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Living is easier with eyes closed
Jeudi après-midi presque ordinaire dans la vie d'une étudiante qui l'était peut-être un peu moins. Au programme, pas de nouveau rendez-vous chez le gynéco pour s'assurer du bon développement du haricot. Pas de cours pré natal où elle manquerait de près la syncope en imitant le petit chien. Pas de rencontre étrange dans un café (avec la copine du père du gnome) où on rêverait de l'ébouillanter sous un jet de vapeur ou à défaut, de la noyer dans la cuvette des toilettes. Non, rien qu'elle et un après-midi placé sous le signe de la farniente, qu'elle pourrait passer à glander. Glander ? Malheureusement pour elle et très certainement pour les autres, ce mot semblait être inexistant du vocabulaire pourtant fleuri de mademoiselle Samara Wilson ! Si elle vomissait sur le concept de profit à tout prix, elle ne pouvait s'empêcher, par un réflexe obscur, de rester ad vitam aeternam, productive. Et ce, même sans les litres de caféine qu'elle s'envoyait dans le gosier, à cette époque bénie des dieux, où elle n'était pas enceinte. Parce que le microbe - ou plutôt le parasite, qu'elle avait dans le ventre, ne se gênait pas pour lui pomper toutes ses ressources et la laisser asséchée, telle une momie vieille de six mille ans ! Ce qui, sans son naturel énergique voire un brin excité pourrait avoir facilement raison de sa motivation. Mais le petit bout de femme n'était pas prêt à se laisser abattre et compter bien rendre ces heures prolifiques !
Comme sa vie sociable, déjà pas folichonne, commençait à atteindre le degré zéro de l’interactivité, elle envisagea un instant de passer le reste de la journée à réviser. Les partiels approchaient et orgueilleuse comme elle l’était, elle ne pouvait envisager de les rater. Elle comptait bien mener plusieurs batailles de front, comme ses études, sa grossesse, sa réussite, son rôle de mère et ceci sans trembler. Ou alors très légèrement, le soir, bien à l’abri des regards, où sa solitude et son désappointement lui revenaient de plein fouet.
En attendant, elle se savait dans une situation merdique, mais heureusement, d’autres l’étaient encore plus qu’elle et l’aidaient à ne pas trop y penser. Voilà pourquoi, en cette journée ensoleillée, au lieu de profiter de quelques heures de répits, Samara préféra, le sac emplit de divers papiers, venir cueillir les étudiants à la sortie de l'université. Afin de leur parler, entre autres choses, des droits humains, de leurs défenseurs, et de la façon dont ces derniers étaient tués en toute impunité, dans des pays moins favorisés que les États-Unis. Sujet ô combien passionnant, qui la captivait, au contraire des étudiants qu'elle tentait d'alpaguer, sans grand succès. Foutue génération Y au casque vissé sur les oreilles qui n'en prêterait pas une pour écouter ce qu'elle avait à raconter ! Elle comprenait maintenant pourquoi le genre de message qu'elle avait à passer fleurissait sur les réseaux sociaux quand on voyait la difficulté à entrer en interaction sociale. Mais la teigne n'était pas du genre à abandonner. Se concentrant légèrement, son regard, tel un radar à paumé, scanna les environs avant de repérer dans sa ligne de mire la proie parfaite. Elle se tenait là, à faire les cent pas, le nez en l'air, quand son visage n'était pas caché par sa chevelure épaisse. Elle le tenait, celui-là, il ne pourrait pas s'échapper. Samara se dirigea vers lui, le pas rapide et décidé -même un ouragan ne pourrait la faire dévier de son objectif, jusqu'à qu'un imbécile congénital, un de plus, ne lui fonce dedans et renverse le contenu de son sac sur les pavés. Elle esquissa les prémices de ce qui aurait pu être un savon insultant extrêmement mérité mais remarqua que l'étudiant était déjà loin avant que le premier quolibet n'ait filtré à travers sa gorge serrée. Rongeant son frein en râlant pour elle-même, elle ramassait avec précipitation, articles de presse et autres pétitions qu'elle avait en sa possession. Par un hasard qui se voulait aussi curieux que miraculeux, le vent poussa les feuillets (traitant des défenseurs tués en Colombie, du procès inexistant concernant le meurtre de Natalia Estemirova, ou encore des journalistes disparaissant au Soudan..) vers la proie plus tôt repérée. De quoi lui faire retrouver sa bonne humeur naturelle, lui agrafant aux lèvres un sourire en prime. Il suffisait qu'il lance un regard sur ces papiers, qu'il montre un seul signe d'intérêt -au pire, elle se ferait un plaisir de l'inventer et alors il serait ferré. Incapable de se défaire de sa présence envahissante, tant qu'elle n'aurait pas fait le tour du sujet. Et ça pouvait prendre des années...
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