part 1. fool's gold.
"Putain mais j'te déteste." Son ton était tranchant. Il s'est levé en t'envoyant balader de l'autre côté du canapé. Vous vous êtes disputé quinze minutes plus tôt et tu as déjà oublié la raison. Pourtant, c'est comme ça à chaque fois que tu le vois.
Il trace des cercles sur ta tempe et parfois emmêle tes cheveux dans ses doigts. Ta tête posée sur ses genoux, tu peux sentir l'odeur de cigarette imprégnée dans son jean. (Tu profites de ces moments, ce sont ceux pour lesquels tu l'aimes plus que tout.) Et la minute d'après, vous êtes tous les deux debout en train de crier l'un sur l'autre. Vous n'avez toujours pas réussi à définir une relation, de toute façon vous menacez de vous quitter trois fois par jour. Mais pourtant, inévitablement vous finissez la nuit ensemble.
Tu n'hésites pas à le frapper de toute tes forces parce qu'il t'énerve. Il te fait sortir de tes gonds à cause de son sourire narquois qu'il a chaque fois que tu le menaces. (Tu as toujours été d'une nature violente, quand les émotions te submergent tu n'as jamais su utiliser tes mots.) Il te repousse enfin, et dans l'impulsion, tu t'es pris un coup perdu. Plus douloureux que les autres. Tu recules immédiatement en portant une main à ton œil, espérant que la douleur s'estompe. Il tente de s'approcher, tu fais trois pas en arrière. Tu essayes tant bien que mal de retenir tes larmes. Son regard s'est transformé, derrière la haine tu peux apercevoir une pointe de regret. "Dégage." Il s’exécute. Il tourne les talons et la seconde d'après c'est un claquement de porte qui résonne dans la chambre.
part 2. family portrait.
Tu essuies dramatiquement le coin de ta bouche, comme pour effacer la trace rouge de sa main. Sa claque est partie toute seule, sans avertissement. "Combien de fois je t'ai dit de m'appeler Mère.". Autour de la table, les regards des invités se croisent, et un silence gêné s'installe alors que tu grimaces.
Elle continue son manège depuis toujours. Tu ne sais pas pourquoi elle s'obstine à ce que tu l'appelles "Mère" devant les autres. Ses amis, ses proches, ils ont tous compris qu'elle et toi n'ont rien en commun. C'est écrit sur ton visage : tu as la face de ta mère, la vraie, celle qui t'a enfantée. Tu es son portrait craché, c'est ton père qui te le répète quand tu n'arrives pas à t'endormir. Tu essayes de croire tout ce qu'il te dit sur elle, mais tu sais très bien que ces histoires ne sont là que pour te réconforter. La vérité, tu la connais déjà. C'était une maitresse comme une autre. Une de ces femmes qui rêve de richesses, prêtes à tout pour mettre la main sur un prince. Une erreur de parcours. C'était il y a seize ans de ça, il l'a rencontrée lors d'un voyage politique, elle l'a charmé et puis, elle est tombé enceinte. Elle t'a gardé, pensant que grâce à toi, il la choisirait. Elle croyait à ses rêves de princesse, et s'y est accroché pendant sa grossesse. Neuf mois à le supplier, à le harceler de déclarations d'amour toute aussi fausses et intéressées les unes que les autres. Mais lorsqu'il lui a expliqué qu'elle, elle ne représentait rien, elle comprit que tu n'étais d'aucune utilité. Alors elle t'a laissé tombé à peine tu prenais ton premier soufle. Elle t'a abandonné, mais toi tu n'y pouvais rien dans l'affaire, alors il t'a ramené chez lui. Parce que malgré tout, tu es une al Saoud. Tu as atterri dans un palai, avec deux parents, et tes frères. Tout semblait parfait. Mais elle, elle ne t'a jamais pardonné ton existence. Elle a encore honte de toi. Lorsqu'elle regarde ton visage, elle voit celui de cette femme qui a taché son mariage.
L'amour, c'est ton père et elle. Malgré les tromperies, ils sont toujours là à se battre. C'est sa troisième femme, mais tu t'es toujours dit qu'elle a été la seule qu'il ait réellement aimé. Leur rencontre, ça n'était qu'une manigance politique, un marriage arrangé parmis les autres. Et pourtant, ils ont appris à s'aimer. Il lui a donné des enfants, et la vie rêvée dans un palai royal. Mais pas seulement. Il l'a emmené dans les plus beaux endroits du monde, il lui a fait découvrir la vie. Tout semblait parfait. Jusqu'à ce que ton père s'absente pour un voyage politique, et revienne une semaine plus tard complètement chamboulé. Cette nuit-là il a pleuré dans ses bras sans lui expliquer pourquoi. (Neuf mois plus tard, elle accouchait d'un nouveau garçon.) Ça n'est qu'après ta naissance que ton père s'est décidé à tout lui avouer. Parce que ta génitrice t'a abandonné, parce que ton père lui a dit qu'elle ne prendrait jamais la place de sa femme, et parce qu'aujourd'hui tu devenais une al Saoud.
L'amour, c'est ton père et elle. (Tu crois.) Il lui rapporte des bouquets de roses quand il rentre de ses balades, et parfois lui offre des bijoux pour se faire pardonner. (Ça ne lui est pas arrivé qu'une seule fois, ça ne t'étonnerait même pas de voir quelques nouveaux bâtards débarquer dans ta lignée.) Elle se pavane avec lors des grandes soirées et oublie tous ses égares en souriant devant les autres. (Sauf toi.) Elle l'aime, plus que tout, et il la reconquit à chaque fois. C'est un cercle vicieux, mais d'une certaine façon tu crois qu'ils sont heureux comme ça.
Elle te plaque contre le mur du couloir, une fois que tous les convives ont quitté la salle à manger. "Pourquoi tu me fais ça à chaque fois ? Je fais des efforts et toi tu ruines tout. Qu'est-ce que je t'ai fait." Tu restes silencieuse, si tu ouvres la bouche tu n'en gagneras qu'une nouvelle claque. Elle lâche finalement prise et marmonne en marchant vers sa chambre. 'J'n'ai pas mérité ça, non, je ne l'ai pas mérité.'. Tu remets le col de ton t-shirt en place pour cacher l'hématome naissant là où elle t'a serré. Tout le monde est déjà parti se coucher alors tu te diriges à ton tour vers ta chambre.
part 3. stay.
"T'arrives pas à dormir ?" Tu sursautes, parce que tu ne l'as pas entendu arriver. Tu étais persuadée qu'il s'était endormi, lui. Il s'approche de la fenêtre où tu t'es assise et tu écrases ton joint contre le rebord pour ne pas l'enfumer (c'est ton petit frère, de quelques jours certes, mais tu cherches à tout prix à le protéger). "Peut-être que je suis juste somnambule." Vous habitez seuls tous les deux depuis que vous êtes arrivés à Harvard. Tu as l'impression que c'est ton père qui a forcé les choses, pour toujours garder un œil sur toi, mais la situation ne te dérange pas plus que ça. (C'est juste plus difficile de ramener tes partenaires dans ton lit sachant qu'il est là.) Tu t'entends bien avec lui, malgré les apparences que vous cherchez à donner. Vous avez toujours entretenu une compétition entre vous, à celui qui balancera le plus de pics, mais secrètement, vous tueriez celui qui touche à un seul cheveu de l'autre. Peut-être parce que vous avez grandi comme des jumeaux. Pas la même mère, mais le destin a fait que vous êtes nés à trois jours de différence. Pour faciliter les choses, vous avez toujours fêter votre anniversaire ensemble. Au final, vous avez toujours tout partagé. "Mère piquerait une crise si elle te voyait fumer." Sur cette note d'hypocrisie, il attrape ton joint pour le rallumer, et tu fronces les sourcils. Parfois tu regrettes qu'il a toujours cherché à te copier. Pour être honnête, tu aurais préféré qu'il suive le chemin de tes frères ainés. "J'l'emmerde. Et je t'emmerde toi." Tu récupère ton bien après lui avoir mis une claque sur l'arrière de son crâne. La drogue c'est mal, mais le vol c'est encore pire. Il soupire. "C'est pas de sa faute tu sais. Elle t'aime quand même." Tu hausses les épaules, c'est pas ton problème. Tu sautes de ton perchoir pour atterrir à côté de lui, et trace ton chemin vers ton lit. T'as pas vraiment envie de continuer cette conversation, tu sais très bien où tout ça vous mènera. "Ouais ? Ben c'est pas de ma faute non plus." Tu essayes de te rassurer en te disant ça, mais le problème c'est que tu n'y crois pas. Tu aurais préféré la détester, mais c'est toujours elle qui s'est occupée de toi, celle qui t'a vu grandir. Tu sais qu'au fond de toi, tu l'aimes, et peut-être qu'elle aussi parce qu'après tout, c'est ta mère. Tu fermes les yeux en espérant t'endormir, tu as toujours détester ces nuits d’insomnie.
part 4. give me love.
Tu rouvres les yeux, il n'est plus là. Ton cœur bat encore rapidement parce que la violence du claquement de porte t'a effrayé. Ça t'a fait remonté des souvenirs à la surface, et tu te sens nauséeuse à force d'y penser. Il te faut encore quelques secondes avant que ton corps ne se décontracte et finalement tu trouves la force de te lever vers la salle de bain. Tu observes dans le miroir la nouvelle marque qui apparaît autour de ton œil, ce coup-là va laisser une sale trace pendant plusieurs jours.
Parfois tu essayes de te dire que l'amour, c'est toi et lui. Tu te dis que ton père aussi a fait souffrir l'amour de sa vie, alors peut-être que c'est normal que lui, il te fasse souffrir aussi. Il te dit qu'il t'aime, qu'il est désolé, alors tu le crois jusqu'à ce qu'il recommence. De temps en temps, il te ramène des fleurs, tu souris niaisement et tu retombes dans son manège.
Tu essayes de cacher l'hématome avec du fond de teint mais rien n'y fait. Tant pis. Tu mettras des lunettes de soleil pour aller voir ton frère, pour éviter qu'il te dévisage une nouvelle fois. (Tu le rassureras en lui disant que c'était une porte, que tu es juste maladroite.) Tu entends la porte se rouvrir timidement. Il rentre dans la salle de bain mais tu ne quittes pas ton reflet du regard. "Ça tombe bien, moi aussi j'te déteste."
-Il s'est glissé derrière toi pour te prendre dans ses bras, il t'a susurré 'je suis désolé' avant de t'embrasser. Et puis de toute façon, qu'est-ce que tu y connais toi, à l'amour.-