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La fin d'année approchant, Austin n'était désormais plus trouvable qu'à la bibliothèque au sein de laquelle il passait des heures à réviser car qui dit fin d'année dit également période d'examens à venir. Comme sortir major de sa promo n'était en aucun cas une option facultative dans les ambitions qu'il s'était donné, les révisions s'étaient imposées d'elles-mêmes à l'étudiant dont le comportement en classe laissait pourtant souvent sous-entendre qu'il savait déjà tout. Tout savoir ce n'était pas assez pour Austin. Il fallait tout savoir par cœur et, tant qu'à faire, le savoir mieux que tout le monde. Les nuits blanches et autres heures perdues à tourner les centaines de pages des codes juridiques ne l'effrayaient pas. Pour être le meilleur, il savait qu'il fallait s'en donner les moyens et sa volonté de fer s'avérait être une alliée redoutable dans la mise à bien de cette doctrine.
Mais qui parle de la fin du cycle scolaire évoque aussi le fantôme du traditionnel bal de fin d'année. Jusqu'alors assez peu préoccupé par cette formalité protocolaire (n'y voyaient de l'amusement facile et de la détente que les idiots contents d'aller se saouler en s'y pavanant aux bras de mégères endimanchées, selon lui), il s'était vu ramené à la réalité beaucoup plus concrète de la chose à peine quelques jours auparavant, lorsque son paternel - désagréable et incisif, pour ne pas changer - l'avait appelé pour lui rappeler qu'il était inenvisageable qu'il ne s'y présente pas. Bien que contrarié, Austin avait courbé l'échine, comme toujours. Cette année pourtant, il avait su s'y prendre plus subtilement afin de réussir à raccrocher avant de laisser à son paternel l'occasion de lui dicter en compagnie qui il devrait faire honneur à leur patronyme. Pour les Bundy, ce bal avait toujours été la façon la plus traditionnelle qui soit d'afficher assurance et bonnes manières aux yeux de la population universitaire. Population au sein de laquelle - on n'avait jamais manqué de le lui rappeler - se comptaient de futurs collaborateurs potentiels pour le cabinet familiale qu'il était amené à reprendre. La logique des choses aurait bien évidemment voulu qu'il se coltine la présence d'une Nora aussi réticente que lui à ses côtés, mais l'idée de se rendre à ce semblant de diner mondain en compagnie d'une fiancée qu'il n'aimait pas et qu'il se gardait bien de faire connaître en tant que telle le rebutait complètement.
Perdu dans ses pensées à propos de l'évènement qui approchait de jour en jour, il s'était laissé distraire de ses révisions et fixait le vide tandis que l'une de ses mains restait en suspend au dessus de la page qu'il s'apprêtait à tourner. Ce fut les bruits de pas annonciateurs de l'arrivée d'une personne dans son dos qui le sortirent de sa contemplation muette. Jetant un regard par dessus son épaule, il reconnut la silhouette d'Anya et se leva sans plus attendre pour l'accueillir. S'il s'était habitué à réviser en sa présence tout au long de l'année, il ne s'était pas attendu à ce qu'elle débarque ce jour là, probablement parce qu'il faisait beau et que bon nombre d'étudiants avaient préféré réviser dans l'herbe verte du campus plutôt que de venir s'enfermer dans l'aile juridique (et poussiéreuse) de la bibliothèque.
« Sonnez trompettes, sa majesté nous fait l'honneur de sa présence ! » Murmura-t-il dans le silence opaque des lieux tout en agrémentant sa phrase d'une révérence discrète.
Pour Austin, qui n'avait pourtant pas pour habitude de s'encombrer en indécisions inutiles, Anya restait un mystère si ce n'était à part entière, tout du moins encore très largement partiel. Tantôt encline à la conversation, tantôt résolument plongée dans ses lectures, elle transpirait la suffisance mais avait le mérite de pouvoir se le permettre, ce qui n'était pas le cas de tout le monde à ses yeux. Aussi avait-il appris à composer en fonction des humeurs de la belle, se taisant et ne cherchant pas à nourrir le dialogue lorsqu'elle se faisait plus froide qu'un glaçon ou apprenant à la connaître dans ce qu'elle voulait bien révéler d'elle lors de ses bons jours. La seule chose certaine qui avait découlé de leurs longues heures passées côte à côte, la tête penchée sur les bouquins, c'était que le caractère difficile de la jeune femme dissimulait une personnalité complexe, incisive, mais appréciable dans le sens où il y retrouvait bon nombre de valeurs qu'il estimait indispensables à l'entretien d'un semblant d'estime et / ou d'amitié. De quoi faire l'effort de ne pas se vexer quand la mauvaise humeur soviétique l'envoyait chier avec superbe, en somme, et de quoi prendre plaisir à jouer de sarcasmes et d'humour noir en la compagnie de cette autre adepte du " rire, c'est pas drôle ".
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