En consultation, 30 août 2014.
Et me revoilà, affalé sur le canapé, dans la salle d’attente d’une psychologue. Une amie de mes parents. Depuis que je suis à Cambridge et que mon ancien psy ne peut plus me prendre en consultation, je suis suivi par cette femme. Bein ouais, disons que Cambridge et Edimbourg, ça fait sacrément loin pour une consultation hebdomadaire. Mais revenons-en à ce moment où j’allai bien. A ce moment où je ne me sentais pas encore dans l’obligation de tout raconter à cette femme. Cette femme qui, je le savais, malgré le secret professionnel, s’en irait tout raconter à mes parents sans vraiment tout leur raconter vous m’voyez ? J’étais prêt à m’endormir même, jusqu’à ce que j’entende sa voix,
« William, on y va ? ». J’ouvrais un œil, puis l’autre en voyant la charmante femme qui se trouvait devant moi.
« William, je ne nous savais pas aussi intime. C’est quoi votre petit nom ? ». Elle riait légèrement. Je ne savais pas si c’était parce que je l’avais mise mal à l’aise devant sa secrétaire ou parce que ce que j’avais dit la faisait vraiment rire. Quoique, mon but n’était pas de la mettre mal à l’aise mais seulement de la taquiner un peu. Je voulais mettre une bonne ambiance entre nous. Quoi, je pouvais bien tenter ma chance non ? On dit bien, qui ne tente rien n’a rien non ? Ou une foutaise du genre donc voilà, je tente ! Mais passons. J’entrais dans la salle de consultation. Il y avait un long fauteuil de cuir rouge et une chaise. Je ne me fis pas prier pour m’installer sur le long fauteuil. Je m’allongeais, fermant les yeux et attendant ses ordres. J’entendais alors ses talons cogner sur le sol, lentement puis plus rien. J’ouvrais les yeux pour voir où elle se trouvait. Question bête car elle se trouvait tout simplement sur sa chaise, assise. Je les refermais alors.
« Tes parents m’ont déjà parlé de toi, brièvement, de ton enfance. Et… J’aimerai connaître l’élément déclencheur de toute cette brutalité, de ces consommations. De ce changement total de caractère et de comportement ! ». Je ne suis pas brutal, ni colérique. Je me demandais bien de ce que mes parents avaient pu lui raconter pour qu’elle pense ça de moi. Mais dans un sens, je comprenais sa question. Enfin, se phrase… Ce qu’elle venait de dire quoi. Mes parents étaient aimés et moi aussi. On était vu comme des gens biens, une famille calme, posée, respectable et j’ai eu un changement de caractère. Mais il fallait peut-être que je lui en parle au lieu de dire tout ça à voix basse, voire, à voix inaudible car tout ça, je le disais dans ma tête.
« Mes parents sont des saints. Ils l’ont toujours été, aux yeux de tous et moi aussi d’ailleurs. Selon notre entourage, j’étais un enfant sage, qui ne faisait jamais partie des embrouilles qui pouvaient avoir lieu autour de moi. Mais quel garçon ne s’est jamais battu ? Je n’en connais pas moi. Un mec qui prends ou donne des coups, il y en a partout et j’ai fait partie des deux groupes. J’ai donné des coups et j’en ai pris pas mal aussi. Mais je savais être discret, tout simplement. J’sais pas ce que vous voulez que je vous dise ! J’suis un mec comme un autre ! ». Ça ne faisait même pas 5 minutes que j’étais en consultation et je voulais déjà retourner chez moi, me poser devant la télé et fumer ma clope. Je savais où elle voulait en venir mais je ne voulais pas parler de ça, d’elle, d’eux, de tout ça quoi.
« J’ai cru entendre que tu avais été placé en centre de désintoxication… ». Elle commençait ses phrases et ne les terminait pas. Pour que je le fasse à sa place. Elle me lançait sur des sujets fâcheux et je n’avais aucune aide pour me calmer et répondre à tout ça avec calme.
« Ouais et j’y suis pas resté longtemps. Je préfère prouver à mes parents et à tous mes proches d’ailleurs que je peux m’en sortir seul ! », pour elle… Personne n’était au courant de notre histoire. Enfin si, mais dans toute histoire il y a une face sombre que personne ne connaît. Personne ne le savait hormis mes parents. Je les avais énormément déçus. Moi, leur fils modèle qui dans le fond n’est rien d’autre qu’un drogué agressif. C’est ce que je devrais dire à la psy, mais je n’y arrivais pas.
« Tu as été pris à Harvard grâce à tes excellentes notes mais, tu es encore dépendant de la drogue, tu n’as pas peur que cela gâche tes chances de réussir tes études ? ». Plus elle parlait et plus elle touchait des points sensibles, douloureux. Je serrais les poings, la mâchoire et je me concentrais sur ma réponse à venir.
« Si vous voulez tout savoir, je suis pas là pour mes études. Je peux réussir n’importe où, j’ai les capacités pour réussir dans n’importe quelle fac, honnêtement ! Je suis surtout là pour elle, pour Skyler. On s’est vraiment quitté en de mauvais termes… ». Elle avait ouvert une valve et tout coulait, tous les mots que j’avais en tête, tout ce que j’avais sur le cœur et putain, je me sentais tellement faible.
« Oui c’est ça, continue, je t’écoute ! ». Elle avait l’air heureuse que je m’ouvre enfin mais moi, plus je parlais et plus je souffrais. C’était vraiment très déplaisant, frustrant.
« … Bein en fait, on s’est connu quand on avait à peu près 15 ans tous les deux. Je fréquentais des gens et des lieux pas très nets et surtout pas très fréquentables pour mon âge… ». Je riais nerveusement dès que je finissais une phrase. Le truc super angoissant.
« C’est là que j’ai commencé à me droguer, à fumer, à boire aussi. Je me tuais avant même d’avoir eu le temps de vraiment vivre… Mais j’étais bien. J’étais avec mes potes et puis elle… Skyler et j’oubliais tout ce qu’il y avait autour. La pression que me mettait tout mon entourage pour être ce mec parfait que j’étais à leurs yeux et que je voulais pas être dans le fond… A 16 ans, je finis par lui demander de sortir avec moi… Personnellement, c’était quelque chose d’insignifiant pour moi. C’était juste une fille de plus… Enfin, c’était ce que je pensais jusqu’à ce que je sois pris par ce truc étrange et con qu’on appelle les sentiments… On était tout le temps ensemble, collé ensemble, on se lâchait plus. Elle m’était aussi indispensable que la drogue. C’était l’une de mes drogues ouais... ». J’avais un sourire niais accroché au visage et je ne m’en rendais même pas compte.
« Puis là, je décide de la faire réellement entré dans mon monde et elle est là, avec moi, en soirée, elle picole aussi, elle tente quelques petites douceurs, du genre la C. puis, la Meth, enfin voilà quoi… Sauf que ces merdes vous bousillent littéralement le cerveau et… ». Je me passais alors la main sur le visage, tout en soupirant. Je n’arrivais pas à continuer. Comment continuer de raconter sa vie alors que c’est justement à ce moment-là qu’elle dérape totalement ?
« On peut s’arrêter là si tu veux, c’est déjà très bien William ! ». Je faisais non de la tête. J’étais déjà lancé, je ne pouvais pas m’arrêter en si bon chemin parce que je savais qu’à la prochaine consultation, ce serait mort, définitivement mort. Je ne pourrai pas lui révéler autant de choses que là, maintenant…
« … Et j’ai finis par déconner. J’étais plus tellement moi-même et j’ai levé la main sur elle. Je l’ai frappé, comme si ce n’était rien d’autre qu’une… qu’une merde… ouais c’est ça, une merde alors que j’étais fou de cette fille ! Au départ, c’était des claques, mais rien que ça… Puis ça c’est empiré avec le temps. Je suis devenu beaucoup plus violent, physiquement, sexuellement, mais toujours sous l’influence de la drogue et quand j’émergeais, j’avais énormément de mal à me dire que j’avais osé lui faire ça… Je sais pas, c’est tellement dégueulasse, inhumain… Et elle n’a jamais rien dit… A personne, même pas aux autorités… L’amour rends aveugle. En ce qui me concerne, l’amour rends con ! ». J’avais envie de me lever et de cogner dans quelque chose, voire même dans ma propre figure. Je m’asseyais alors, regardant la psy du coin de l’œil. Elle était assez abasourdie par mes révélations et je la comprenais parfaitement. Elle ne disait plus rien alors autant continuer pour éviter de laisser ce blanc s’installer dans la pièce. J’étais déjà assez mal à l’aise.
« Heureusement pour elle, elle a réussi à s’échapper de cet enfer que je lui faisais vivre un soir où une fois de plus, j’étais violent. Au départ, je ne me souvenais pas de ce qu’il s’était passé mais, au fil du temps, ça m’est revenu. Quand elle est partie, je lui ai dit que je la retrouverai… ». Je m’en voulais tellement. J’avais honte aussi. Honte du mec que j’étais…
« J’ai en effet fini par la retrouver mais j’ai voulu arrêter la drogue et tout ce qui tourne autour de ça avant de me retrouver face à elle. Je suis allé en désintox mais c’est juste insupportable d’être là-bas alors j'en suis sorti et j’ai demandé toute l’aide possible à mes parents. Ils m’ont conseillés une amie psy… vous ! J’ai un parrain aussi, qui me surveille, m’aide… Je suis bien entouré et j’espère réussir à l’approcher, à lui parler et surtout à m’excuser parce que je tiens à elle… Toujours. Je suis même fou amoureux d’elle et même si elle ne me revenait pas… Je tiens juste à ce qu’elle sache à quel point je suis désolé…. Pour tout… ». Elle avait fini par me féliciter, m’encourager et me donner un autre rendez-vous, pour la semaine suivante, à la même heure. Ça a été comme ça et ce, jusqu’à aujourd’hui. Et malgré ces séances et cette dépendance qui me lâchait petit à petit, je n’arrivais toujours pas à m’approcher d’elle, à lui parler. Je n’y arrivais pas. Mais bon, je suis à Harvard, j’ai plusieurs années d’études devant moi alors qui sait, j’y arriverais peut-être dans 1 semaine, 1 mois ou 1 an…