Je viens de fermer mon ordinateur, un peu oppressé par ces questions. Oui je suis obligé de mentir, mais après tout, comment faire autrement ? Je n'ai pas crée ce blog afin de dévoiler ma vie, surtout lorsqu'on voit comme elle est. Je ne me voyais mal leur dire que j'étais parti sans dire un seul mot d'Australie lorsque j'ai appris ma maladie. Je n'expliquerai pas que ma vie est en danger, que mes jours sont comptés et que ma seule guérison serait de prendre des médicaments m'affaiblissant et ne me permettant de ne plus rien faire. Alors je me tais, je ne le dis pas, je ne dis rien.
Je me souviens encore lorsqu'après une violente douleur, et un malaise, j'avais été à l'hôpital. Je revois le visage fermé du médecin quand il était rentré dans ma chambre. Je pensais que j'avais un simple souffle au coeur, quelque chose d'anodin. Mais là, la sentence était tombée. Et là, je n'avais plus réfléchi. Là je n'avais pas compris. J'étais resté muet, les yeux remplis de larmes du haut de mes dix-huit ans, à peine. Que devais-je faire, quand à peine sorti de mon adolescence, l'on m'annonçait que ma vie allait se terminer bien plus tôt ? Bien sûr je n'allais pas mourir dans la minute qui suivait, mais peut-être que je n'allais pas atteindre les trente ans, voire même avant. Que faire quand une nouvelle comme celle-ci tombe ? J'aurais pu pleurer, mais les larmes ne coulaient pas, les cris dans ma gorge ne sortaient pas, et ma colère, ma déception, mon incompréhension n'étaient pas ressorties. Mais un sourire s'était affiché sur le visage de mon bourreau, car oui, il était devenu mon bourreau pour moi. Il y avait peut-être un moyen de guérison me disait-il, il suffisait de prendre un traitement, certes lourd, mais efficace. Et à côté, ce traitement très fatiguant, je devais arrêter toute activité, je devais bouger le moins possible, pour éviter de me fatiguer seul. Je devais arrêter de vivre en clair. Tous mes rêves de voyage, tous les sports que j'aimais pratiquer, je devais tout arrêter pour vivre. Seulement ça n'était plus une vie que j'aurais. J'allais survivre tout simplement, et ce pour au moins soixante ans. Que faire quand à dix-huit ans on vous propose ceci, que tout son monde s'est écroulé, que toute perspective d'avenir a disparu ? J'ai hoché la tête. Il m'a fixé des rendez-vous, il m'a donné le traitement que je devrais suivre, et j'étais ressorti du complexe hospitalier. Sans même un regard, ma main s'ouvrit au-dessus d'une poubelle afin de laisser tomber le papier du médecin. Et là, mes larmes ont coulé. Et je me suis mis à courir, sans m'arrêter, le plus vite possible. Comme si je voulais rendre mon organe malade totalement fou, comme si je voulais qu'il lâche, là, à cet instant. Puis au bout d'un moment, à bout de force, je m'étais arrêté, et j'avais pris ma décision. J'allais vivre. Certes de façon courte, mais j'allais vivre. J'allais voyager, j'allais réussir ma vie, j'allais faire de grandes études. J'aurais pu vouloir chercher l'amour, ou le sexe comme tous les jeunes de mon âge. Mais non. Ça ne m'intéressait pas, encore aujourd'hui, à vingt-cinq ans, je ne connais ni les joies de l'amour, ni du plaisir charnel. J'avais crée une barrière, je ne voulais pas m'attacher aux gens, je ne voulais pas qu'ils s'attachent. Ma vie était raccourcie, et je ne voulais pas souffrir en sentant la fin approcher. Si je ne me liais à personne, au moins, je ne souffrais pas et je ne faisais souffrir personne.
En arrivant chez moi, après cet épisode, j'avais pris un billet d'avion, un aller simple pour les Etats-Unis, j'avais rapidement rangé mes affaires, laissant les larmes couler sur mes joues. Un simple sac rempli, sans un seul regard, par peur de changer d'avis, j'étais parti. J'avais disparu de la vie de mes parents et de ma petite soeur, sans un seul mot. Mon portable était resté sur le bureau de ma chambre, comme seul souvenir de mon passage. Je n'avais plus de famille proche.
Arrivé aux Etats-Unis, j'avais retrouvé des cousins éloignés, à qui nous n'avions quasiment jamais parlé. Ma tante m'avait hébergé, et m'avait offert un bon niveau de vie sans en piper mot à mes parents, en sachant qu'ils ne se parlaient plus depuis de nombreuses années de toute manière. Et je me suis mis à bosser dur, afin d'intégrer la prestigieuse université d'Harvard. J'avais mis toute ma haine, toute l'injustice que je ressentais dans mes études. C'était la seule chose qui importait, ça, les voyages et le sport. Puis j'ai ouvert mon blog, afin de m'ouvrir un peu aux gens, sans le faire réellement. Parce que je ne voulais toujours pas m'attacher, trop enclin à de grosses souffrances. Alors mon blog est mon échappatoire, est la possibilité de m'ouvrir un peu, et de m'attacher de façon virtuelle. Mais au fur et à mesure que je m'ouvre, ma défense, mes barrières pour éviter les attaches s'effritent, et même dans la vie réelle, inconsciemment, je sens que mes barrières se baissent un peu, malgré tous mes efforts. Je veux vivre. Peut-être que ma vie sera courte, mais je veux vivre. Je vis malgré ma maladie, que je garde enfouie, cachée de tous. Seulement, je ne sais pas si je suis assez fort, pour continuer à garder tout pour moi.
Est-ce que j'ai peur de mourir ? Non. Mais j'ai peur de trop m'attacher à la vie. J'ai toujours pensé que ça ne me ferait rien de quitter ce monde, mais au fur et à mesure des années, je perds ce recul, et je m'accroche à la vie. À tort.