SUBURBAN KID
Banlieue de Kiev. C’est là-dedans que j’ai grandis, dans une résidence dépravée où on se sentait en sécurité que lorsqu’on avait verrouillé toute la baraque et fermé les volets à la nuit tombée. On peut pas dire que ce soit un coin idéal pour grandir. Très tôt j’ai compris que j’étais destiné à n’avoir aucun avenir, et que j’aurais la chance de toucher du pognon que si je trafiquais. En tout cas c’est-ce qui était arrivé à mon frère lorsque j’avais 7 ans et lui 19. Malheureusement pour lui la première fois où il s’est mis à dealer, il s’est fait choppé. Encore aujourd’hui il pourri en taule, et tant mieux j’ai envie de dire, ça m’aura évité de suivre son exemple. Mon père fondait beaucoup d’espoir en moi, il ne voulait pas que je fasse un replay de ce qui était arrivé à mon frère. Premièrement ma mère comme mon père ne se sont jamais occupés de lui. Mon père passait sa vie à bosser pour nous nourrir pensant ses enfants entre de bonnes mains avec ma mère, tandis que ma mère se faisait son énième amant ou se torchait jusqu’au soir à l’autre bout de la ville sans que son mari n‘en sache rien. Idyllique comme cadre de vie, hein ? Pas étonnant que mon frère ait terminé derrière les barreaux. Mon père se sentait coupable de ça d’ailleurs, alors que c’était à ma mère de faire son rôle, elle qui foutait rien de ses journées. C’est pour ça que lorsqu’est venu le moment pour moi d’entrer au collège, mon père m’a choisi un établissement privé. Je trouvais ça complètement con, déjà qu’on roule pas sur l’or c’était pas la peine de jeter des sceaux d’argent par les fenêtres. Mais ce n’est que plus tard que j’ai pigé qu’il faisait tout ça pour me garantir un meilleur avenir que mon frère. Au fond c’est le seul type s’étant préoccupé de moi à cette époque. Quand j’ai réalisé tout ce que mon père faisait pour moi, je me suis foutu un bon coup de pied au cul niveau scolaire pour réussir et le rendre fier.
LOST HOOKER
Aux alentours de 14 ans je commençais à avoir de bons petits résultats dans la plupart des matières et j’avais aucune raison de m’inquiéter à ce niveau-là. Non.. Je m’inquiétais plutôt d’autre chose. Les filles, l’amour et … le sexe. La puberté et les hormones qui l’accompagnait m’avait transformé, et je ne pensais qu’à une chose : coucher. Finalement, la « chose » s’est produite, mais pas du tout comme on pourrait l’imaginer. C’était un soir où j’allais révisé chez un pote avant l’exam final. Autant dire qu’on avait pas tellement la tête à réviser, je sais pas si on le voulait où si c’était hormonal, mais on s’est sauté dessus. J’ai fait ma première fois avec un mec, et je crois que c’est à partir de la que j’ai commencé à me perdre un peu. Ce qui devait être un moment inoubliable a juste été le début d’une période que je préfère oublier. Je m’en suis voulu, putain. Pour moi c’était pas normal de me taper un mec alors que moi-même j’en suis un. Je voulais pas admettre que j’ai aimé ça, j’étais un hétéro, un vrai, c’était juste un moment pour déconner. Sauf que j’avais beau me dire ça, je savais au fond de moi que j’y croyais pas une seule seconde. Le truc c’est que j’aimais les femmes de la même manière, donc je ne comprenais rien. Je pensais à ça constamment, à tel point que ça en a affecté mes résultats scolaires, en véritable chute libre à ce moment-là. Pour me rassurer j’ai tenté de me trouver une copine. Je devais pas être trop dégueulasse physiquement à cette époque car je me souviens ne pas avoir galéré trop longtemps pour mettre la main sur une meuf libre. On est resté ensemble un pauvre mois avant que je mette fin à notre « relation ». Elle commençait à vouloir coucher avec moi, sauf que bizarrement je n’en avais pas envie, du moins pas pour l’instant. Les semaines qui ont suivi cette rupture, j’ai commencé à comprendre pourquoi j’étais pas spécialement emballé à l’idée de me taper cette fille, en fait ce que je voulais c’était un mec. J’ai finalement pris conscience de ma bisexualité, et ça m’a terrifié au point de me renfermer sur moi-même pendant des mois. J’étais dans un pays pas si ouvert que ça niveau LGBT, je risquais ma vie à être bi, surtout dans le coin tendu où j’habitais. J’avais l’impression d’être coupable de quelque chose toute la journée, et entre ma mère que je vois que quand le bar est fermé et mon père qui bosse, j’avais personne à qui me confier. Du coup je vivais avec un stresse permanent, c’est sûrement ça qui ma poussé à fumer histoire de me détendre un minimum le temps d’une clope. C’est pas une vie pour un gamin de 15 ans. On peut ajouter à ça le fait que la poignée d’amis que je peux avoir sont des purs cathos anti-homosexualité, la faute au lycée privé de riches que je fréquentais. Merci Papa. Cela dit les mois passaient et la peur se dissipait. Comment ? Je me tapais des mecs et meufs au hasard rencontrées sur le net ou pas loin de chez moi qui devenaient ensuite des potes. Je m’entourais des bonnes personnes, comme qui dirait. Enfin « bonnes » selon moi. Je savais que c’était pas les gens les plus fréquentables qui soit. Avec toute cette histoire mes résultats scolaires ne chutaient même plus, ils étaient justes inexistants car je passais ma vie dehors sans aller en cours. Mon père me frappait quand il l’apprenait mais passer sa vie à rien foutre me convenait tellement que ça valait bien ces quelques bleus, au final.
SHADE TO SHINE
J’étais conscient que je devenais un petit branleur. Je fumais, je commençais à boire de plus en plus régulièrement, je foutais rien. On ajoute à ça le fait que je sois impulsif, souvent vulgaire, dur à vivre et surtout solitaire. J’étais un vrai dépravé sans avenir en fait. Moi qui était pourtant sur la bonne voie, j’ai chuté dans la vie merdique qui m’était destinée. Mais pas pour longtemps. On devait être un samedi soir, et comme chaque samedi, j’allais trouvé l’un de mes nombreux sex friends. Routine habituelle. Mais quelques semaines plus tard je découvre que cet enfoiré m’a refilé une putain d’IST. Ça m’a prit des mois de traitement pour virer cette saleté de mon corps. Une IST à 17 ans… J’étais tellement dégoûté de moi-même, et ça m’a tellement foutu un coup de fouet que j’ai décidé de radicalement changer mon mode de vie. Déjà, au placard les sex friends, je crois qu’il était temps de ramener un peu de pureté dans ma vie. Deuxièmement, fini de glander à longueur de journée à siffler des litres de bière. J’allais me remettre au boulot et vite fais. Maintenant on devient responsable, il y a un temps pour bosser, et un temps pour se dépraver (j'ai beau vouloir changer je vais pas changer de nature, hein). J’ai commencé à reprendre les cours à 18 ans. Je venais de gâcher ma dernière année de lycée, je devais donc la refaire. C’est con d’arriver si loin et de réussir à tout gâcher si proche de la fin, et tout ça pour quoi déjà ? Ah oui, une histoire d’orientation sexuelle. Je réalisais vraiment à quel point j’ai pu être con. Après avoir repris les cours dans un nouveau lycée (l‘ancien m‘ayant viré), public cette fois-ci, je me suis senti revivre quelque part. Je reprenais une vie d’ado normal. J’avais vécu tellement d’émotions à seulement 18 ans que j’avais besoin de quelque chose pour me confier et vider mon sac sur mon ressentit et mon cours vécu. C’est pourquoi je me suis lancé dans la composition. J’écris, je transmets, et pose mes textes sur des mélodies pour ensuite les chanter. C’est une de mes nouvelles « amies » qui m’a conseillé de faire ça, car j’avais beau reprendre une vie normale, j’en restais pas moins ce petit con de branleur, du coup je restais très fermé socialement parlant. Et je la bénis aujourd’hui, on se rend pas compte du pouvoir que la musique peut avoir sur quelqu’un, en tout cas moi je n’aurais jamais pensé m’apaiser autant grâce à ça. J’aurais tendance à devenir sympathique maintenant, voir même plutôt ouvert, mais je tiens quand même à garder ma carapace et rester parfois dans ma bulle. Lorsque j’ai découvert cette nouvelle passion musicale, je crois que je me suis métamorphosé. J’ai enchaîné les tatouages (tout le pognon que j’avais en banque y est passé), et me suis fait quelques piercings. Je suis réellement devenu quelqu’un que je voulais devenir. Je m’aime comme je suis, autant physiquement que mentalement, et c’est pour moi une évolution incroyable.
BELIEVE IN
Après l’obtention de mon diplôme (enfin !), j’ai eu une grande discussion avec mon père, qui regrettais de ne pas pouvoir m’offrir une bonne Université. Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’offre une place à Oxford de toute façon, bien que vu mes résultats j‘aurais pu. Je lui ai promis une chose, et je pense que c’était la moindre des choses pour me faire pardonner de mon comportement de merde de l’époque et le remercier pour ce qu’il a pu faire pour moi : Je travaillerai autant qu’il le faudra pour pouvoir intégrer Harvard, l‘école que lui-même à toujours voulu intégrer. L’été qui a suivi ma dernière année de lycée s’est rythmée par l’obtention de mon première emploi dans le centre de Kiev. Je suis vendeur dans un magasin de vêtements, ils ont été, selon leurs dires, charmés par « mon look original ». J’ai continué à y travailler jusqu’à mes 20 ans, avant que la guerre civile ne touche notre pays.
FIGHT FOR THE LIGHT
Pendant des mois l’Ukraine a souffert d’une violence inouïe de la part de son peuple, et dont moi je dois l’avouer. Lorsque le conflit a atteint la capitale, les pro-ukrainiens et les pro-russes mettaient toute la ville à feu et à sang. Je me souviens que mon père était vivement engagé dans cette guerre, ayant toujours porté une grande fierté en son pays et refusant de se plier aux mœurs russes. Lorsqu’il m’a annoncé qu’il partait se battre pour l’honneur de l’Ukraine, je me suis clairement dit qu’il se foutait de ma gueule le vieux, mais non il était sérieux. À ce moment-là je me suis clairement dit qu’il était de mon devoir d’être à ses côtés, mon devoir de fils du moins. J’ai vu et vécu la plus grande violence que l’homme peut infliger, encore aujourd’hui j’ai du mal à oublier ce moment où je me suis rendu Place de l’Indépendance. J’ai du mal à oublier ce moment où j’ai vu mon père et moi se faire tirer dessus. J’aurais aimé que mon père soit aussi chanceux que moi en recevant une balle sur la cuisse, et non en plein cœur. Il est mort sur le coup. Il était le seul membre de ma famille qui comptait réellement pour moi, c’est comme si lorsqu’il est mort, toute ma famille avait disparu en même temps. À ce moment-là j’étais tellement en colère, triste et dégouté que je ne pouvais même plus penser décemment. J’étais en pleine douleur physique (à cause de cette putain de balle dans la cuisse) et mentale. Il m’a fallut des semaines avant de retrouver un minimum de bon sens. Mais j’étais toujours rempli de haine. Envers ce pays, son peuple, et ma pauvre mère qu’a jamais su être là pour mon père. Il aura passé sa vie seul à bosser pour qu’elle aille se faire prendre par le premier clodo du coin. Elle me dégoutait. Je ne voulais plus qu’une seule chose : me barrer de ce pays. J’ai commencé à faire les comptes pour voir l’argent que j’avais amassé après plus d’un an à bosser. Ça comblait à peine les frais d’inscription pour Harvard. Mes précédents résultats scolaires me permettent d’intégrer Harvard, mais de justesse. Je n’ai droit qu’à une ridicule bourse d’étude, donc même si je voulais mettre mon cul à Harvard j’ai pas le pognon pour faire Kiev-Cambridge. C’était sans compter sur mon père. Ma mère avait reçu l’appel du notaire concernant l’héritage de mon père. Déjà je me demande de quoi il veut qu’on hérite, le seul truc de valeur qu’il pouvait nous léguer c’était sa voiture d’occasion. Du moins c’est ce que je croyais. La lettre qu’il nous a laissé à moi et ma mère stipulait qu’il me léguait l’intégralité de son compte en banque. Ma mère et lui n’ayant jamais été mariés, elle ne touchera rien. Mon père a fini par savoir ce qu’elle faisait de sa vie, donc bien fait pour sa gueule, maintenant elle va devoir bouger son cul pour aller se dépraver un peu plus. En tout cas, j’ai compris une chose : mon père venait de m’offrir mon accès à Harvard.
F*CK OFF BITCHES
Il était temps pour moi d’avoir un avenir et de couper les ponts avec la branche pourrie de ma famille. Je laissais derrière moi une femme qui m’a juste servi à naître, et un frère qui doit pas savoir que j’existe mais qui de toute façon habite pour ainsi dire en taule. Avant de partir, j’ai pris la décision de porter le nom de famille de mon père désormais : Kryvonis. Il mérite que j’emmène son nom jusqu’à Harvard, lui. Je l’emmène d’autant plus avec moi car c’est lui qui avait choisi mes prénoms. Mon père c’était un grand monsieur. Je partais la tête haute, seul, dans un pays qui m‘accueille les bras ouverts, et où je pourrais assumer librement la bisexualité que je n‘ai jamais pu avoué ici. Pas même mon daron n’a été au courant de mon attirance pour les mecs, et il ne le saura jamais. Aucun ami ne comptait pour moi ici de toute manière, ni même aucune copine ou copain. En fait depuis ma première copine j’ai jamais plus été en couple, et encore quand on voit la gueule que le couple a eu on peut dire que j’ai jamais été réellement en couple, et encore moins amoureux. Je compte sur Harvard pour me faire découvrir ça. Sinon niveau sexe tout va bien, j'ai repris le concept de sex friends. Mais attention, cette fois on se protège, et oui.
LET'S HARVARD
Septembre 2014. Coucou Harvard. C’est ici, à l’âge de tout juste 21 ans que j’allais commencé ma nouvelle vie. Je repartais clean, à zéro. Toutes les merdes que j’ai pu faire sont derrières moi, je suis ici pour être diplômé en Musique et en anglais. Plus tard je me suis fixé l’objectif de devenir auteur-compositeur, voir même peut-être interprète si l’occas’ se présente. Enfin pour l’instant je vais surtout devoir me bouger le cul pour bosser et pouvoir rester à Harvard. J’ai pris un petit boulot dans une boutique au centre-commercial du coin pour pouvoir gagner un peut de thune. Je réside à la Lowell House, ça m’évite de payer un loyer, et quitte à être à Harvard, autant y vivre. Et l'avantage que j'aurais d'être à Harvard, c'est que quand je serai le pire des dépravés, je sais qu'il y aura quelqu'un pour me secouer, pratique.