i'm just a kid (kendall)

« Oh putain... » Faut dire que non, son réveil, il ne l'avait décidément pas entendu. C'est à la hâte qu'il enfilait le premier jean et T-shirt qui lui passait sous la main avant de prendre son sac, blouson et quitter l'appartement. Non, il n'avait pas pris le temps de manger, ni de voir s'il était un minimum présentable. Il vérifia en un coup d'oeil dans le miroir du hall de l'immeuble, passa brièvement une main dans ses cheveux pour arranger l'arrangeable et quitta le bâtiment. Aujourd'hui il avait décider de se rendre à Harvard en vélo. Les transports en commun ? trop lent. La voiture ? Il ne risquait pas d'y arriver à temps non plus. Et puis la météo s'y prêtait bien alors il allait en profiter avant d'avoir de mauvaises surprises les jours suivants, on ne sait jamais.
Il slalomait entre les voitures pour gagner la tête de file. Et repartir en trombe lorsque le feu passait au vert. Il semblait tellement agile et sûr de lui, que jamais personne n'aurait pensé qu'il aurait pu chuté de son vélo. Non pas en heurtant une voiture, mais en voulant éviter un obstacle. En l'espace d'une demie seconde où il s'était permis de regarder la population étudiante sur la pelouse du campus, il n'avait qu'à peine aperçu le stand éphémère d'une fille qui distribuait ses tracts pour une pièce de théâtre. C'est ainsi qu'en déviant brutalement de sa trajectoire,  il s'était retrouvé à terre. La paume, coude en sang, des éraflures où il était possible d'en avoir. La mâchoire serrée, compressant fermement la plaie sur la paume gauche de son autre main, il releva la tête pour s'apercevoir qu'il était tombé tout juste devant le centre de soin. Douce ironie. « Hum... » Ce n'était pas l'envie de jurer qui lui manquait, mais il préférait se résigner à se relever rapidement avant que les gens ne commencent à rameuter et de prendre le temps de checker toutes ces blessures digne d'un enfant.

Complètement absorbée par mon bouquin de botanique -une brique qui m'avait coûté un mois de salaire-, j'étais complètement aveugle à ce qui se passait autour. Ce matin, je m'étais réveillée tôt avec un rayon de soleil dans la figure, ayant encore oublié de fermer mon store quand j'étais rentrée à deux heures du mat d'un bal de charité. D'habitude, je m'investissais énormément dans ces événements mais la présence de mon père, qui d'habitude trouvait toujours un prétexte pour se débarrasser de cette corvée, m'avait glacée jusqu'aux os. A cet instant, j'aurais tout donné pour être ailleurs et de préférence à des milliers de kilomètres de mon géniteur. Autant dire que ma soirée avait été un cauchemar à partir du moment où il m'avait descendue en flèche en déblatérant sur sa fille indigne qui n'avait même pas daigné faire des études commerciales. Et puis surtout, il avait bien insisté sur le fait que malgré tous ses efforts, il ne pourrait jamais faire de moi un mannequin pour son agence : pas assez de potentiel malheureusement contrairement à ma soeur chérie. Plutôt que d'exploser, j'avais préféré lever les yeux au ciel et m'enfiler deux trois vodkas, ce qui n'avait rien arrangé. Je laissais ma tête reposer contre le tronc d'arbre auquel j'étais adossée. Ces premières journées d'avril étaient somptueuses et invitaient à la paresse. Je souris, il était hors de question de ressasser ma soirée, malgré ma tête qui paraissait avoir pris dix kilo.

Soudain, mon portable se mit à vibrer, j'appuyais sur la touche "décrocher" sans même regarder avant de me rendre compte que c'était une alarme de rappel. Je fronçais le nez avec résignation : cette journée allait être longue. C'était un éclair de génie d'avoir encodé mon horaire de ce matin au dispensaire. Je grimaçais en me levant, ramassant mes affaires pour me diriger vers le centre de soin. Une jeune femme distribuait des tracts dans l'allée et avait même installé une table avec d'autres prospectus. De loin, je vis arriver un vélo et deux secondes plus tard, son propriétaire était par terre. Avant que j'arrive, il était déjà debout. Néanmoins, je m'approchais, posant une main sur l'épaule du jeune homme. "Aie ! ça va rien de cassé ?" Après un rapide coup d’œil aux ecchymoses et éraflures superficielles mais à désinfecter, je levais les yeux. "Flynn ? Comme tu vas ? " Je posais mes lèvres sur sa joue par réflex avant de rougir en pensant à ce que je venais de dire. "Pardon, bête question... Tu me laisses désinfecter ?" J'avais parlé si vite, nerveuse pour une raison obscure. Après tout, nous étions amis, des amis proches même, il fallait que j'arrête de stresser comme ça.

Il semblerait que le jeune homme avait confondu rapidité et précipitation. Parce qu’atterrir sur le sol n'était pas dans ses plans. Après s'être relever en cinquième vitesse afin de n'inquiéter personne, il sentit une main se poser sur son épaule. Décidément, sa chute ne serait pas passer inaperçu comme il l'aurait souhaiter. D'un côté, faut dire que ça faisait tout de même plaisir de voir que certaines personnes étaient assez généreuses pour apporter de leur aide. Mais pour lui, nul besoin de s'inquiéter. Ce n'était pas aujourd'hui qu'il se retrouverait dans un lit d’hôpital. Néanmoins, il comptait bien rassurer la jeune femme qui était venue à sa rescousse. « Non non, ca va... Juste quelques égratignures. » fit-il en regardant ses mains, ses bras, avant de relever les yeux vers la secouriste. « Kendall ! » Sur tous les étudiants qui étudiaient ici, il était tombée sur elle. Depuis qu'ils étaient rentrés de leur mission humanitaire ensemble l'été dernier, il ne l'a croisait seulement de temps en temps. Faut dire que ça lui avait fait bizarre de ne plus la voir aussi souvent qu'avant. Être en compagnie de la même personne tous les jours pendant deux mois, ce n'était pas rien ! Kendall venait lui embrasser la joue, ce qui lui décrocha un sourire. Elle avait l'air nerveuse. Il aurait très bien pu se demander pourquoi, mais il devait reconnaître qu'il ne l'était pas plus dans le fond. Ce qu'il s'était passé en Indonésie, c'était une chose. Ils étaient dans un autre monde, une autre ambiance. Il ne regrettait rien, Kendall était vraiment quelqu'un de bien et il était ravi de la connaître. Maintenant qu'ils étaient rentrés, il ne savait plus trop comment il devait se comporter. « Je ne pense pas que.. » il regardait sa main, puis coupa net avant de se raviser « Hum... Oui. Après tout, c'est toi le médecin ! » Il sourit en lui tendant sa main blessée.

Je souris en voyant sa réaction, manifestement, il était aussi incertain que moi quant à l'attitude à adopter. J'aurais aimé que les choses soient différentes mais après ce que nous avions partagé en Indonésie, c'était difficile de faire comme si de rien n'était et impossible d'agir comme nous l'avions fait là-bas. Lorsque nous étions rentrés, aucun de nous n'avait eu à expliquer à l'autre que cette relation se finissait là, en douceur et sans heurt. J'avais été heureuse et pourtant, il m'avait terriblement manqué. A chaque fois que je le retrouvais, j'avais envie de sourire, de retrouver notre complicité. Mais quelque chose me retenait, peut-être simplement le sentiment que me rapprocher de lui risquait de faire ressurgir les sentiments naissants que j'avais éprouvé pour lui. Bien sûr, aujourd'hui, je savais que ce n'était dû qu'à l'ambiance de cet été-là. Néanmoins, je préférais ne pas tenter le diable...

Je jetais un coup d'oeil attentif à sa main en riant de sa tentative avortée de me rassurer. C'était vraiment pas beau. Je l'attrapais par l'autre poignet. "Viens à l'intérieur, ça va aller vite..." Je l'abandonnais deux minutes dans l'entrée du centre de soins pour revenir avec un peu de matériel. Je le poussais vers une chaise avant de m'accroupir devant lui pour désinfecter. Ce n'était pas la première fois que je m'occupais de ses éraflures. D'ailleurs, si ma mémoire était bonne, la première fois que nous avions couché ensemble, c'était juste après ce genre d'incident. Je relevais les yeux pour le regarder. Les souvenirs se bousculaient dans mon esprit mais je fis du mieux que je pouvais pour les chasser. C'était idiot d'être encore attirée par lui... "Tu t'es pas raté dis donc, mais bon ça aurait pu être pire." Je lui souris en terminant par une compresse et un petit bandage avant de me relever.

Il la suivait machinalement à l'intérieur du centre de soins quelque peu désemparé. Son regard suivait la jeune femme, qui lui indiquait une chaise sur laquelle il s'installa avant qu'elle ne revienne à lui avec du matériel. L'ambiance lui laissait une impression étrange. Une impression de déjà-vu. Oui c'était ça, comme si une scène de sa vie se rejouait, du moins une partie. Elle s'accroupit et commença à lui désinfecter ses blessures. Oui, il se souvenait très bien du comment ça c'était fini ce jour là, comment pouvait-il oublier. Un doux sourire se dessinait sur ses lèvres, mais un sourire de nervosité. Il pressentait le rire malvenu également alors il se pinça les lèvres très fort.. Les sentiments, émotions ou désirs qu'il avait éprouvé à ce moment-là refaisaient surface, ce qui n'était pas pour l'arranger. C'était assez compliqué à gérer le retour en Amérique, alors si en plus tout ça le rattrapait encore aujourd'hui... « Tu me connais. Tu doit avoir l'habitude avec moi maintenant. » Il sourit, puis la regardait terminer son pansement, ne pouvant s'empêcher de comparer cet instant à cet été en Indonésie. Lorsqu'elle se releva, sa main non bandée vint instinctivement attraper celle de Kendall. Pourquoi ? Il n'en savait fichtrement rien. Parfois, il se maudissait de ne pas réfléchir un peu plus avant d'agir. Cela lui éviterait bien des situations embarrassantes à ne pas savoir quoi faire ou quoi dire, des moments de solitudes. Finalement, il se mettait de la pression tout seul le gars ! Deux longues secondes de réflexion à regarder la jeune femme, s'efforçant de maintenir un rythme de respiration normal, tentant de garder une expression neutre sur le visage, il trouvait son issue qui restait correcte. « Merci.. » Correct j'ai dit.

"Tu devrais prendre un abonnement." dis-je en souriant sans relever la tête. Je gardais les yeux rivé obstinément sur sa main, m'appliquant à faire un bandage exemplaire. Avoir croisé son regard me troublait plus que je ne le voudrais, néanmoins, je tentais désespérément de chasser les souvenirs. C'était plus difficile que je ne le pensais, je me mis alors à réciter silencieusement les noms des différents produits antiseptiques. C'était probablement ridicule mais au moins, ça m'occupais l'esprit. Une fois terminé, j'examinais mon chef d'oeuvre avec satisfaction puis me redressais. Ses doigts se refermèrent sur ma main et un frisson me parcourut. Ma volonté céda, anéantissant mes efforts pour oublier cette proximité avec ce gars que j'aurais probablement pu aimer. Il aurait suffit de quelques mois de plus, là-bas en Indonésie... J'avais imaginé mille scénario : et si nous étions restés ? Ensemble. Mon coeur battait la chamade. Je me sentais si naïve de m'emballer ainsi au moindre contact. Je baissais les yeux. "Y a pas de quoi..." Ma voix me parut étranglée et je me maudissais intérieurement. Brusquement, j'avais peur qu'il ne me libère. Je ne voulais surtout pas que nos mains se sépare. En souriant, je tirais doucement pour qu'il se lève. "Tu m'offres un verre pour la main d'oeuvre ?" Je souris, osant enfin affronter son regard. Dans cette vague de souvenirs, de sentiments, j'en oubliais totalement mon boulot au dispensaire. De toute façon, il faisait calme, bien que tout ce que je pouvais voir en cet instant, c'était mes doigts dans les siens. Stupide fillette.

Il rit nerveusement, avant de finir par se pincer les lèvres. « Probablement. » L'idée de la revoir régulièrement ne lui déplaisait pas, au contraire. Même s'il préférerait éviter de s'écorcher tous les membres pour y parvenir, ce serait mieux. Heureusement qu'elle avait les yeux rivés sur sa main, il en profita pour rouler des yeux et se maudire de se comporter comme un idiot, d'être si nerveux, de ne pas réussir à faire comme si de rien n'était. Il était adulte bon sang ! Du moins légalement. Il devrait pouvoir se gérer en principe. Voyant Kendall concentrée sur sa tâche, il se dit qu'il devrait sûrement en faire de même, peut être qu'il finirait par retrouver la sérénité. Mais non, une fois de plus, sa spontanéité reprit le dessus et un frisson le parcouru alors qu'il refermait les doigts sur la main de sa soigneuse. Il se sentit légèrement tirer vers l'avant avant de comprendre qu'elle voulait qu'il se lève. Profitant de l'élan qu'elle lui donnait, il se mettait debout se retrouvant bien trop proche de la jeune femme, les idées embrouillées dans sa tête. « Ce.. C'est la moindre des choses. » fit-il en souriant. « Après tout tu m'as sauvé la vie. » Il décala doucement la chaise derrière lui pour faciliter le passage. Il retira doucement sa main bien qu'il le regrettait déjà. Quelque part il se sentait coupable. Il s'était répeter maintes fois qu'ils n'étaient qu'amis et ça avait été clair un moment, mais à chaque fois qu'il la recroisait, le même topo se reproduisait. Il ouvrit la porte, se retournant vers elle. « Après vous mademoiselle. »

Je l'attirais à moi pour qu'il se lève. a présent, notre malaise était palpable. J'avais l'impression que l'air même crépitait, ne sachant plus où se glisser entre nous. Nous étions proches, bien trop proche, je levais les yeux et lui rendit son sourire. Je ne savais plus où j'en étais surtout que tout ça ne me semblait même pas déplacé, c'était comme naturel... Peut-être simplement une habitude à la vie dure, tenace ? "Tu exagères, c'était trois fois rien..." Mes joues rosirent. Il avait fait pire en Indonésie mais il n'avait jamais été en danger de mort... Enfin pas plus que le reste des bénévoles. Je proposais un verre sans trop savoir ce qui me prenais. La situation était déjà tellement... Bizarre. Et pourtant, je me sentais comme rassurée par sa présence. J'eus un petit pincement au coeur quand il préféra repousser la chaise pour s'éloigner, abandonnant ma main. Brutalement, je me sentais vide, mes doigts se contractèrent plusieurs fois, comme surpris de se retrouver seuls. Je chassais ces sensations absurdes et le suivis. Il m'ouvrit la porte et j'effectuais une petite révérence en riant. "Merci Milord !" Je dévalais les quelques marches et me retournais. "Je t'avouerai que j'ai une envie folle de boire un petit cocktail, les pieds en éventail sur une plage déserte. Tu connais une adresse ?" Je lui lançais un regard rieur. J'avais peut-être l'air stupide mais j'essayais de détendre l'atmosphère entre nous. Marchant à ses côtés, je lui donnais un petit coup d'épaule et désignais sa main. "Pas trop mal ?" Je résistais à l'envie de grimper sur son dos ou pire lui prendre la main, comme nous le faisions là-bas.