RAPHAEL JULIAN LEFEBVRE ► Michael Trevino

T’es assis au bout milieu de la classe. Autour de toi, les gens sont bien différents. On t’avait dit que les américains craquaient sur l’accent français. On t’avait dit que t’allais être un Dieu vivant quand t’allais débarquer dans le pays. Et tes rêves s’étaient très vite écroulés. T’avais toujours été naïf. T’avais toujours cru à ce que les gens te disaient. Qu’à un moment, on allait t’aimer pour ce que t’étais. Ce pauvre adolescent qui n’est pas agréable à regarder mais qui a un grand cœur. Tu te disais qu’un jour, on allait passer au-delà de ton apparence. Et si au début, t’étais passé inaperçu aux yeux des autres dans ce nouveau lycée, t’étais rapidement devenu le souffre-douleur des élèves. Tes camarades t’envoyaient dans les poubelles. Ils se moquaient de toi. Tu mangeais seul, en recevant les déchets des autres en pleine tête, ce qui faisait rire toute la cafétéria. Et tu prenais sur toi, tu te disais qu’un jour, tu prendrais ta revanche sur eux. Qu’un jour, certains bosseraient pour toi et tu leur ferais la même chose. Et oui, t’étais naïf. T’avais de grands rêves. T’espérais devenir un grand chirurgien. T’espérais être connu pour ton talent avec un bistouri. Mais pour l’instant, tout le monde te connaissait pour ton physique. On t’appelait « La Binocle ». Et tu subissais. En silence. Tu te renfermais sur toi-même.

Les filles ne faisaient pas attention à toi. Tu les trouvais toutes belles. Tu les complimentais. T’avais même offert un bouquet à l’une d’elles, et elle l’avait directement jeté dans la poubelle la plus proche. Les autres gars se moquaient de toi. Ils n’avaient aucune pitié. T’étais même la cible des paris, ou des plans foireux. Les filles se mettaient de mèche et montaient des plans pour t’humilier. Certaines ne connaissaient même pas ton prénom, et t’avais le droit à des « Mikael », des « Ismael », des « Mael », ou encore des « Natael ». Et à chaque fois que tu voulais les corriger, elles n’écoutaient pas et refaisaient la même erreur plus tard.

Au final, tu te sentais mal dans ta peau. T’avais beau avoir ta petite bande d’amis, et Sacha avec qui partageait cette expérience, tu te sentais rejeté dans ton nouveau bahut. T’étais le dernier choisi en gym. Les soirées se passaient sans toi, et quand t’essayais d’y aller, tu te faisais refouler ou tu restais dans ton coin sans qu’on te remarque. T’avais jamais de cavalière. Et cette putain de vie, elle te cassait les couilles.

Elle t’a tellement cassé les couilles, que t’as décidé de changer la donne. Un jour, tu t’es levé, et tu t’es dit que c’était fini. T’avais à peine 17 ans. Et pendant un été, t’as tout fait pour ne plus être le mec que t’étais avant. T’as demandé à être relooké et t’as viré toutes les affaires de ton armoire. T’as mis les lunettes carrées et dégueulasses à la poubelle, et tu t’es acheté des lentilles de contact. Et t’as commencé à faire du sport. Au début, c’était dur. Et après, c’est devenu une drogue. T’as passé tout un été à suivre un régime super strict et un programme de remise en forme. T’as enchainé les séances de musculation, et petit à petit, les résultats ont été visibles. C’est là que tu commences à prendre de l’assurance. A te sentir bien. Que t’es prêt à prendre un nouveau départ dans la vie.

Puis quand est venu le moment de la rentrée, personne ne t’a reconnu. Les gens semblaient avoir oublié « La Binocle », et on a commencé à s’intéresser à toi. En gym, t’étais plus le dernier choisi. Du moins, c’était encore le cas au premier cours. Et quand on a remarqué que t’avais fait d’énormes progrès, que tu pouvais courir plus de cinq minutes sans finir épuisé et essoufflé, c’est là qu’on a commencé à te faire confiance. Le sport, c’est devenu une grande partie de ta vie. T’as fait tes essais pour l’équipe de Lacrosse, et à la grande surprise de toute l’école, t’as été pris, et t’étais un des meilleurs joueurs.

Et avec tout ce sport, tu finis par passer du vilain crapaud au prince charmant. Avant, tu courrais après les filles et maintenant, c’est elles qui te courent après. C’est elles qui t’approchent et qui te proposent de sortir, qui te demandent d’être leur cavalier, ou qui t’offrent des trucs sans importance. Au début, t’es flatté. Puis, tu repenses aux deux années que t’as subi durant lesquelles elles t’ont humilié. T’avais rien demandé, à l’époque. T’étais le gars le plus adorable, t’étais attentionné, et elles t’envoyaient bouler, elles ne retenaient même pas ton prénom ou pire encore, elles se foutaient de ta gueule. Elles ont monté des plans contre toi. Alors, tu perds toute sympathie pour elles, et t’inverses les rôles.

Et en peu de temps, tu deviens l’inverse de qui tu étais. Si avant, tu avais plus de respect pour elles que pour toi, aujourd’hui, c’est bien différent. Aujourd’hui, elles sont devenues tes marionnettes, et tu tires les ficelles avec une grande facilité. Tu les manipules. Tu te dis qu’elles l’ont mérité. Alors, tu commences à en voir une. Puis deux. Et très vite, t’as plusieurs petites amies en même temps, et tu les mènes en bateau. Elles n’y voient que du feu. De toute manière, t’as ton excuse qui marche plutôt bien, et que t’utilises depuis la terminale. T’utilises la figure paternelle comme échappatoire. Tu leur dis qu’il veut que tu te concentres sur ta carrière de futur médecin, et sur le sport, et qu’il juge que tu n’as pas le temps pour avoir une petite amie. Et elles y croient. Et c’est là que tu leur fais croire que tu tiens à elles, que tu veux continuer à les voir en privé parce que t’imagines pas vraiment ta vie sans elles. Et elles gobent encore plus tes mensonges.

T’es pas complètement un connard non plus. T’as un caractère plutôt versatile. Tu mens aux filles, mais t’es toujours le même avec tes proches. T’es toujours ce gars adorable et drôle qui aime déconner. Sauf que t’as de nouveaux amis. Les gens s’intéressent un peu plus à toi et ceux qui autrefois te foutaient dans la poubelle viennent te manger dans la main. T’es invité aux soirées maintenant. Tu passes plus inaperçu, et les gens t’adorent, parce que t’es naturel et que tu te prends pas la tête. Mais maintenant, t’as plus peur de tout garder pour toi, et t’es devenu franc. T’hésites pas à leur dire ce qui va pas.

Ta franchise, tu peux quand même la remettre en question. Parce que t’as à peine 23 ans, mais tu possèdes plusieurs vies. D’abord, t’es étudiant à la fac en médecine, pour la cinquième année. T’es un des meilleurs de ta promotion parce que tu te donnes les moyens d’être au top. T’étudies beaucoup, tu connais tout par cœur. Et en même temps, tu fais des gardes à l’hôpital du coin. L’hôpital est d’ailleurs devenu une de tes excuses quand t’as plusieurs copines. La médecine, c’est trop truc. T’es doué, tu le sais, et tu fais tout pour avoir les meilleurs cas. Tu fais aussi des études de sport, parce que ça fait toujours autant partie de ta vie. T’es capitaine de l’équipe de lacrosse, et ça aussi, t’en fais ta fierté.

Pendant ton temps libre, t’as ton délire à toi. Quand t’as une grande famille, et des parents qui galèrent pour subvenir à tous les besoins, tu te dois de les aider. Alors, tu fais croire que t’as un boulot en dehors de la ville. Mais réellement, tu bosses pas. T’utilises tes talents de menteur et de bon comédien pour trouver de l’argent. T’es tellement doué que t’es devenu l’Arsène Lupin des temps modernes. Une version encore plus jeune de Rocancourt. T’es le plus bel arnaqueur que la Terre compte sur cette Terre, et avec ta tête de gentil que t’as depuis que t’es jeune, et ton beau sourire, tu peux avoir tout ce que tu veux. Surtout quand une de tes copines t’aide. Daphné sait y faire, elle aussi. Elle te donne un coup de main dans tes sales affaires, alors qu’elle veut devenir agent du FBI. Tu te fais du fric sur le dos des gens, et tu fais croire à tes parents que tu bosses pour un bourge. Et eux aussi, ils te croient.

Le mensonge, c’est devenu ta vie. Et dans tous ces mensonges, tu t’égares. Tu crois que tout le monde peut être manipulable, et t’en viens à ne plus dire la vérité aux gens qui comptent pour toi. Ca avait commencé par tes parents. Maintenant, tu t’attaques à tes amis les plus proches. Comme à ta meilleure amie, à qui tu fais croire qu’elle était infidèle. Qu’elle trompait son mari avec toi-même. Mais tu te rends plus compte de l’ampleur de tes mensonges. Tu sais pas où tu vas, et tu sembles pas remarquer que tu t’égares. Que t’es plus du tout qui t’étais au départ.