Qu'est-ce que tout le monde sait à propos de moi?
« Tu es née à Varsovie, dans une famille aisée. Ton prénom est celui d'une bière française, ton second est celui de la déesse de la chasse. Tu es fille d'une avocate et d'un médecin, et tu vivais dans un grand manoir dans les beaux quartiers de la capitale. Ta vie a toujours été toute tracée pour tes parents, mais tu ne l'as jamais entendu de la même façon. Tu fais du violon, tu es très douée pour ça car tu en fais depuis ton plus jeune âge. Tu passais tes vacances à Lille, à Cannes, à Paris, tes parents aimaient dépenser pour des résidences secondaires. Tu as un accent qui s'entend toujours lorsque tu parles anglais. Tu es studieuse, attentionnée, et fêtarde. »
Et ensuite? Et alors? C'est facile, de deviner qui sont les autres avec si peu d'informations. A n'entendre que ce court résumé, n'importe qui penserait que j'ai eu la vie dont n'importe qui a rêvé. Un beau manoir, des vacances en France, la possibilité de parler plusieurs langues et de découvrir de nombreux endroits. De bonnes notes, une bonne façon d'être, pas de manquements, pas d'excès. Si seulement c'était si simple.
Si je devais vous dire tout ce que vous ne savez pas, je commencerais par vous dire que le manoir était terriblement grand, quand j'y étais seule. Mes parents n'étaient jamais là, constamment en voyage d'affaire, ou je ne sais réellement où. Ma gouvernante m'enseignait, m'apprenait, et plus les années passaient, plus je forgeais mon caractère à l'encontre des désirs de mes parents. Parce qu'ils me gardaient en cage. Une cage dorée certes, mais une cage tout de même. Dire que c'est mon petit-ami lorsque j'étais au lycée qui m'a aidé à trouver la voie parfaite pour les contredire. J'avais l'atout parfait pour m'envoler pour Harvard, et leur dire d'aller se faire voir.
Et même encore ça, ce n'est pas assez. Certains savent ces choses là. Saviez-vous plutôt que j'avais peur des profondeurs? C'est pour avoir manqué de me noyer, à deux reprises. Depuis, je ne supporte plus la simple vision d'une eau qui s'enfuit vers des abysses noires et impénétrables. Saviez-vous aussi qu'en réalité, ma famille est devenue une véritable catastrophe depuis l'an dernier? Je pensais qu'en m'envolant à Cambridge, j'avais réussi à me sauver de ce monde qui m'enchaînait à la Pologne. Et j'avais tort. Lors du Summer Camp, l'an dernier, ma vie a cruellement changée, du jour au lendemain. Imaginez-vous apprendre le divorce de vos parents, et le remariage de votre mère dans la même lettre, alors que vous, vous veniez voir une amie qui se réveillait de son coma? Et figurez-vous que ce nouveau mari n'était pas n'importe qui. Un député polonais, je reconnaissais bien là ma mère. Avide de pouvoir, avide de richesses. Mais elle se contrefiche bien du bonheur de sa fille. Je l'ai compris lorsque j'ai été contraire de prendre le nom de cet homme, et de changer mon cursus, à Harvard. Si vous saviez comme cette période a été.. quasiment inexistante, au sein de l'université. J'avais l'habitude d'aller en soirée de de boire lorsque j'étais au lycée, mais à ce moment là, j'étais vraiment tombée bien bas. Sécher les cours, passer mes journées dans des bars; était-ce vraiment moi? Là où je me suis encore moins reconnue, c'était lorsque j'ai décidé de manipuler mon père pour récupérer mon nom, ma filière, ses richesses. A partir de là, j'ai coupé tout lien avec ma mère, et j'ai commencé à faire des aller-retours de la Pologne aux Etats-Unis. L'un deux fût même à cheval sur l'une des dernières tragédies d'Harvard, qui fût la prise d'otage. Si seulement ce genre de choses avaient pu ne pas arriver. Je n'avais pas la force de faire face au malheur des autres, pas la force de les aider, de les aimer, de me forcer à leur dire que tout ira bien. Je n'avais plus la force de mentir. Mais je devais le faire, pour que rien ne change. Que tout soit toujours comme avant. Et puis vinrent les derniers jours de janvier. Cette lettre qui venait de Pologne.
J'avais côtoyé la maladie pour avoir moi-même fait de nombreuses crises aux causes inexpliquées lorsque j'étais plus jeune. Seulement, je n'avais jamais pensé que mon propre père puisse couver un cancer. Cancer qui se sera montré très discret car découvert seulement le premier février. Ce jour-là, j'ai compris qu'Harvard ne pouvait plus rien pour moi. Les frais médicaux étaient bien trop cher pour qu'il ne paie l'université en plus, et j'étais strictement incapable d'abandonner ma famille, malgré tout ce qu'ils m'avaient fait. Je suis faible, terriblement faible. Je suis donc retournée à Varsovie, laissant derrière moi toute ma vie, tout ceux que j'aimais. Je vivais dans un petit appartement que je payais grâce à un petit boulot qui me coûtait mes nuits de révision. Car oui, j'allais toujours à l'université à ce moment-là. Imaginez, seulement. Habituée à vivre avec de l'argent qui coule à flot, je me retrouve à enchainer l'université, mon boulot et les visites à l'hôpital, à enchainer leur coût. Rentrer épuisée tout les soirs, ce n'était pas ma vie. Mais cela m'avait renforcée, et bien plus forgée. J'avais développé cet esprit beaucoup plus compétitif, j'avais développé une force de caractère que je ne me connaissais pas. Je ne me suis jamais laissée marcher sur les pieds, mais j'entends par là que j'ai l'impression que je ne vois plus la vie comme avant. Je la vois comme quelqu'un qui a toujours vécu avec ces moyens-là. De temps en temps pour décompresser, j'allais en soirée mais jamais je ne regrettais plus d'y être allée que le lendemain. Je déteste la Pologne. J'ai vraiment l'impression que cet endroit ne m'apporte que malheur, qu'il n'est pas fait pour moi. J'avais déjà, auparavant, envie de tirer un trait sur ce pays, pourtant, j'étais encore trop faible pour me rendre compte que quoi que je fasse, je me sentais obligée d'y être liée, et non pas juste parce que j'y étais née. Cela se voyait par le simple fait que j'avais accouru lorsque j'ai appris la maladie de mon père. Faible. Faible n'est pas un mot qui me sied. Faible n'est plus un mot qui me définira désormais. J'ai eu un trop grand coeur avec les autres et j'ai toujours été celle qui finissait déçue ou blessée. Cette fois, c'est terminé, plus personne ne me manipulera, plus personne ne me marchera sur les pieds, plus personne ne me fera de mal. C'est ce que j'ai décidé le jour où j'ai fais mes valises, où j'ai repris l'avion pour Cambridge. J'ai abandonné ma famille pour rompre avec mon passé. N'est-ce pas égoïste? Pourtant, je n'ai jamais été égoïste. En réalité, les personnes auxquelles je tiens le plus se trouvent là-bas, à Cambridge. Ceux qui m'ont soi-disant élevée par l’intermédiaire d'une gouvernante n'ont qu'un statut biologique de parent. Pour ce qui est du côté financier.. demandez juste à ladite gouvernante quels sont les codes de la carte bleue de ma mère, et vous comprendrez comment j'ai pu payer à nouveau les frais de scolarité de mon université. Il est temps de dominer un peu ma propre histoire, plutôt que d'y rester un personnage secondaire. Et ce récit débute maintenant.