FLYNN MCRAE ► ian hecox

Dès la naissance, il avait oublié de rentrer dans les cases. Fallait dire que ce n’était pas complètement de sa faute : à peine l’avait-on présenté à la mairie pour l’enregistrer à l’état civil, à la mairie de Glasgow, il s’était attiré des regards de travers. Sûrement parce que ce n’était pas un père et une mère qui étaient venu présenter le nourrisson, mais une maman et deux papas. Une maman biologique, la mère porteuse, et deux papas ans utérus qui avaient bien dû trouver une autre solution pour l’avoir, ce fameux gosse tant attendu. La Belgique avait été leur Graal, et Michaela leur sauveuse : une amie lesbienne du couple qui avait accepté de leur prêter son ventre pendant neuf mois. Maintenant qu’il était né, Adam et Philip avaient repris leurs droits de parents et Michaela passait souvent leur rendre visite, s’octroyant sans effort le rôle de tata parfaite et déjantée dont ils avaient toujours rêvé pour leur hypothétique rejeton. Le rêve était devenu réalité, et jamais au grand jamais, la famille McRae ne devait correspondre à une case quelconque.

Cousins germains des chefs du clan McRae, Adam McRae et son compagnon Philip Sillars avaient assez rapidement été écartés de la famille, mais s’en fichaient d’autant plus qu’ils avaient maintenant la leur. Flynn grandit à Glasgow, dans un environnement positif et profondément aimant. Il avait toujours su que biologiquement, il n’était pas le fils de Philip, mais ça n’avait jamais vraiment fait de différence : on lui avait expliqué très tôt comment s’était passée sa conception et les questions que sa naissance ne manqueraient pas de soulever, et le gamin ne s’était pas posé plus de questions que ça. Papa Adam, Papa Philip, et tata Michaela, ça lui convenait parfaitement. Après tout, peu de gosses de son âge pouvaient se vanter d’avoir trois parents aux petits soins pour lui. Adam gagnait sa vie comme scénariste pour la télévision, Philip était directeur de la photographie pour le cinéma et se passionnait pour les courts-métrages ; d’une façon ou d’une autre, ils réussissaient à bien gagner leur vie et pouvaient même se permettre d’héberger chez eux Michaela qui ne pouvait pas tellement vivre de sa peinture. Flynn a toujours évolué dans une ambiance artistique, et ne s’en est jamais plaint. Dyslexique et dyscalculique, l’école n’était vraiment pas son fort et les arts furent son seul refuge pendant sa scolarité chaotique. Inscrit à des cours de dessin et d’arts plastiques dès son plus jeune âge, de sortie au musée tous les weekends, Flynn était résolument un visuel, un rêveur plus qu’un penseur. Bien classé dans les derniers de la classe, son bon caractère et sa timidité maladive inspirèrent heureusement la compassion (ou la pitié, il n’avait jamais su) de ses professeurs, et s’ils abandonnèrent rapidement tout espoir de le voir réussir, au moins peu cherchaient à l’enfoncer (sauf ce prof de mathématiques démoniaques qui a réussi à le traumatiser au lycée).

L’adolescence, clairement, ne fut pas un passage facile pour Flynn. Encombré par des hormones trop actives pour qu’il réussisse à tenir le rythme, pas assez grand comparé aux autres garçons de sa classe, en léger surpoids (par miracle il avait réussi à échapper au cauchemar de l’acné) et toujours aussi timide et gauche, le jeune homme ne figurait pas parmi les garçons les plus populaires de sa classe, loin de là. Malmené par des camarades de classe mal intentionnés, ses notes toujours en chute libre touchèrent le fond et la dépression guetta sévèrement le garçon trop embarrassé pour s’en ouvrir à ses parents. Heureusement, le mensonge et la dissimulation étaient encore moins son fort que l’écriture ou le calcul, et Adam, Philip et Michaela se rendirent vite compte du problème. S’ils n’eurent jamais la moindre idée des maltraitances dont il était victime à l’école, ils prirent tout de même la décision de le changer de lycée pour lui faire intégrer une école spécialisée en art où, ils l’espéraient, il s’intégrerait et s’épanouirait mieux. Plus de dix ans plus tard, ils ne savent toujours pas que Flynn a un jour été victime de harcèlement scolaire, mais il leur est toujours infiniment reconnaissant d’avoir pris cette décision qui a sûrement bouleversé le cours de sa vie.

De bonnet d’âne, Flynn dans cette nouvelle école au cursus particulier et axé sur les arts se retrouva propulsé en tête de classe. Très doué de ses dix doigts, plein d’idées et d’imagination, le jeune homme sortit enfin de sa coquille pour s’épanouir pleinement au milieu de ses camarades de classe plus ou moins givrés, plus ou moins originaux, mais toujours drôles et aussi passionnés que lui. S’orientant rapidement vers le cinéma, Flynn réalisa avec quelques copains de classe plusieurs courts-métrages, et pour son projet de fin d’études réalisa un moyen-métrage sur le harcèlement scolaire qui lui valut non seulement une mention, mais aussi son ticket d’entrée à Harvard. Après tout, l’Ecosse était un pays très sympathique, mais après sa scolarité sans queue ni tête et le lourd souvenir des maltraitances, Flynn n’avait qu’une envie : recommencer ailleurs en partant sur de meilleurs bases. Et quoi de mieux pour faire un pied de nez au destin que d’intégrer la meilleure université du monde pour, un jour peut-être, travailler dans le cinéma indépendant américain ?

Arrivé aux Etats-Unis à dix-huit ans tout juste, les premiers mois ne furent pas simples pour Flynn, qui sentit revenir au galop ses vieux démons, ses hantises, ses craintes, et sa timidité si handicapante. Heureusement, il put compter sur le soutien de Michaela qui, suite à une rupture amoureuse avec une sculpteuse, décida de le rejoindre pour vivre avec lui et le soutenir dans ses premiers pas de jeune adulte indépendant. Inscrit en Arts Visuels et Multimédia, il ne fallut pas longtemps à Flynn pour s’illustrer face à ses camarades, malgré sa gaucherie légendaire qui disparaissait miraculeusement dès qu’il se retrouvait derrière une caméra ou devant un carnet à croquis. Plus les mois passaient, plus Flynn gagnait en assurance : la maturité faisait son effet et plutôt que de se planquer et rougir dès qu’on lui adressait la parole, il fit des efforts pour paraître plus à l’aise, trouver des sujets de conversation, aller vers les autres, ou savoir comment réagir si on s’amusait à le provoquer. Lorsque Michaela repartit en Ecosse, Flynn avait bien évolué et n’avait plus grand-chose du garçon adolescent incertain d’alors. A la fin de sa deuxième année, Flynn était devenu un jeune homme nettement mieux dans ses pompes (même si de nombreux complexes, notamment sa taille qui n’était pas vraiment celle d’un joueur de basket, ou sa carrure un peu enrobée) et sûr du chemin qu’il empruntait. Au point même qu’il réussit à sortir avec une fille pour la première fois de sa vie, une relation assez longue qui le rendit très heureux aussi longtemps qu’elle dura. Puis il fallut bien y mettre un terme, par lassitude peut-être, à cause de mensonges, il ne savait plus trop. En tout cas, c’était la première, le premier coup de cœur, le premier baiser, les premiers rendez-vous, la première nuit, toutes les premières fois qui s’étaient gravées quelque part dans sa tête et auxquelles, même des années après, il ne pouvait évidemment pas repenser sans une pointe de nostalgie bienveillante.

Pendant son cursus, Flynn se lia d’amitié avec Makako, une japonaise venue tenter sa chance aux Etats-Unis dans le but de devenir compositrice pour le cinéma et productrice – une vraie pile d’énergie qui ne se laissait jamais abattre, et dont Flynn admirait la détermination et l’énergie. Ils se découvrirent énormément de points communs, au point de décider en quatrième année de fonder leur propre société de production, « Mad Boxes Production ». Certes, ils n’avaient jamais d’argent et devaient se débrouiller comme ils pouvaient pour financer leurs œuvres, mais ils réussissaient toujours à trouver un sponsor ou des supporters pour donner cent dollars par-ci par-là. Avec du temps et de la persévérance, leurs films finirent même par être remarqués et l’un d’eux récompensé à un festival voisin. Les commandes pour des publicités commencèrent à tomber, et depuis, Mad Boxes commence à tourner comme une vraie petite société et les revenus leur permettent d’acheter du matériel et parfois même de payer leurs collaborateurs. Un luxe dont ils ne sont pas peu fiers. En sixième année, après avoir tous deux essuyé un échec amoureux MAIS avoir aussi remporté un prix dans un festival à Toronto, les deux complices décidèrent d’emménager ensemble, et vivent depuis dans un appartement qu’ils ont véritablement transformé en studio. Copains comme cochons, ils parlent de tout, de leurs histoires, de leurs projets, de leurs problèmes, regardent beaucoup trop de films et de séries pour leur bien et font des plans sur la comète dont ils ne pourront sûrement jamais réaliser la moitié. Mais avec les derniers événements sur le campus, ils réalisent que le temps est précieux, et si Harvard n’est sûrement pas aussi sûr qu’avant, au moins ils seront deux à essayer d’en tirer le maximum avant de partir ailleurs pour de nouvelles aventures…