MADDIE ROBINSON ► halsey

Les herbes se froissent sous nos pieds. On court derrière notre liberté. On va encore s'envoyer la tête dans les étoiles au son des caissons. La musique berce nos corps. Les basses font bouger nos bras. Ce soir on est libres. Libres. On croit à des tas de choses. On croit qu'on pourrait se transformer en oiseau, en géant. On croit que nos pieds vont quitter la terre. Les corps se frôlent dans un fracas sourd. C'est la danse des corps, au milieu des arbres morts, les pieds dans la boue, les bras vers le ciel. Il fait toujours un peu moins nuit les jours de teuf, comme si la musique éclairait le ciel. Alors, on reste jusqu'au matin et on repart. Un, deux, trois, dix, vingt kilomètres et on recommence autre part.

J'ai toujours été la plus petite, la trop petite. J'ai toujours voulu être un géant, pour courir après les rêves et les nuages. Mais j'ai toujours été la plus petite, celle qu'on couvre d'une couverture le soir devant la télé. Celle qu'on tient par la main en traversant la route. On me prend toujours pour la brindille. Je crois qu'ils ont peur que je me brise, comme une poupée de porcelaine jetée sur du marbre. Que j'éclate en un sanglot. Mais leur peur était inutile. Moi je dansais sur les rythmes de guitare de Graham, je me cognais partout tout le temps. Je parlais trop fort, je chantais trop fort, je jouais trop fort aussi. Alors j'ai continué, à crier, jouer, chanter, danser. Partout.

Les néons éclairent les corps trop nombreux. Le toit nous empêche de toucher les nuages. On se sent oppressés par ces murs gris bitume. Un verre, deux verres, dix verres. La tête dans les toilettes, première cuite harvardienne. C'est le baptême. Comme une renaissance loin de Nashville. C'est la liberté pas encore apprivoisée. C'est aussi les cheveux en bataille et du noir qui coule sur les joues. Les corps ne sont que des ombres sans noms et je m'amuse à les imiter, perdue dans la foule. Demain je retourne en teuf. Ici c'est trop serré, compressé, fermé pour moi. J'ai besoin de sentir mes pieds frapper contre de la terre ou du béton brisé. Je ne veux plus de leurs jeux de lumières, de leurs musiques trop calmes. Je veux de la hardcore, de la speedcore, des gélules colorés, des bottes pleines de terre. Demain j'irai en teuf.

Demain j'irai faire les derniers papiers pour Harvard. Les photos d'identités aussi. Peut être que je n'aurai plus jamais ces cheveux bruns. Peut être que je jouerai à l'artiste sur mes cheveux. Peut être qu'ils deviendront roses, bleus, arc-en-ciel. Peut être que je ne serai plus la plus petite. Peut être que je serai la plus libre. Peut être que je me briserai les os à force de danser dans la boue. Peut être que je réussirai à gagner des sous avec ma voix et ma guitare. Peut être que je ferai tout ça, ici. Parce que j'ai l'impression qu'ici tout est possible. Parce que j'ai l'impression de plus être en vacances qu'à Harvard. Parce que c'est une nouvelle vie qui commence.