cru à son mirage, seulement elle se prenait bel et bien quatre ans dans la gueule. Quatre années passées à mentir sur sa jeunesse, à s'inventer un père sans profession, sans famille, juste une figure qui relevait plus du fantôme que de l'être de chair. Son père s'était résumé à un prénom. Elle se taisait sur leurs origines modestes, sur la famille recomposée, sur la lâche qu'elle avait été, préférant le confort de l'argent qui n'appartenait même pas à sa mère, plutôt que l'équilibre familial que les Conroy avaient construit petit à petit. Avant Harvard, elle avait passé un an dans la sphère mondaine londonienne à se constituer un carnet d'adresse, des amis, un passé un peu plus glorieux que son lycée privé minable que son père galérait à payer. Arabella l'interpellait alors qu'elle cherchait à fuir. Shae ne pouvait pas faire semblant, elle s'arrêta donc, se tournant face à son ancienne amie avant de sourire, l'air détendu, comme si de rien était. « Je ne vois absolument pas de quoi tu parles. » lança-t-elle parfaitement sure d'elle.

La brune la fixait, avec l'air d'être absolument sure de ce qu'elle avançait. La remarque de la jeune femme sur sa manière de parler, de se comporter perturba un instant Shae, troublée d'imaginer voir ce fantôme du passé revenir, quitte à bouleverser la vie qu'elle s'était construite peu à peu à Harvard. Elle ne répondit rien, haussant les épaules avec le petit air hautain qu'elle réservait aux gens de basses conditions dans sa vie. Ça ne la touchait pas, actrice ou pas, elle devenait son personnage un peu plus chaque jour. Mais la prochaine remarque d'Arabella allait faire réagir la blonde. « Et c'est infiniment triste que tu n'aies pas changé de ton côté, on évolue ma pauvre. » lâcha-t-elle du bout des lèvres comme une insulte, donnant ainsi la parfaite impression d'être satisfaite de son changement. S'approchant de quelques pas de son ancienne amie, l'étudiante soutint le regard de la jeune femme. « Ah ouais ? J'en ai rien à faire de ce que tu penses de moi. J'ai rien à me reprocher je pense avoir fait assez pour toi, j'y peux rien si tu peux pas tourner la page. »