Lorelei Quincy ► Serinda Swan

On ne peut pas dire que ma vie ait commencé sous une bonne étoile. On m’a raconté un incalculable nombre de fois l’histoire de ma naissance que j’en garde un souvenir cuisant et culpabilisant. Ma famille était la plus heureuse qui soit avant ma naissance : ma mère et mon père s’aimaient passionnément, et l’heureux évènement qu’ils attendaient ne devait que renforcer ce bonheur. Quelle ne fut pas leur surprise de constater que c’étaient des jumelles qui poussaient doucement, mais cela ne fit que les exciter d’avantage à l’idée d’être parents. Ils voyaient les heures de jeux, les promenades en poussette, les sorties de l’école, les coups de gueule de l’adolescence, ils s’extasiaient devant chaque chose que la vie pourrait leur apportée.

Mais le destin est parfois cruel, et la grossesse ne se passa pas comme prévu. Il y eu quelques complications, comme fréquemment en cas de grossesse multiple. Le jour de l’accouchement, tout dérapa. Ma sœur vit le jour en premier, mais je refusai de sortir. Apparemment, j’étais coincée. Ma pauvre mère fut vite à bout de force. On arriva à m’extraire de son ventre, mais ma mère ne survécut pas. Le bonheur vola en éclat.

Mon père s’occupa alors de ma sœur comme d’un bijou. Jusqu’à mes six ans, je vécus sous le même toit qu’eux, mais pas dans la même famille. Nous étions de parfaits sosies, ma sœur et moi, mais d’un caractère très différent. C’était une vraie princesse : notre père la complimentait à tort à travers, elle était toujours la plus parfaite. Quand elle faisait une bêtise, elle m’accusait, et même si je me défendais, je voyais le dégoût dans les yeux de mon père. Si c’était moi qui cassais un verre, la punition était deux fois pire. Ma sœur nous se faisait servir, et j’étais sa domestique. Lorsque nous étions avec la famille (ou plutôt les gens qui portaient le même nom de famille que nous), ils s’extasiaient devant elle et prenaient pour un jeu les ordres qu’elle me donnait et que j’exécutais sans me plaindre.

Finalement, un jour, mon père se débarrassa de moi. Il m’envoya chez une tante maternelle. Mais là aussi, j’étais considérée comme une meurtrière. Pour la première fois, je fus frappée, chose que mon père n’avait jamais faite. Je devais trop ressembler à ma sœur, et par extension trop ressembler à ma mère. Ma tante, elle, ne s’en priva pas. Cependant, je ne restai pas longtemps chez elle. Elle me plaça en foyer, sous prétexte qu’elle ne voulait plus de moi parce que j’étais trop turbulente.

Au foyer, une nouvelle vie démarra. Je fus d’avantage intégrée cette fois-ci, mais à sept ans, on ne rêve que d’une vie agréable. On pense notre avenir comme un conte de fée. La seule que j’osais espérer, moi, c’était une famille. Je passai plus d’un an au foyer. Un soir, après l’école, alors que je rentrai, je tombai dans une flaque de boue. Mon habit était trempé et tout tâché. Je me mis à pleurer, je m’étais fait mal aux genoux. Cependant, je ne faisais aucun bruit, je laissai simplement les larmes couler et je reniflai de temps à autres. J’avais peur de me faire gronder, si je rentrai, alors je restai bêtement sur le trottoir. Soudain, une femme s’arrêta devant moi. Elle tenait par la main un petit garçon d’un an plus âgé que moi. Elle essaya de me consoler, et le petit garçon m’offrit même une bille. Je leur expliquai que je vivais au foyer, et que j’avais peur de rentrer dans cet état. La dame se proposa de me raccompagner. En chemin, je fis plus ample connaissance avec le garçon : il s’appelait Keith. Je l’aimais bien. De retour au foyer, je ne me fis pas gronder. Les adultes remercièrent la jeune femme de m’avoir ramené.

Chaque jour, je reprenais le même chemin, et chaque jour je les croisais. De fil en aiguille, ils en vinrent à m’adopter. Je quittais le foyer pour m’installer chez eux. Keith était vraiment gentil avec moi, et nous passâmes plusieurs années à grandir ensemble. Je découvris la signification d mot « famille ». Nous étions tous heureux, et je voulais tellement faire bonne impression et les remercier pour tout ce qu’ils avaient fait pour moi que je m’acharnais à ramener de bonnes notes. A dix-huit ans, pour aider financièrement la famille, je prix un emploi à mi-temps. Je jonglais entre les heures de révision et le travail. Je ne gagnais pas grand-chose, mais je donnais tout à mes parents d’adoption. Ils étaient gênés, et la plupart du temps, ils me rendaient tout, d’une manière ou d’une autre. Finalement, je décidai de prendre mon indépendance, et je m’inscrivis à Harvard, où je fus accueillie.

Mon frère fut très attristé par la nouvelle et je compris pourquoi peu de temps après. Il nourrissait des sentiments à mon égard, qu’il avait toujours tut. Après tout, nous n’étions pas du même sang, ce n’était donc pas totalement amoral. Mais j’étais peinée de lui apprendre que malgré tout, il ne serait jamais qu’un frère pour moi. Je coupai donc un peu les ponts avec lui, en espérant qu’ainsi se serait moins dur, mais à chaque fête, je revenais, et je voyais son regard changer petit à petit, dévoiler le secret qu’il gardait caché. Un soir de Noël, ma mère adoptive dit même en riant qu’elle se demandait s’il n’était pas gay. Keith croisa mon regard et l’appuya. Je rouge m’était monté aux joues. Mais il s’était toujours tenu tranquille. Finalement, l’alcool est vite devenu un allié de choix : j’oubliai Keith, j’oubliai que j’étais une meurtrière au moment même où je suis née, j’en oubliai jusqu’à mon identité, qui, finalement, n’était peut-être pas si importante. Qui étais-je ? Une Quincy ? Une fille adoptée par la famille Blueberry ? Une orpheline ? Dans cette optique je me suis lancée en psychologie et en philosophie. Ma partie préférée reste le domaine de la conscience, de l’inconscience et de l’identité.

Une vie tranquille, avec ses joies et ses peines. Un début difficile, mais une histoire tout à fait banale somme toute. Et pourtant, j’aimerai être plus que ça, compter pour plus de monde, montrer à tous ce que je peux être. Je veux devenir quelqu’un.