J4 - Quand Sainte Judith rencontre un démon (Delilah)

J’avais privatisé un des salons de l’hôtel pour dans deux jours. En effet, je comptais y organiser une réunion. C’était devenu mon obsession du moment : créer un club d’abstinence. J'sais pas si c'était parce que ma première fois avait été foireuse ou bien si ça parce qu'à chaque fois que je tombais amoureuse ça foirait, mais je voulais préserver les autres et leur éviter de faire de mauvais choix, comme moi j'avais pu le faire. Déjà dans mes amis, j’en connaissais certains qui seraient présents, contre leur gré ou non, mais le but c’était de sensibiliser un max de gens. Armée d’un tas de tract, affichant en gros –l’abstinence est la solution- et résumant l’heure et le lieu du rendez-vous, j’en distribuais dans le hall de l’hôtel avec un sourire. Une brune passa devant moi et je lui tendis l’un des papiers : « Tiens, je suis sûre que ça va t’intéresser… » tentai-je de la convaincre gentiment. Je crois que je savais pas à qui je m'adressais...

Cette matinée avec Umberto avait été des plus surprenantes. Après notre petite aventure, j'étais retournée dans ma chambre pour prendre une douche et me changer puis j'avais pris mes affaires pour aller à la plage. Dans le hall une nana m'interpella me donnant un trac avec le mot abstinence dessus, un mot qui me sauta directement aux yeux. Elle était sûre que cela pouvait m'intéresser m'avait elle dit. Je ne pus m'empêcher de rire. " Moi je suis sûre que t'as pas trouvé le bon mec pour te faire monter au septième ciel pour que tu acceptes de distribuer un tract rempli de conneries pareilles ! L'abstinence on aura tout vu! " Enfin elle pourrait au moins se renseigner sur les gens à qui elle tend ses tracts parce que sérieusement j'étais bien l'une des dernières à pouvoir le rejoindre et ce n'était un secret pour personne à Harvard, surtout si CS se mêlait de ma vie comme elle savait si bien le faire.

Une remarque cinglante et un éclat de rire. Les gens ne comprenaient pas toujours le fond de ma pensée donc j’étais habituée à ne pas recevoir que des encouragements pour mon club. J’avais souvent des refus polis, parfois quelques moqueries, mais là, la brune y allait fort. Elle m’attaqua carrément sur ma vie sexuelle. « Je… euh… » bafouillai-je complètement gênée. Je ne devais pas perdre mes moyens. Après tout, si je voulais vraiment le monter ce club, j’allais avoir à faire à ce genre d’énergumène et à ce genre de réflexion. J’allais devoir me montrer convaincante. « Je ne crois pas m’être permise de te juger alors si tu pouvais faire de même… » articulai-je en ayant retrouvé un peu de contenance. « Mais vas y, explique moi en quoi ce sont des conneries ? » lui rétorquai-je alors sur un ton calme qui ne trahissait pas l’agacement que je commençais à sentir monter un peu plus à l’intérieur de moi.

La demoiselle en face de moi était gênée à cause de moi, de ma réaction, je m'en fichais un peu et puis comment voulait elle que je réagisse face à ce qu'elle me proposait ? Il fallait être réaliste quand même et proposer des choses intéressantes si elle voulait que je ne me moque pas d'elle. " J'te juge pas rassure toi, je juge ce pourquoi tu fais de la promotion... Je m'étonne qu'une fille aussi jeune prône ce genre d'idée mais je le respecte même si ça me fait bien rire. Qui de nos jours arrivent à faire abstinence après avoir goûté aux bonnes choses de la vie ? Tu m'appelles dès que t'as trouvé quelqu'un. " Je levais les yeux au ciel, j'avais beau cherché, je ne voyais pas qui dans mon entourage pouvait être intéressé. " Puis tu m'as pas jugé parce que tu connais rien de moi, mais si je te dis que je suis mather tu vas vite me foutre dans la catégorie des dévergondées de la fac, et t'auras pas tort. Tu comprendras peut être mieux aussi pourquoi ton truc me fait tant rire ! "

Elle disait qu’elle ne jugeait pas, qu’elle respectait, mais la seconde d’après elle me confiait que cela la faisait bien rire… Pas très respectueux ça. Mon regard s’assombrit un peu. Je m’attendais pas à ce qu’on me comprenne ni qu’on adhère à toutes mes idées mais de là à se foutre de moi. Elle pensait pas qu’on puisse choisir l’abstinence après avoir goûté au sexe, très bien je serais celle qui lui prouverait que ce genre d’individu existait : « Tu nous prends pour une bande de puceau sans aucune expérience en la matière c’est ça ? Et bien détrompe toi. Pour ma part j’ai déjà testé et ça n’a pas empêché de faire le choix de l’abstinence ensuite. » expliquai-je sur un petit ton cinglant. Je n’avais pas honte de dire que je ne baisais pas. De nos jours, c’était trop rare et c’était justement ce que j’espérais changer. « Que tu sois mather ou eliot bien ça ne change rien, tu peux avoir couché avec 1 seul mec ou même 100 ça sera pareil, si tu veux changer, si tu veux justement te défaire de cette étiquette de dévergondée qu’on te colle, t’es la bienvenue dans tous les cas… »

" Tu t'appelles comment ? " Oui parce que si jamais l'envie me prenait de devenir folle et de les rejoindre, il faudrait bien que je sache à qui m'adresser quand même. Enfin, ce n'était surement pas pour tout de suite, les poules auront des dents le jour où moi, Delilah Carmichael, mettrait les pieds dans un truc de ce genre. A quoi est ce que cela leur servait de ne pas coucher ? A quoi est ce que cela servait de faire un club pour ça en plus ? Ils ne pouvaient même pas parler de leur dernière coucherie, se dire qui était ou non un bon coup, non c'était la diète totale je me demandais bien ce qu'ils pouvaient avoir à se dire. " Et juste par curiosité vous faites quoi dans ce club ? Parce qu'à part parler pendant 107 ans que coucher c'est mal, que les hommes sont tous des cons et les femmes toutes des chaudières, qu'il faut changer cette image, j'ai légèrement du mal à comprendre le but et le sens. "

Je savais pas trop comment interpréter le revirement de la discussion mais dans tous les cas, la brune sembla se radoucir et me demanda même comment je m’appelais. Enfin c’était peut être pour savoir exactement de qui elle se moquait et pour pouvoir me citer dans les futures vannes qu’elle ferait à ses potes… Moi je préférais croire que c’était parce que je l’avais touchée et je répondis sans méfiance : « Judith Thompson. Et toi ? » La mather au tempérament bien trempé me posa ensuite quelques questions sur le club. Un petit sourire discret étira mes lèvres. J’étais contente d’avoir réussi à ne serait-ce que piquer sa curiosité. « Pour le moment les réunions n’ont pas été très productive. Le but sur le long terme serait de parvenir à sensibiliser un maximum d’étudiant, leur faire savoir que le club n’est pas juste là pour diaboliser le sexe mais que les membres peuvent aussi être joignables à tout moment pour eux, pour les écouter lorsqu’ils traversent des moments difficiles, lorsqu’ils ont vécu une mauvaise expérience et qu’ils souhaitent en reparler, et crois-moi après les évènements terribles de l’année passée je suis sûre que plus d’une aura besoin de vider son sac. » Les agressions avaient du laisser des stigmates à pas mal d’étudiante, c’était aussi un peu le but du club que d’être là pour elle. « Enfin, c’est avant tout un club d’entraide tu vois. »

 " Delilah Carmichael." Judith, Sainte Judith. Je pensais de suite à cela lorsqu'elle me dit son prénom et son nom, j'avais envie de rire, cela sonnait plutôt bien après tout.  " T'as peut être pas tort Sainte Judith. C'est peut être bien pour ceux qui ont traversé les derniers évènements, mais pour le reste, je reste pas convaincu, je maintiens que tu ne t'es pas adressée à la bonne personne." J'hausse la tête fièrement, non je ne suis pas une bonne personne pour aller au club d'abstinence mais je ne dis pas jamais, il ne faut jamais dire jamais... Sauf que j'ai bien du mal à voir comment je pourrais changer à ce point.  " Je vois, j'aime pas aider les autres. " Bing ca c'était dit sans aucun mal, je n'étais pas le genre altruiste, juste très égoïste.  " C'est pas contre toi, c'est juste que j'ai déjà du mal à m'occuper de moi alors m'occuper des autres, ça va aller. "