❝ we are made of broken parts we are broken from the start. ❞ THE RUTHERFORDS.
Depuis mon retour de l'Australie, le temps me donne l'impression qu'il passe à la vitesse grand V. Une autre année allait bientôt s'achever, le bal étant déjà passé. Tout était en ordre à l'exception d'un truc. Ou d'une personne. Walter. Depuis le remariage de notre père et mon retour, je n'arrêtais pas de me demander pourquoi il n'avait pas été présent ? Au cours des dernières semaines, j'avais préféré éviter la question et ne pas aller perturber son petit cocon. De toute manière, nous avions de la difficulté à communiquer et la la plupart du temps, il me mettait hors de moi. Seulement, il m'était impossible de penser à autre chose. J'avais besoin d'une réponse. Alors, après un réveil difficile, j'enfilais des vêtements rapidement, m'arrêtait en chemin chercher un bagel et repris la route pour me rendre jusqu'à l'appartement de mon frère. L'instant d'après, je toquais à sa porte. Si cela ne tenait qu'à moi, je me retrouverais déjà à l'intérieur, dans son appartement. Seulement, je ne veux pas le brusquer en faisant cela. Connaissant Walter par cœur.
❝ we are made of broken parts we are broken from the start. ❞ PALMYR & WALTER.
Je m'étais réveillé un peu sur le tard. De toute façon, ce n'était pas comme si j'avais un plan de journée dément et surchargé. Ce n'était pas dans mon tempérament de me mettre la pression dès le réveil, de toute façon. J'avais toujours émergé de mon soleil lentement, mes cheveux blonds tout ébouriffés et le regard endormi. Après une bonne douche, j'avais toujours directement les idées plus claires et cette journée ne fit pas exception. Je filais assez vite sous l'eau et pris une bonne douche juste chaude comme il faut avant d'enfiler un jogging par dessus un calbut propre et un gros sweat-shirt au couleur d'Harvard en guise de haut. Je n'avais rien de prévu et m'apprêtais donc à verser un peu dans l'impro (pour ne pas changer) tandis que je sortais de la salle de bain, tout beau tout propre, lorsque quelqu'un frappa la porte. Je fronçais les sourcils, n'ayant pas vu venir ça. Je n'attendais personne. Qui pouvait venir m'embêter si tôt ? Bon il était pas aussi tôt que ça, mais quand même... Enfin, j'alla ouvrir la porte, l'air imperturbable et découvris ma petite soeur sur le pallier. Je l'observa un instant. Je ne l'avais pas invitée. A vrai dire, il était évident que nous nous éloignons pas mal l'un de l'autre, ces derniers temps. Elle me faisait l'impression de me juger dès lors qu'elle posait les yeux sur moi, ce qui ne me donnait pas envie de passer tellement de temps en sa compagnie. C'était compliqué. En attendant et pour l'heure, je ne pouvais pas la laisser sur le pas de la porte de mon appartement. Je m'écarta donc dans l'embrasure, sans grand entrain. « Rentres » lui demandais-je simplement. Lorsque ce fut chose faite, je referma la porte derrière elle. « Qu'est-ce que tu fais là ? » La questionnais-je rapidement, décidé à aller droit au but.
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Attendre qu’une personne ouvre une porte était un truc que je détestais. Littéralement. Je devenais rapidement impatiente et les possibilités de raisons s’accumulaient dans ma tête. Peut-être qu’il n’était pas là ? À cette heure du jour ? Où pourrait-il bien être ? Dans le fond d’une ruelle, une bouteille vide près de lui, probablement. Franchement, je n’en avais absolument aucune idée. J’étais perdue dans mes pensées jusqu’à ce que la porte s’ouvre et que la voix de Walter résonne dans mes oreilles. Je rentrais dans son appartement en essayant de ne pas froncer les sourcils en regardant l’état de son appartement. Puis, même s’il ne m’avait dit d’entrer, il y avait des chances que je rentre par moi-même. « Qu’est-ce tu fais là ? » Rien, je visite le voisinage. Qu’est-ce que tu crois ? Je pivote pour faire face à mon grand frère – même si techniquement tout le monde aurait des doutes – et je croise les bras sous ma poitrine. « Y a une question qui me trotte en tête depuis un moment maintenant et j’ai absolument besoin d’une réponse. » J’espère sincèrement qu’il se doute que ma question a rapport avec le remariage de notre père, de son absence à celui-ci. S’il ne l’est pas maintenant il va l’être. J’inspire profondément comme si je m’apprêtais à aller au combat. « Pourquoi t’es pas venu au mariage de papa ? » Demandais-je en arquant un sourcil. J’essaie de ne pas prendre une attitude agressive parce que je veux éviter de le contrarier. « Il comptait un peu sur toi, en fait, Walter. » Aussitôt dit, aussitôt regretté.
❝ we are made of broken parts we are broken from the start. ❞ PALMYR & WALTER.
Mon appartement était un bordel sans nom. Je n'avais jamais été le champion du rangement et lorsque je m'étais laissé allé après le décès de mon petit frère, l'état de l'appartement avait inévitablement suivi. Il y avait des affaires semées ici et là et ma table basse était recouverte de feuilles de papier tachetées de peintures séchées, témoignant de vagues tentatives pour me remettre à la peinture et à la fresque entamée sur le plus grand mur de mon salon. Je me fichais que ma soeur découvre ce tableau peu réjouissant, j'estimais qu'il n'y avait là rien qui puisse vraiment la surprendre. De ce fait, il ne me semblait pas nécessaire d'essayer vaguement de la ménager. « Y a une question qui me trotte en tête depuis un moment maintenant et j’ai absolument besoin d’une réponse. » Je fronça légèrement les sourcils alors qu'elle s'apprêtait à m'annoncer la couleur. Je pouvais plus ou moins prédire de quoi nous allions parler, mais je voulais attendre un peu quand même qu'elle largue la bombe. Je ne lui facilitais pas le boulot. Et puis, elle alla droit au but. « Pourquoi t’es pas venu au mariage de papa ? » Je ne put retenir un soupire, même si je savais que ça allait l'énerver. Et voilà qu'elle en rajoutait une couche. « Il comptait un peu sur toi, en fait, Walter.» Je me mordis la lèvre tandis que les traits de mon visage se fermaient un peu plus. « Vraiment ? » lui rétorquais-je, froidement, irrité. Je fis quelques pas vers ma table de chevet pour attraper des cigarettes et un briquet. Avec la conversation qui s'annonçait ce ne serait pas du luxe. « Moi, je crois lui avoir fais un cadeau en fait. Durant le nouveau plus beau jour de sa vie » *roulement d'yeux* « il n'avait pas son épave, sa déception ultime de fils aîné dans les pattes. Vous avez dut nettement mieux jouer la comédie de la famille parfaite sans moi » car ouais, à mon sens c'était du théâtre. Je ne croyais pas en le nouveau bonheur de mes parents, essentiellement car me concernant, le bonheur semblait tout sauf à portée de mains. Palmyr était plus avenante et gentille, mais je savais qu'elle détestait nos beaux-parents autant que moi et j'aimais pas sa façon de me tirer les bretelles. Elle me saoulait à l'instar de plus ou moins tout le monde. J'alluma ma clope et tira une grosse taffe, comme pour évacuer la frustration qui me bouffait tout entier depuis l'attentat.
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J’ai prononcé ces mots sans vraiment penser ceux-ci. J’ignore la vérité. J’ignore si notre père comptait réellement sur lui. J’ignore si l’absence de Walter à son remariage l’avait quelque peu affecté. De ce que j’ai vu ou entendu, notre père n’avait rien laissé paraître n’étant pas l’homme le plus démonstratif de la planète. Seulement, je ressens le besoin de jouer la carte du père blessé de l’absence de son aîné parce que si j’avais été à la place de Monsieur Rutherford j’aurais été blessé. Mais je ne suis pas notre père. Je syus Palmyr. La benjamine de la famille. La petite princesse de notre père. Celle avec l’intelligence. Celle qui fait la fierté des parents. Walter ne l’est pas et il le sait, malheureusement. C’est bien ça, le problème. « Vraiment ? » Je fronce des sourcils en le regardant s’allumer une cigarette. Mon nez se rebrousse. Je ne suis pas fan, mais je ne suis pas dans la capacité de dire quoique ce soit. Walt mène sa vie comme bon lui semble. Je le sais, mais cela ne me rentre aucunement en tête. Je m’entête à m’occuper de lui alors qu’il ne veut pas de mon aide. Au bout du compte, je le repousse également. Nous étions deux inconnus alors que nous étions de la même famille. J’allai répliquer un vraiment lorsqu’il reprit la parole. La famille parfaite ? Sérieusement ? « Est-ce que tu as conscience que c’est peut-être de ta faute ? Que c’est toi qui repousse tout le monde, que c’est toi qui veux qu’on te perçoive comme une épave. Bordel, regarde-toi, Walter, tu le sais et tu ne fais rien pour y changer quoique ce soit. » Ce qui est bien avec lui c’est que je ne prends jamais de gants. Les autres en prennent, moi je lui dis carrément ce que ma tête me dit de dire. Je n’ai pas de filtre en général, mais avec lui mon filtre disparaît, prenant congé. « T’es là à te foutre de tout le monde, à foutre ta vie en l’air et t’arrives à rien. T’es même pas dans la capacité de finir un seul truc, Walt. On dirait que t’es bien dans ta propre misère ! » Mes mains bougent dans tous les sens. Je m’arrête parce que me connaissant, je suis sur le bord de tomber dans la colère. Et la colère ne résout absolument rien, tout le monde sait ça. « Caleb est mort depuis deux ans, il est peut-être temps que tu commences à l’accepter. » Parce qu’il ne peut pas vivre dans le deuil de notre frère éternellement. Un jour, il va devoir avancer.