YUMI-BLUE PARKER ► Karrueche Tran

Un chinois, une jamaïcaine naturalisée américaine. Sympa le mélange, hein ?  Alors je vais vous raconter l'histoire des Song-Parker, qui avait si bien commencé.
Comme vous vous en doutez, tout part d'une histoire d'amour. Un amour pur et sincère, qui hélas fut souillé. Car même si les hommes sont capables d'aimer, ils sont aussi capables des pires horreurs. Huang Li et Jodie s'aimeront toujours. Ils se le prouvent en se faisant du mal. Il y a un peu plus de vingt-cinq ans maintenant, leurs routes se croisèrent. Deux étudiants effectuant un programme d'échange dans la réputée Université Columbia de New-York. Deux jeunes, qui avaient des vies complètement différentes mais un point en commun: tous deux étaient les fiertés de leurs familles respectives. Ils étaient de brillants étudiants travailleurs, motivés et extrêmement intelligents.  Jodie était étudiante en cinquième année de Commerce, Huang Li lui en première année de Doctorat de Mathématiques appliquées. Ils bossaient dur, mais pas pour eux, pour leurs proches. Voilà ce qui les rassemblait. Cette valeur chère aux yeux de tous : la famille.
Jodie venait des quartiers de la classe moyenne de la ville de Kingston, en Jamaïque. Si elle pouvait étudier à New-York, c'était grâce à son oncle qui l'hébergeait, depuis son adolescence à Brooklyn. Ce fut pendant cette même période que ses parents furent tous les deux condamnés à la prison à vie pour meurtres, braquages, vol et trafic de drogue. Les Parker géraient la liaison entière du trafic de marijuana entre la Jamaïque et les Etats-Unis. Même son oncle, qu'elle adorait, n'hésitait pas à cacher de la marchandise dans ses affaires. C'est pour cela qu'il était parti s'installer à New-York d'ailleurs, pour éviter la prison. Alors avec un entourage tel, des liasses de billets verts à foison sous les matelas, comment résister à l'appel de l'argent facile ? Jodie aussi, se mit à les aider. Elle effectuait quelques courses dans le quartier, fournissait les étudiants en quête de sensations fortes.
C'est comme ça qu'elle fit la rencontre de Huang-Li, ce "ptit chinois" comme elle le surnommait affectueusement. Derrière son air calme de premier de la classe, ses lunettes de vue qui lui donnaient un air horriblement trop sérieux et sexy, c'était un vrai fêtard. Mais ça, la famille de Huang, de riches traders installés à New-York depuis une décennie n'en savait rien. Huang Li lui, avait toujours connu la dolce vita. En Chine déjà, ses parents avaient fait fortune grâce à des investissements fructueux dans l'immobilier. Fils unique, il était promu à un grand avenir. Un diplomate, un homme d'affaires, voilà ce que voulaient ses parents pour lui. Sûrement pas un professeur de maths dans une fac miteuse. Mais soit, leur fils avait choisi sa voie. Alors ils lui donnèrent les moyens d'y parvenir. Seulement, ils ne savaient pas que Huang Li préférait dépenser son argent mensuel en boite de nuit avec la jeunesse dorée de Manhattan. Ils ne savaient pas non plus qu'il avait arrêté son doctorat. Jusqu'à ce qu'il fut arrêté en possession de drogues dans son loft hors de prix, au lit en compagnie de Jodie. Mais ils lui payèrent une caution, et l'obligèrent à retourner à la faculté.
Jodie et lui se sentaient comme Bonnie & Clyde, seuls contre tous. Ils géraient le trafic entier sur le campus, puis s'attaquèrent directement à la ville avec l'aide d'Oncle John. Ils se prenaient pour les rois du monde, croyaient que la vie leur appartenait. En possession de son diplôme, Jodie se mit à travailler, comme Directrice financière d'une banque cotée à la bourse de New-York. Huang Li, laissa tomber les maths pour en apparence gérer une discothèque ultra select. Sa vraie occupation était d'organiser les relations entre la Triade et les Parker, puisqu'il gérait le business avec Oncle John qui l'adopta immédiatement.
Mais voyez, les fêtes où l'alcool coule à flot, la drogue est consommée en kilos, où le sexe est roi n'est pas l'environnement idéal pour construire une vraie famille et avoir des enfants. C'était ce que Jodie voulait. Elle avait laissé tomber le trafic pour se consacrer à son travail et à sa famille. Des petits bébés, fruits de leur amour dont ils pourraient s'occuper loin du tumulte new-yorkais, dans le Vermont. C'était son rêve. Mais elle déchantait de jour en jour en voyant comment son mari avait bien changé. Depuis la première fois ou elle lui avait vendu de la drogue, il n'avait gardé que le même visage avec des traits plus virils. Non, aujourd'hui il n'était qu'un malfrat sans remords, sanguinaire, nerveux et violent. Il semblait même accro à la cocaïne. Alors lorsqu'elle découvrit sa grossesse, Jodie voulut fuir. Pour protéger ses bébés. Car oui, elle attendait des jumelles. Deux filles. Mais Huang finit par la retrouver. Il la frappa au point qu'elle ne put tenir sur ses jambes, au point qu'elle perdit du sang. Se rendant compte de son erreur, il tomba au sol, éclatant en sanglots. Mais c'était trop tard. Des deux jumelles ne restait plus que Yumi-Blue. Rien que son prénom était le fruit de leur métissage et de leur union. Elle était leur première et serait leur unique progéniture, puisque Jodie ne pourrait plus procréer. L'annonce du cancer du col de l'utérus survenu alors que Yumi avait cinq ans fit l'effet d'une bombe. Huang Li l'insulta de tous les noms, lui rappelant à quel point elle était inutile si elle ne pouvait même pas lui donner un foutu héritier. Depuis ce jour-là, ce fut le début de la fin. Ce que Jodie ne pouvait, ni ne voulait lui offrir, Huang allait le chercher ailleurs. Il avait une dizaine de maîtresses, des enfants qu'il avait reconnu rien que pour faire enrager cette femme qu'il à présent haïssait.
Yumi-Blue se souvient de leurs disputes. De leurs bagarres. Elle voulait aider sa mère, la protéger de son bourreau. Mais celui qui l'en empêchait, c'était Fitz, Fitzgerald, le fils des voisins. Son meilleur ami. Son seul ami. Ses weekends, quand elle revenait de pension, elle les passait avec lui. Yumi se rappelle, le jour de l'anniversaire de ses seize ans. Fitz lui avait offert une chaîne en or. Qu'elle garde toujours, d'ailleurs. C'est aussi le landemain que son père fut arrêté, sa mère aussi pour complicité.
Depuis ce jour, au revoir la douce et gentille Yumi. C'est comme si elle s'interdisait de sourire depuis. Elle a quitté New-York pour s'installer à Cambridge dès la fin du lycée. Elle n'a que peu d'amis, peu la connaissent, elle et son histoire. Fitz ? Elle ne sait plus ce qu'il est devenu. Aujourd'hui, elle préfère assumer cette image de fille insensible, que rien ne touche ni blesse. Elle préfère être le bourreau que la victime. Mais elle sait qu'au fond, son propre bourreau, c'est elle-même. Personne ne l'oblige à être ainsi.