Allez madame, poussez ! Encore quelques efforts. Trente et un octobre mille neuf cent nonante et un. Orlando. La famille était, toute entière, occupée à frapper de portes en portes à la recherche d’un bonbon ou d’un sort quand soudain Madame Mahon fut prises de douloureuses et soudaines contractions. J’allais enfin venir au monde. Je suis née avec un mois et demi d’avance, ce qui m’obligea à rester trois semaines à l’hôpital avec pour seule compagnie les quelques visites accordées à mes parents. Quatre ans auparavant ma maman avait mis au monde une autre petite fille, Camélia, née avec une malformation au cœur. Certes, elle était hors de danger désormais mais il régnait toujours une angoisse au sein de la famille. Maintenant je venais en ajouter avec ma venue au monde prématurée. Par chance trois semaines après, je pu rejoindre toute la petite famille. Dans la maison familiale m’attendait déjà une grande sœur mais également deux grands frères : Charles, six ans déjà, il était en fait l’aîné de la famille et Walter, âgé à peine de 2 ans. Mes parents rêvaient depuis toujours d’une famille nombreuse et on peut dire qu’ils y sont bien arrivés. Une fois rentrés, mes parents reprirent le cours de leur vie. Tous deux dans l'édition, ils sont fort occupés.
Mon petit papa chéri, pourquoi maman, elle a un gros ventre? C'est simplement parce que tu vas avoir une petite sœur ou un petit frère. Mais je ne veux pas moi! Âgée de 3 ans j’étais assise dans lit de mes parents à côté de mon père. Depuis quelques jours je faisais des cauchemars et ni ma sœur, ni mes frères ne voulaient que je dorme avec eux. Du coup j’ennuyais mes parents. Je m’étais glissée près de mon père et voyant ma mère préparer sa valise pour le moment venu, je ne pus m’empêcher de poser la question. On était tellement bien tous les six, pourquoi nous rajouter une personne en plus ? Ce qui me gênait, c’était que j’allais perdre mon statut de petite dernière. J’avais peur que mes parents ne m’aime plus de la même manière. On ne comprend vraiment pas bien les choses à cet âge. Il me restait mon frère et ma sœur. Mais étant plus âgé que moi, ils avaient d’autres choses à faire que de jouer avec moi.
Maman, maman ? Tu peux me lasser mes chaussures ? FIONA! A ton âge tu devrais les lasser toute seule. Mais maman… Voyant le regard que me lançait ma mère, je m’empressai de quitter la pièce et d’aller dans ma chambre. Âgée d’une dizaine d’années, j’étais encore incapable de lasser mes chaussures toute seule. C’était ma façon à moi de me faire remarquer aux yeux de mes parents. La petite dernière avait atteint l’âge de 7 ans et l’ainé était en pleine crise d’adolescence. A vrai dire mes parents semblaient plus se préoccuper des autres que de moi. J’étais jalouse et je ne savais que faire pour qu’ils s’occupent de moi comme je le voudrais. J’aimerais faire une activité extra-scolaire mais ils n’ont jamais le temps pour me conduire. Pourquoi faire autant d’enfants si on ne peut pas les aimer de la même manière. Un sentiment de rejet commençait à m’envahir et allait perdurer…
CHARLES? CAMELIA ? WALTER ? FIONA ? ROSA ? Vos cartons sont terminés? Le camion de déménagement va arriver! Oui papa, on a bientôt terminé. On était tous les cinq occupés à boucler nos valises et nos cartons. Nos parents avaient décidés de déménager. Ils ne voulaient pas quitter la ville, ce qui m’arrangeait. J’avais déjà quelques difficultés avec ma famille et si en plus on m’enlevait mes amis, j’allais terminer en grande dépression. Avec cinq enfants la maison familiale commençait à être un peu trop petite. Mes deux frères dormaient dans la même chambre, ma soeur aînée vivait dans le grenier et je partageais ma chambre avec Rosa, la petite dernière. On commençait à tous vouloir notre indépendance et les parents n’avaient pas eu le choix que de trouver une nouvelle maison avec 6 chambres. Heureusement que nous avons une femme de ménage pour nettoyer toutes les pièces de la maison.
Maman, Papa? Est-ce que je peux commencer à prendre des cours de dessin? Mais Fiona, tu fais déjà du violon et du piano! Quand veux-tu faire du dessin en plus? J'en ai marre du piano, je veux faire du dessin! Comme tu en as eu marre de faire de la photographie, de la guitare et je passe tous les autres caprices qui te sont passés par la tête. Oui mais maman, là je suis sure de moi, je veux faire du dessin, puis comme je suis bonne élève tu ne peux rien me refuser. Fiona Eugénie Clothilde, tu exagères!! Elle avait totalement raison. Cependant elle ne pouvait rien me refuser. Je suis brillante en cours, même la plus intelligente de la famille. Puis cela allait être beaucoup plus simple pour eux deux d’accepter ma demande plutôt que de discuter. Dès que je voulais quelque chose je l’obtenais. J’en avais marre de passer après tout le monde simplement parce que je sais me débrouiller toute seule. Ma sœur est malade et la petite a quelques difficultés scolaires. Contrairement à moi, elles ont besoin d’aides. Mais tout le monde sait qu’au début de l’adolescence on a besoin de sa mère et de parler à quelqu’un. Mais dans cette famille c’est à croire que je suis invisible. Pourtant ma chevelure de feu, l’unique de la famille devrait leur rappeler que je suis là. Il est peut-être là le problème, je suis trop différente. Je suis beaucoup trop indépendante. Depuis quelques années je suis diabétique et je me soigne toute seule. Mes parents se fichent un peu de savoir si je m’en sors. Tant que ma sœur va bien, pour eux tout le monde va aussi bien, ce qui est faux…
C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Fou moi la paix ! Trois heures du matin, en pleine semaine. Cela devenait une habitude pour moi de rentrer aussi tard, voire aussi tôt à la maison. Je n’ai peut-être que dix-sept ans mais je profite un maximum de la vie. Je sors un peu trop souvent et comme cette fois, je rentre un peu trop imbibée d’alcool. Et mes parents ne disent rien. Certes ils me font des remarques et des reproches mais aucun geste ou punissions pour m’en dissuader. A chaque fois que l’on essaye de discuter, cela part dans des cris de folies. Mes frères et sœurs ne cherchent plus à discuter ils m’acceptent comme je suis et mes parents finissent par faire pareil. Alors qu’ils sont à l’origine de ce comportement. S’ils s’occuperaient de moi, je redeviendrai sans doute la petite fille parfaite que j’ai pu être dans le passé.
C’est qui la meilleure ? C’est moi ! Qui dit mercredi soir, dit soirée jeu de société. Les parents sont à leur cours de danse de salon et entre frères et sœurs on passe la soirée à jouer. Depuis de nombreuses années, nous effectuons ce petit rituel fraternel. Je dois bien avouer que mes frères et sœurs sont les seules personnes qui m’empêchent de devenir folle. On s’aime beaucoup et jamais on ne se laisserait tomber. C’est pour cette raison que personne ne prend jamais parti pour personne lorsque l’on a des conflits familiaux. C’est beaucoup mieux ainsi pour tout le monde.
Ma chérie tu vas nous manquer… Oui oui vous aussi… J’avais tellement hâte de m’en aller que j’avais préféré leur mentir. Comme s’ils allaient me manquer. Mes frères et sœurs oui, les parents sûrement pas. Depuis toujours ils faisaient comme si je n’existais pas. C’était difficile de savoir s’ils le faisaient exprès ou non. Sans doute que je pouvais tellement m’en sortir seule, qu’ils préféraient s’occuper du reste de la famille. Peut-être que le fait que je quitter la maison pour aller étudier à Harvard allait m’aider, nous aider à mieux nous entendre et communiquer. Oui, je suis admise à l’Université d’Harvard pour étudier la Géologie et l’Histoire de l’Art. Je me sens enfin chez moi sur ce campus. Certes je ne suis pas la personne la plus populaire mais je compte enfin pour des gens, ça change un peu.