FRANCESCA O. AINSWORTH ► hayley williams

L’enfance. Dans le dico, ils décrivent ça comme une « période de la vie humaine allant de la naissance à la puberté. ». A aucun moment, ils ne laissent sous-entendre que c’est la meilleure époque de ta vie. Ils te disent juste que ça en est une parmi tant d’autres, qu’elles seront d’ailleurs sûrement toutes pareilles. Et toi, stupide petite chose naïve, tu y crois dur comme fer. Tu veux grandir, rapidement si possible. C’est du moins ce que j’ai voulu, moi. Seulement, si quand tu arrives dans l’adolescence, tu n’as qu’une hâte, c’est d’en sortir ; lorsque tu passes à l’âge adulte, ton seul souhait serait d’y retourner, voire mieux encore, de retomber en enfance. Vous croyez que la crise de la quarantaine, ça sert à quoi ? C’est juste un prétexte pour réaliser un désir qu’on finit tous par avoir. La vérité, c’est que l’enfance, ce n’est pas qu’une période. C’est un instant. Et cet instant, il est magique. Malheureusement, il passe bien trop vite. A peine le temps de cligner les yeux qu’il est déjà loin. C’est pour cette raison que moi, Francesca Opaline Ainsworth, je ne clignerai jamais des yeux et ainsi, je resterai éternellement un enfant.


Et dire que j’y ai cru, à ce pacte que je me suis fait à moi-même, un soir de pluie, après avoir entendu mes parents se disputer pour ce qui me semblait, à l’époque, être la première fois de ma vie. Il est vrai que dans ma famille, les disputes sont plutôt rares. A une certaine époque, j’ai même cru que c’était ça l’amour, que c’était ça le bonheur. Aucune dispute, seulement des silences parfois pesants pour faire comprendre à l’autre qu’il y a un désaccord. Et puis, on passe à autre chose. Mais ce n’est pas ça l’amour, ce n’est pas ça le bonheur. Seulement, je ne l’ai appris que bien plus tard, lorsque je suis entrée dans l’adolescence et qu’à mon tour, j’ai été prise dans les rouages des sentiments mielleux. J’ai mis un certain temps avant de saisir la subtilité des sentiments. En attendant, j’ai calqué mon bonheur sur celui de mes parents. Entre ma mère, postière de sa condition, à qui l’âge a volé toute beauté et mon père, propriétaire de sa propre quincaillerie, qui préfère éviter le dialogue, disons que nous avons toujours eu le bonheur discret. Par chance, j’avais toujours mes frères, Isaïe et Estéban, pour mettre un peu de piment de ma vie ordinaire. Notamment, en me faisant des blagues puériles. Je ne leur en ai jamais voulu, cela dit. Ils sont un peu bêtes, mais loin d’être méchants. Ainsi, j’ai grandi au sein d’une famille simple, banale, en adoptant le comportement infantile de mes frères. Celui-là même qui me vaudra plus tard ma réputation de casse-cou. Et de cette façon, toute mon enfance, j’ai tenu ma promesse… je suis restée une gamine joviale.


Malheureusement, les choses ont changé en arrivant dans la puberté. Onze ans tout juste, je me suis retrouvée obligée de quitter mes proches pour une école puriste pour filles. C’était le rêve de ma mère et elle-même avait fait sa scolarité là-bas. Et bien que préparée, je n’étais pas décidée à partir loin de ma famille, à cette époque. Cependant, je n’ai pas vraiment eu le choix, parce que « telle était ma destinée. ». Ou disons plutôt que tel était le choix de ma mère, qui voulait à tous prix que sa fille apprenne à bien se comporter en société et devienne la femme de quelqu’un d’important. N’est-ce pas là le souhait de toutes mères ? Ainsi, débitée, j’ai dû me rendre dans cette école sans opposer la moindre résistance. Là-bas, mon comportement de garçon-manqué légèrement puérile n’a pas fait l’unanimité auprès des autres filles et bien vite, je me suis retrouvée complètement seule, à errer dans les couloirs sombres et lugubres de l’école. Je n’ai pas su m’adapter, je n’en avais jamais eu besoin jusqu’à présent. Et je n’ai certainement pas voulu que cet endroit me force à changer. Je me devais de respecter ma promesse, après tout… même si cela voulait dire que j’étais condamnée à être Francesca la solitaire.  


Je n’ai réussi à me faire des amis qu’une fois sortie de l’école. Après moult supplications, ma mère a fini par accepter de m’envoyer dans un lycée public, comme mes frères. Une chance inouïe qui m’a permis de survivre à l’adolescence. De ce fait, une fois dans ce nouveau lycée, j’ai eu l’occasion de me faire des amis, de vrais amis. Disons que les gens ont commencé à changer d’opinion sur moi. Je suis passée de la puérile Francesca à l’amusante Franky, celle qui est capable du meilleur comme du pire. Surtout du pire. A cet instant, les choses ont pris un tournant à cent-quatre-vingt degrés pour moi. « Moi », l’inconnue, je suis subitement devenue populaire. Les gens m’ont aimée et détestée. Ils me trouvaient drôle ou alors, tout au contraire, ne pouvaient pas me supporter. Sauf que ayant été seule pendant une longue période, j’ai fini par piger le truc pour ne pas souffrir. Dans le fond, on s’en fout de ce que les gens pensent, l’essentiel, c’est l’opinion qu’on a de soi. Et moi, je dois avouer que je me suis toujours adorée.


Après ça, ma vie a stagné jusqu’à mes dix-huit ans. Entre les paris, les rumeurs, les cours, les clubs… je ne peux pas dire que j’ai été dans une routine, mais je n’ai plus vraiment connu d’évolution non plus. Je pense que c’est ce qui m’a poussée à tout quitter, une fois mes derniers examens passés. J’étais coincée, je ne savais pas ce que je voulais faire, je n’avais qu’une envie : voir le monde. Alors, j’ai suivi mon instinct et pendant un an, je suis partie loin de mon Angleterre natale. A travers ce voyage, j’ai pu faire la rencontre de gens formidables et découvrir de nouvelles cultures. Je suis rentrée avec des souvenirs plein la tête, des images qui ne partiront jamais, de ça je suis sûre. Mon voyage m’a menée jusqu’aux États-Unis. J’y ai vu une opportunité de vivre le rêve américain dont tout le monde parle. Et puis, tout naturellement, ma vocation s’est imposée d’elle-même à mon esprit : j’ai toujours été faite pour être photographe, capturer la beauté d’un instant, montrer la misère sous un œil nouveau. C’est juste que je ne le savais pas encore.


Avec un an de retard, la reprise des cours auraient dû être difficiles, surtout connaissant mon côté plus ou moins flemmarde. Mais en fait, ça a été tout le contraire. Même si j’ai toujours du mal avec certaines matières, je suis motivée comme jamais pour réussir à atteindre mon objectif. Évidemment, ce n’est pas pour autant que je ne prends plus le temps de m’arrêter dans mes révisions pour relever un défi, chercher un sujet à photographier ou faire la fête. Eh oui, certaines choses ne changent pas. Et d’ailleurs, même si je grandis, même si j’apprends chaque jour à devenir plus mature et plus adulte, il y a toujours une part de moi qui continue à jouer les enfants. De ce fait, je sais que je tiens ma promesse. La promesse d’une enfant à une future adulte. Je ne clignerai jamais des yeux et ainsi, je resterai éternellement un enfant.