Il est des histoires, des vies, qu'il ne suffit pas de raconter pour comprendre. On ne peut voir les choses lorsqu'on reste en surface, lorsqu'on se contente du superficiel. Du peu. Il suffit de creuser, pour s'approcher du réel.
Ma vie a commencé par un décalage horaire, une révélation sur le fait que je finirai par manquer d'air. Une évidence dans mon défaut d'existence. Deux mois ce n'est rien, mais à la fois, c'est tout. Une soixantaine de jours qui m'a séparée de ma véritable naissance. Celle sur la planète Malcolm, grandiose à son summum. Cette journée où
ils sont venus me chercher. J’ai été adopté, là est toute la vérité. Je n'en ai aucun souvenir faute de mon âge peu élevé, alors je ne peux pas dire si j'ai été heureuse, si j'ai pleuré.
Je connais mon appartenance à un autre monde, je le sais depuis ma plus tendre enfance, ce n'est pas comme si j'avais pu l'ignorer, vue ma peau hâlée, l'exotisme dans mes traits, et ma carte d'identité qui dit pour moi, que je suis née à Bombay. C'est un fait, irréfutable, qu'on ne peut changer, on m'a donné la vie dans un ailleurs qui n'a jamais touché leurs cœurs. Ceux de mes parents, adoptifs, cela va de soi. J’avoue que cela ne m’a jamais réellement perturbée qu'ils servent mon achat comme la plus belle chose qui soit, mais c’est surement pour cette raison, l'adoption, emplie de toute cette bonté factice, que je ne me suis jamais sentie à ma place là où ils voulaient que je sois :
La fille parfaite de parents faussement aimants, un être humain qui devient un véritable investissement.Comme c'est horrible que de penser, qu'on nous oblige à résister.
Mon adoption n’est pas triste, comme je l'ai déjà précisé, je n'étais pas de ces enfants qui pleurent de n'avoir rien, qui ne connaissent que le mot chagrin. Je n'en ai juste pas eu le temps. Et bien que par pur orgueil je n'ai jamais demandé de détail, sur ce qu'ils ont fait pour que je leur sois accordée, c'est une chose que je sais, c'est partout dans mes entrailles : Mes parents m’ont achetée, comme on le fait avec un chien. On tente d'avoir la bonne race, de ne pas choisir celui qui porte une tare. C'est une chose qui a été méticuleusement calculé.
Eugénie Malcolm dans toute sa grandeur ne pouvait concevoir d'enfant. Elle, toujours à la recherche de l'indétrônable, de la perfection ... Incapable de se faire engrosser correctement, c'est presque risible, dans le fond, même lorsqu'on y pense à présent. Alors dans un caprice, elle a demandé à mon père un cadeau. C'est un joli sac à main, une petite fille, on peut même la décorer chaque jour d'une manière différente. Et malgré tout ce qu'elle a pu me faire endurer, elle est la seule mère que je n'ai jamais connu, celle que l'on dit biologique étant morte en couche d'après ce que j'en ai comprit, une fois n'est pas coutume je n'ai rien demandé, de toutes les manières ce n'est pas comme si les réponses m'auraient été accordé, et si le couple Malcolm n'avait pas été là, j'aurai fini prostituée à quatorze ans, ou quelque chose comme ça. Fouiller dans le passé ne m'aurait rien apporté. Mais la gratitude, ça ne passe pas chez moi, s'ils ont pu acheter mon corps, mon âme se trouvait bien loin de leurs idéaux censés être beaux.
Mais la solitude, dans laquelle elle est née, l'oblige à toujours acquiescer. Si elle avait eu le choix, elle aurait dit “Non”. Elle aurait envoyé valser ces cons.
Mon père a, depuis toujours ou tout du moins je le crois, c’est ce que les personnes qui nous entourent semblent aussi penser, tout contrôlé. Aimant croire et étant persuadé qu’il était simplement capable de gérer le monde entier. Comme si diriger Omnicom lui donnait cette capacité. Celle de ne laisser aucune surprise à la vie, de vouloir et pouvoir l'arracher à autrui. De savoir à la seconde près les événements qui pourraient arriver. Comme si l’argent pouvait faire cela, arrêter le temps et stopper les lois.
Il était grand, mon père, lorsqu'il parlait, je buvais ses paroles, avec hérésie je m'y noyais. J’avoue que lorsque j’étais plus jeune, je croyais plus en lui qu’en moi. Il caressait l'ambition même, du bout des doigts. Il avait cette prestance, cette contenance qu'on n'égale pas. Alors lorsqu’il disait qu’un jour je ferai comme lui, je contrôlerai, je le voulais. Je le voulais si fort que ça dégoulinait du moindre de mes pores. Omnicom, l'argent, l'univers et la maîtrise des gens. Un pouvoir que nous donne l'argent. Assurément, je me suis prise d’un amour certain pour les billets de vingt. Puisque c’était eux qui possédaient la force de nous rendre divins. Petite princesse pourrie gâtée, à laquelle on apprend à ne pas faire de rater.
A quoi sert d’espérer pour les choses futiles quand les autres sont condamnées ?
Et je m’insurge contre ma condition, celle qui m’oblige à malgré tout chercher toujours quelques satisfactions.
Et de cette affection envers le pognon, en est venue une inéluctable addiction. Un plaisir malsain et non discret de collectionner la monnaie. Je ne saurai même pas dire quand cela à commencer, puisque depuis mon plus jeune âge ont m'a apprit la luxure et à m'y vautrer. Cheval à neuf ans et bien d'autre cadeaux extravagants. Sur la une de bien de couverture avant que je ne comprenne leurs signification, à l'usure. Durant des années donc, j’ai appris de mon père et de son entreprise tous les secrets. D'Omnicom je m'en suis obsédée. Je la voulais tellement, que ça créait parfois en mon ventre un trou béant. Mon intérieur en manque de ce qui lui revenait. Mes besoins de régner décuplés. Et alors que j’ai vu tous les chemins du monde s’ouvrir face à mes phalanges déployées, j’ai fait quelque chose à laquelle je ne m’attendais pas. Développant presque malgré moi un désir certain de me créer ma propre vie, d'essayer d'être une personne à part entière, peu importe qui j'étais. Je me voulais différente de cette Annalynne dont on placardait les portraits dans un manoir glacial et trop grand. De cette fille à laquelle sa mère a apprit à ne jamais élever la voix, à voir le mensonge comme le plus beau des rois. A contenir ses émotions, à ne jamais entacher quoi que ce soit. J’ai délaissé de mon paternel peu à peu chacune de ses envies. J’entends encore ma mère me dire que je faisais n’importe quoi, que je ne réalisais pas. Elle avait peut-être raison, c’est vrai, mais elle avait oublié un détail qui fait que dans sa logique tout déraille. Depuis des années, on m’apprenait à avoir confiance en moi. Et peut-être que certains avaient bien dit que je le faisais bien trop, que personne n'était l'égal de mon égo, que mon instinct allait me conduire à la fin.
Même les androïdes rêvent, connaissent une trêve.
On m’a guidé jusqu’à l’université, on m’a dit que pour reprendre les cordes de la société Omnicom, il le fallait. Comme les plus grands gérants de publicité dans le monde entier. Que si je voulais marcher sur les pas de ceux qui étaient à l’origine de la filiale je me devais d’apprendre des meilleurs. Faire un parcourt exemplaire afin que de mon père, j’exhausse les prières. Et quand je me suis retrouvée sur un banc a à peine dix huit ans, j’ai réalisé, que de toutes leurs idioties je ne voulais plus en faire partie. Si je devais reprendre les rênes, je le ferai à ma manière, sans l’aide de qui que ce soit, parce que j’avais la volonté de ne pouvoir compter que sur moi. Et j’ai tenté d’oublier les transferts d’argents de papa. Du PDG de la marque, et du reste avec ça. Le problème numéro un de mon plan parfait est alors arrivé. Fiancée, pour me calmer, pour arranger ses problèmes concupiscents, c'était ça son idée de géant. Preuve d'à quel point mon père était ignorant, à vingt deux ans, aux yeux de toutes les personnes que je connais, et de celles dont j’ignore même l’existence, on a voulu me vendre à Alan Suttler. Je désirai du plus profond de mon cœur amoindri, vraiment je n'avais jamais désiré autant quelque chose de toute ma vie, reprendre les commandes de cet empire, créer mon monde et faire redevenir ma Terre ronde. Mon père l’a compris, et a jugé bon d’en faire part à un de ses amis, a foutu son fils dans ma vie, celui que je me devais d'épouser. Et si face à mes parents j'avais toujours été correcte, gardant mes déboires pour les fêtes, c'est à cet instant charnière que ma langue a commencé lentement à se délier.
Je traînais ma déchéance et mon hébétude dans des endroits détestables. Tout était faux, jusqu'à ma souffrance.
La fête pour mes fiançailles était une merveille, ma robe dessinée par un de ces grands couturiers. Le champagne coulait à flot, et je me souviens encore avoir dansé toute la nuit, sans jamais vouloir m’arrêter. Je ne l’ai fait qu’une fois, pour porter un toast et annoncer qu’Harvard c’était fini pour moi. Un doigt d'honneur envers mes parents et leurs amis présents, la centaine de personne, et mon fiancé tout sauf aimant. La soirée a été écourtée, et le lendemain j’avais rendez-vous avec des avocats et mon propre père me proposait un contrat. Peu importe quelles études je ferai ou je ne ferai pas, pour mon déshonneur et mon affront, mon héritage me serait enlevé si le mariage se trouvait annulé. Et pour être certain que je ne recommencerai pas, date butoir il y aura. A mes trente ans je me devrai d’épouser le fils de son associé. J’ai signé. Sauver les apparences Malcolm coûte que coûte. Garder mon héritage, mon poste promit, contre une liberté factice. Pacte avec le diable.
Elle est souriante, attirante, sensuelle et ses yeux mentent au monde. Mais ce qui la rend plus belle c'est qu'elle est libre. Libre de se construire, de penser, de s'affirmer, de hurler, de voter, de le quitter.
Et puis j’ai appris à me débrouiller seule, j’ai quitté mon nid douillet, j'ai prit un appartement dans Cambridge loin de mon palais, j'ai continué à agir comme si rien n’avait changé, alors que j’enchainais les petits boulots, amorcer une vie de dépravée, pour finalement devenir une serveuse attitrée dans un bar un peu trop fréquenté par les hommes et leurs désirs honteux. Je me suis faite oubliée - ou presque - de mes connaissances de princesse à la vie dorée, ne me présentant chez moi ou dans les soirées que par souci de satisfaire les envies de mon bourreau. Patientant tranquillement d’atteindre mes trente ans, cette fin de contrat, ce mariage royal comme on en fait pas, de trouver une solution, pour une bonne fois pour toute récupérer l’argent que me doit ce pauvre con. J’aimais mon père, de tout mon cœur, avant qu’il se croit en droit de décider le nombre de billets que je suis capable de posséder. Et plus il tente de me contrôler, plus j'ai un besoin cuisant de l'abandonner. J'anéantirai mon père, je ferai les choses, à ma manière.