Carte sur table (Camille)

Après avoir séché la classe de neige, préférant passer les fêtes de fin d’année à Cambridge et la plupart de mon temps de garde à l’hôpital, je trouvais que ce voyage à Paris tombait à point. Se changer les idées, couper un peu avec les cours et la surcharge de patients qui s’entassaient dans les services, passer du temps avec les membres de ma confrérie… Ce dernier point me paraissait d’autant plus important que l’annonce du doyen sur sa volonté de mettre fin aux systèmes de fraternités venait de nous parvenir. C’est en resongeant à cette dernière info que je descendis au restaurant de l’hôtel. Un séjour all inclusive rimait avec un passage quasi obligé au bar de ce dernier. Je me stoppais néanmoins un instant, reconnaissant la silhouette d’un dunster accoudé au comptoir : Camille. Fut un temps, je n’aurais pas hésité une seconde pour le rejoindre, lui donner une accolade amicale et lui proposer de lui payer un verre, mais les choses avaient beaucoup changé entre nous. Il avait disparu de la circulation ces derniers mois et avant cette fuite, nos relations n’étaient pas non plus au beau fixe. Le jeune homme m’en voulait, me rendant responsable de la rupture avec Calypso dont il avait toujours été très proche. Après un bref moment de réflexion, je choisis de le rejoindre quand même. Nous étions suffisamment grands pour boire un verre l’un à côté de l’autre sans nous prendre la tête. Approchant de lui, je le saluais assez froidement. « Hey Caldwell ! Ca fait un moment qu’on t’avait pas vu… » Je n’étais pas certain de l’attitude que je devais adopter avec mon ancien ami mais je ne pus m’empêcher de lui demander : « Comment tu vas ? » Après tout, il s’était évaporé tellement subitement, j’espérais que rien de grave ne lui était arrivé. Malgré les tensions qui nous avaient éloignés, je n’oubliais pas que Camille avait été un de mes très bons amis autrefois.

Priape n’était pas le seul à avoir séché la neige. Certes, les raisons étaient différentes vu que Camille revenait de son voyage improvisé en Europe. Du coup, il avait également passé une partie des vacances à l’hôpital. Il avait fallu s’expliquer avec la direction et différents services pour être repris. Du coup, on lui avait filé des heures à ne plus pouvoir les compte. Il avait souvent vu Priape mais apparemment, ils n’étaient pas prêts à se pardonner ou du moins à se concentrer sur les beaux moments de ce passé si lointain. Dans ses pensées, un cocktail à la main et une carte dans l’autre, il fut surpris en voyant quelqu’un s’asseoir à ses côtés, encore plus en reconnaissant l’auteur des faits. Priape. D’un ton assez froid, il salua le bizut. Genre logique. Tout aussi froidement, il rétorqua : J’avais des choses à faire. On peut mieux faire, en effet. Camille non plus n’était pas certain du ton ni de l’attitude à adopter. Malgré son plan sordide avec Sienna, le jeune homme avait décidé de revenir « meilleur », du moins, il s’accrochait très fort à cette idée, même si c’était peine perdue. Après quelques instants, il demanda si Camille allait bien. Bon, allez. Ca va. Je pense. Je suis revenu un peu avant la nouvelle année. Il ajouta même, se décrispant un peu. Et toi ? Depuis l’année passée… En plus, ça fit sourire Camille. Un sourire sympa, genre il vient de se rendre compte que les tensions existantes entre les deux hommes n’ont plus forcément besoin d’exister.

Le premier contact n’avait rien de très chaleureux, que ce soit de mon côté ou du sien. C’était bizarre de penser qu’en un an, depuis ma rupture avec Calypso, les choses avaient à ce point changé entre nous. Mon acolyte de médecine me manquait pourtant. Nos fous rires, nos commentaires sur le physique de la nouvelle infirmière, nos discussions passionnées sur les derniers cas hospitalisés dans notre service, tout cela me manquait, mon ami me manquait… Je pris donc sur moi, ravalant un peu mon égo pour lui demander comment il allait et je fus soulagé d’entendre que ça allait pour lui, mine de rien sa disparition m’avait quand même inquiété. Je fis signe au barman, commandant la même chose que Camille. Il déposa le verre devant moi. Mon ancien ami me retourna ensuite la question, avec un petit sourire. « Ca va aussi je crois… Tu sais, 2015 sera forcément meilleur que 2014. J’ai pris des bonnes résolutions genre ne plus laisser une fille s’immiscer entre moi et l’un de mes potes… » Façon détournée de dire que je regrettais un peu la distance qui s’était instaurée entre nous. Je m’emparais de mon verre et en bus une petite gorgée avant de reprendre la parole : « T’en penses quoi ? »

Leur égo. Le problème avec les deux jeunes hommes, c’est qu’ils avaient une personnalité assez marquée. La distance, le temps, la vie avaient fini par les séparer mais il était temps de rattraper tout cela, en y réfléchissant, c’était un peu stupide de perdre un ami pour une histoire qui commençait à dater. Priape commanda la même chose que lui. Il l’écouta parler, déviant son regard azure vers le sien. C’était tellement stupide. Cela faisait des années qu’ils étaient potes, Camille ne comptait plus le nombre de nuits passées à l’hôpital à rire, réviser, parler des petites infirmières bien mignonnes – ou beaucoup moins mignonnes – et simplement travailler, essayant de chercher une solution à un problème médical. Il prit son verre pour en boire quelques gorgées et répondit à son tour tout en levant son verre vers Priape. Plus jamais de meufs entre nous, j’suis d’accord. Camille se rendait bien compte qu’il avait foiré en prenant la défense de Calypso. Il aurait pu faire la part des choses mais réfléchir avant d’agir n’était pas dans ses principes, malheureusement. Camille recommanda deux verres, il fallait rattraper le temps perdu. Et peut-être s’excuser. J’ai des excuses à te faire. J’ai foncé tête baissée. Comme d’habitude quoi. Il le pensait sincèrement et était prêt à faire un pas en avant pour retrouver son pote de médecine.

Les filles, elles avaient le pouvoir de nous faire perdre la tête. Et puis Calypso, c’était pas n’importe quelle nana, alors autant dire qu’elle avait réussi à faire des ravages entre Camille, son meilleur ami et moi, son ex petit ami. Je fus néanmoins soulagé d’entendre le jeune homme approuver mes propos. Un petit sourire étira mes lèvres alors qu’il commandait deux nouveaux verres. Oui, il avait foncé tête baissée comme il le disait si bien et je lui en avais voulu, de prendre aussi facilement parti, de m’attribuer toute la responsabilité dans cette histoire, de ne pas me soutenir alors que finalement je souffrais tout autant que Caly après notre séparation. Mais la vérité, c’était qu’il n’était pas le seul obstiné de nous deux. Moi aussi je m’étais entêté, refusant de prendre en compte son attachement à la blonde, leur amitié qui l’empêchait certainement d’être complètement impartial. « Je crois que moi aussi je te dois des excuses. J’ai pas cherché à te comprendre, elle était ton amie et j’ai largement dépassé les bornes avec elle, alors tu as pris sa défense… » Ce genre de situation, c’était le risque quand deux têtus devenaient amis… « Bref, on oublie tout ça ? » Table rase sur le passé. Un reset alléchant pour redémarrer cette année sur de bonnes bases. Je prononçais ces derniers mots tout en levant mon verre vers le sien histoire de trinquer à ce nouveau départ. Puis après avoir reposé ma boisson, je demandais : « D’ailleurs, elle a réagi comment Caly lors de ton retour ? » Ca allait être agréable de pouvoir discuter avec Camille sans que ça se termine en éclats de voix, surtout qu'entre temps j'avais réussi à enterrer la hache de guerre avec mon ex alors plus de raison pour que Caly soit un sujet tabou entre nous.

De toute manière, dans ce genre de cas, il était inutile d'essayer d'être objectif. Camille ne l'avait pas été, comme des millions de personnes. Qu'importe les événements, on prenait parti pour l'un ou l'autre camp mais jamais les deux, c'était bien trop difficile. Le jeune homme de tourna vers son ami retrouvé et éclata soudainement de rire. Bien sur que tu me dois des excuses! Tu es responsable de tout Priape. Il termina par lui faire un clin d'œil, sachant bien qu'ils étaient tous les deux fautifs. C'est déjà oublié. En vrai, Camille n'oubliait jamais mais ce n'était plus le temps des représailles aux origines douteuses. En signe de paix, son verre rejoignit le sien pour trinquer. C'était horrible. Faut dire que mon départ anticipé ne lui a pas vraiment plu... Un sourire apparut sur son visage d'ange. Les retrouvailles ne s'étaient pas vraiment bien déroulées, comme il s'en doutait. Camille était parti sans tenir au courant son entourage, sa famille, des amis. Simplement sur un coup de tête. Calypso l'avait évidemment mal pris. Concernant Camille, il en voulait à la jeune femme d'être partie si longtemps. On s'est pris la tête, c'est un peu difficile en ce moment. Laisse tomber, ça s'arrangera. Ou pas mais il ne fallait pas oublier toutes ces années d'amitié. Il regarda son ami, dire qu'il y a quelques semaines, le mot Calypso aurait déclaré un conflit entre eux deux. Comment ça se passe avec elle? D'après ce qu'il avait comprit, ça se passait un peu mieux entre eux.

Je trinquais avec lui en souriant. « La prochaine tournée est pour moi alors, vois-y l’amende honorable de tous mes péchés à ton égard… » annonçai-je avec ironie alors que Camille plaisantait sur ma responsabilité dans cette histoire. Je m’étais ensuite inquiété de sa relation avec Caly depuis son retour… Horrible, c’était ses mots. C’était difficile, elle avait pas trop aimé le départ inexpliqué du jeune homme« Ca m’étonne pas d’elle a vrai dire. » Je connaissais suffisamment le caractère bien trempé de la demoiselle pour comprendre ce à quoi avaient du ressembler leurs retrouvailles. « Elle réagit comme ça parce qu’elle tient à toi… » confiai-je. « Si elle avait été indifférente là ça aurait été inquiétant. » Je voulais essayer de lui faire voir les choses sous leur meilleur aspect, mais une Caly en furie, j’étais bien placé pour savoir ce que c’était… Camille m’interrogea ensuite sur l’état actuel de nos relations. « Je crois qu’on peut dire qu’on est… amis… » dis-je en hésitant un peu sur le mot le plus adéquat pour nous qualifier. « Elle m’a invitée à sa soirée de thanksgiving. » annonçai-je fièrement. J’étais content qu’on ait réussi à passer le cap horrible des disputes incessantes à chaque fois qu’on se croisait. « Mais à vrai dire on s’est plus revus depuis cette soirée, mais je crois qu’on peut dire qu’on est en bons termes maintenant. » confiai-je. « Et puis je vois quelqu’un d’autre depuis peu. » Une nouvelle histoire c’était bien le signe qu’on avait guéri de l’ancienne non ?

Ce qu’il pêchait allait bientôt pouvoir être exaucé. Du temps, c’était ce qu’il fallait pour cicatriser, oublier et ne jamais revenir sur cette bêtise. Camille n’était plus le même qu’au début, plus le même qu’hier. C’était la même chose pour Priape et c’était dommage d’avoir raté cet entre deux, tant de choses devaient être rattrapées. Le jeune homme essaya tant bien que mal de rendre la situation Camille/Calypso un peu plus positive et enthousiaste. Ce n’était pas faux. Camille savait que Calypso tenait sincèrement à lui, il aurait peut-être dû se montrer plus compréhensif et empathique. Ce n’était décidément pas son truc… Peut-être. Elle a tout de même une putain de personnalité qui me donne envie de l’étrangler de suite. Dit-il calmement, terminant par sourire. Apparemment, ils étaient devenus des sortes d’amis ce qui était une excellente nouvelle. Priape avait même été invité pour Thanksgiving, ce qui était la preuve d’u renouveau. T’as tout gagné mon pote. La guerre est terminée. Tu vas te faire chier ! Dit-il en rigolant quelque peu, écoutant la suite avec attention. Il semblait bien qu’il n’était pas passer à autre sans raison. Il voyait donc quelqu’un depuis peu. Une nouvelle fille. Dis-moi tout ! C’est qui ? J’espère que tu n’as pas choisi l’une de mes nombreuses ex…

L’aveu de Camille concernant ses envies de meurtres à l’encontre de Caly me fit aussitôt sourire : « Difficile de rester de marbre devant Caly en effet, elle peut rendre dingue… » Ca me faisait bizarre de parler de mon ex comme ça, alors que désormais j’étais en couple. Je ne voulais surtout pas manquer de respect à ma nouvelle petite amie, même si elle n’était pas là avec nous et que ce ne serait certainement pas Camille qui irait lui répéter quoique ce soit, je préférais me corriger, enfin reformuler ma phrase d’une manière moins ambiguë : « Enfin je veux dire, elle sait être insupportable des fois… » Puis quand j’informais Camille de mon nouveau statut –d’ami- avec la blonde, il me charria gentiment. « Je crois que je pourrais m’habituer à cet armistice, t’en fais pas pour moi. » assurai-je avant de lui confier que j’étais en couple. « Regardez moi ce don Juan. » ricanai-je alors qu’il évoquait –ses nombreuses- ex. « Elle est arrivée qu’en septembre donc à moins que tu aies été jouer les tombeurs jusqu’en Ukraine, je pense qu’elle n’est pas sur ton tableau de chasse… » racontai-je avant de lui en dire un peu plus sur ma nouvelle petite amie : « Elle s’appelle Talya, tu la croiseras surement parce qu’elle est dunster et en quatrième année de médecine. » Je marquais une pause, baissant les yeux vers mon verre avant de poursuivre, beaucoup moins à l’aise quand il s’agissait d’une description moins scolaire et plus subjective de la jeune femme, en bon handicapé des sentiments que j’étais… « …et parce que mine de rien elle me plait énormément donc je risque de passer de plus en plus de temps avec elle… »