What would I do without you - Apolline

La cata. Ces deux petits mots résument assez bien ces derniers jours. Le voyage romantique et festif a très vite laissé place aux disputes. Heureusement, aujourd'hui, je m'évade un peu. J'ai prévu de passer l'après-midi avec Apolline et ça ne pouvait pas mieux tomber. Après la journée d'hier, avoir un peu de temps pour moi en pouvant bénéficier de l'oreille et des conseils d'Apo, je ne demande pas mieux. Je suis un peu en avance, n'ayant pas envie de m'attarder dans ma chambre et de croiser Aby, du coup je décide d'aller chercher la cabot directement dans sa chambre, tant pis pour le rendez vous qu'on s'était fixé. Ce n'est pas trop mon genre d'être en avance, d'habitude c'est plutôt le contraire, elle risque d'être surprise de me voir et va surement se douter que quelque chose ne va pas mais tant pis. De toute façon, je ne compte pas le lui cacher. Même si je n'ai pas forcément envie d'en parler finalement, j'ai juste envie de me distraire et de ne plus y penser. Histoire de me retarder un peu, de m'occuper et de ne pas me pointer les mains vides, je descends prendre deux chocolats chauds avant de remonter dans les étages. Cette fois, c'est la bonne, je toque à sa porte en espérant qu'elle soit là et pas quelque part sur les pistes ou ailleurs dans la station ou le château.

Ce jour là, il était prévu que je reste au calme. Dans un voyage comme celui dans lequel j'étais, il est toujours bon de se poser une journée et, il était vrai que les derniers jours avaient été teintés d'une effervescence qui touchait tous les résidents du château. Les fêtes de Noël quoi. Mais moi, je n'étais pas très à l'aise avec tout le monde donc j'étais restée un peu sur ma faim, métaphoriquement. Je savais que Jamie était là mais je n'avais pas envie de trop m'immiscer, il avait l'air d'avoir quelques soucis. Mais puisqu'on avait prévu de se voir aujourd'hui, j'étais rassurée : il savait qu'il pouvait venir me voir quand il en avait besoin.
Il restait pas mal de temps avant qu'on se retrouve, j'étais donc à moitié préparée, habillée, vite fait coiffée pour ne pas me faire peur, en position cocooning. Je m'étais levée tôt pour faire du sport - on ne se refait pas- et j'avais passé toute la matinée à me bichonner, ça faisait un bien fou. Mais alors que j'envisageais à peine d'enfiler ma panoplie "grand froid d'intérieur" -je découvrais qu'ici, il faisait froid même à l'intérieur parfois", j'entendis quelqu'un frapper à la porte de ma chambre. Étrange, ça ne pouvait pas être Jamie, il était rarement en avance, alors qui pouvait bien être derrière cette porte ? Dans un même mouvement, je saisissais un long cardigan de laine, une trouvaille de mon dernier voyage en Irlande, et l'enfilai. Je me précipitai vers la porte, inquiète, et l'ouvris d'un geste presque brusque, maîtrisant mal ma force, tout en sortant mes cheveux de sous mon cardigan, avec quelques difficultés. Un peu trop concentrée sur cette tâche, je ne regardai pas immédiatement mon interlocuteur, mon regard étant en premier lieu dirigé vers ses mains qui tenaient deux chocolats chauds. Je me radoucis alors, levant les yeux à présent vers son visage même si j'avais déjà compris que c'était lui. Mais immédiatement, ce qui me frappa, ce fut son expression. Je ne l'avais pas vue souvent, ce qui me faisait souvent penser qu'il ne me disait pas tout, mais elle montrait clairement que quelque chose n'allait pas. Comme pour contrer ce mal-être du mieux que je pouvais, je souris alors jusqu'aux oreilles en saisissant les deux chocolats.

" Salut ! Je ne t'attendais pas si tôt, entres, installe toi !"

Comme j'étais seule dans la chambre, elle n'étais pas immense mais fort heureusement, elle contenait le minimum pour recevoir : une table. Je posai les chocolats dessus puis fis signe à Jamie de s'asseoir où il le souhaitait, il y avait deux simple chaises. Je profitai de ma frénésie pour bouger quelques trucs, une sorte de rangement rapide même si ma chambre était toujours tenue propre et rangée. Je m'arrêtais alors, me tournant vers lui, et je lançai du ton le plus léger possible.

" Quelque chose ne va pas ? Il s'est passé un truc ?"

La porte s'ouvre et je m'en veux aussitôt. Voilà aussi pourquoi je ne suis jamais en avance. Je vois bien qu'Apolline n'a pas terminé de se préparer. Bon, en même temps, entre cinq et vingt-cinq minutes d'avance, il y a une différence : cinq, elle aurait été quasiment prête, vingt-cinq, elle ne l'est pas. Mais bon, maintenant que je suis là, je ne vais pas reculer. Surtout qu'Apolline m'accueille avec un grand sourire qui me fait le plus grand bien. Même si elle n'a pas du tout l'air dérangée de me voir débarquer aussi tôt, je ne peux m'empêcher de m'excuser. " Salut ! Je sais, je suis méga en avance, désolé, je commençais sérieusement à tourner en rond du coup je suis venu quand même. " J'entre dans sa chambre alors qu'elle me propose de m'installer en réceptionnant les deux chocolats chauds. Je parviens malgré tout à lui sourire en retour tout en retirant mon manteau que je dépose sur le dossier d'une chaise sur laquelle je m'assois ensuite, pendant qu'elle s'affaire à ranger deux-trois trucs -même si honnêtement, je ne vois pas bien ce qu'il y a à ranger, comparée à la mienne, sa chambre est impeccable. Dès qu'elle a terminé, elle se retourne vers moi et me demande sans tourner autour du pot s'il s'est passé un truc. Je me frotte la nuque, comme toujours quand je suis un peu gêné. Je ne pensais pas que c'était aussi évident. En général, je parviens bien à le cacher, à rester impassible. Mais Apolline me connait bien après toutes ces années. Et en même temps, il y a de grandes chances que les larges cernes que j'ai sous les yeux après ces deux dernières nuits d'insomnie me trahissent. " Hmm .. Ouais. " J'hésite quelques secondes à lui en dire plus. Plus j'en parle et plus ça rend les choses.. réelles. Même si c'est bête, parce qu'elles le sont déjà. Et puis ça risque de pourrir un peu l'ambiance, alors que je n'ai pas vu Apolline depuis plusieurs jours. Mais en même temps, j'ai cruellement besoin d'entendre son opinion. Elle a déjà tout suivi ces derniers mois et je pense qu'elle ne va pas en revenir elle non plus. " C'est Emma, crois le ou non, elle est revenue, pour de bon apparemment. Elle est venue me voir. " Revoir mon ex après quatre mois d'absence m'a clairement fait un choc. Surtout que je ne pensais pas que ça arriverait un jour. Je la laisse intégrer l'information avant de lui en dire plus sur la ou plutôt les disputes. J'entame mon chocolat chaud en attendant qu'elle s'installe avec moi ou qu'elle finisse de se préparer, comme elle le souhaite. De toute manière, on a toute l'après-midi pour en discuter.

Les histoires de coeur de Jamie avaient toujours été une sacrée épopée. Il n'y avait concrètement que deux filles concernées mais son coeur balançait sans arrêt entre les deux, et ces deux filles avaient visiblement décidé de lui mener la vie dure. Leurs décisions sur des coups de tête m'avaient toujours parues très déconcertantes mais je m'efforçais de ne pas juger. Je connaissais mon Jamie et j'étais certaine qu'il choisissait bien les femmes de sa vie, seulement, j'avais toujours bien prêté attention à ne pas prendre parti pour l'une ou pour l'autre. Pour la simple et bonne raison que je n'avais aucune préférence, déjà, mais aussi qu'il n'avait jamais eu à faire un choix entre les deux. Quand l'une disparaissait, l'autre apparaissait, c'était assez commode. Et ces derniers temps, il me semblait que les choses allaient plutôt bien avec Aby, je voyais Jamie plutôt heureux et à l'aise. C'est pourquoi l'annonce de la venue d'Emma me fit comme un choc. Pas le genre de choc à me mettre par terre, mais plutôt celui de l'inquiétude. Il l'avait aimée, peut être même autant qu'Aby, et sans doute que la revoir le faisait souffrir. Je tentais néanmoins de garder la conversation la plus neutre possible. Rien de tel quand on est dans un état de choc que de voir quelqu'un l'être aussi, ça n'a rien de rassurant.

" Oh... Et, qu'est-ce qu'elle t'a dit ?"

Réfléchissant encore à la situation, tentant de prendre le plus de recul nécessaire pour aider Jamie, je m'installai sur la seconde chaise et saisit mon chocolat. Une agréable sensation de chaleur raviva un peu mes doigts glacés, ce qui me détendit un peu. Après deux gorgées de ma boisson préférée, j'étais enfin bien concentrée, et prête à la réflexion. J'espérais seulement qu'il n'y avait pas eu de quiproquo et que la situation entre Jamie et Aby n'avait pas souffert de cette arrivée d'Emma. Ils avaient beaucoup travaillé sur leur relation pour qu'elle marche malgré tout, et voir tout ça fichu par terre serait horrible. A cette pensée, je fronçais les sourcils, imaginant toutes les situations possibles et comment sortir Jamie de ce potentiel bourbier.

J'aime l'effort que fait Apolline pour ne rien laisser paraître. Elle reste le plus neutre possible alors qu'elle intègre l'information. Je dois dire qu'à ce niveau là, on se ressemble beaucoup. Je ne suis pas du genre à m'extasier pour n'importe quoi, à partir dans les extrêmes -sauf quand je pars au quart de tour évidemment, c'est mon petit côté impulsif. L'inconvénient cependant, c'est que du coup je ne sais pas encore ce qu'elle en pense, c'est assez dur de le lire sur son visage. Même si je peux dire qu'elle est surprise elle aussi. " Oh... Et, qu'est-ce qu'elle t'a dit ? " Avant ou après la dispute ? Non, parce qu'elle m'a dit beaucoup de choses avec tout ça. Je bois un peu de mon chocolat en essayant de prendre un air décontracté -alors que je ne le suis pas du tout. " Elle m'a dit que je lui manquais, qu'elle m'aimait.. Elle m'a même embrassé. Mais ça c'était avant que je lui dise qu'il y avait quelqu'un d'autre. " Je prends une profonde inspiration en ressassant tout ça. Même si Apolline est ma meilleure amie, me confier n'est pas vraiment dans ma nature et c'est toujours un peu compliqué. Mais pour le coup, j'ai vraiment besoin de lui en parler. Après l'avoir tourné et retourné dans ma tête de toutes les manières, ça fait du bien d'extérioriser un peu. " Après, elle m'a insulté et a pris la porte. " Pour faire simple et lui passer les détails peu glorieux. Je termine ma boisson chaude et relève les yeux vers Apo. " Tu crois que je suis allé trop vite ? Que j'aurais du attendre avant de me mettre avec Aby ? " C'est elle la vraie question qui m'obsède. C'est ce que m'a reproché Emma, j'ai des doutes maintenant. Huit ans, on a attendu presque huit ans Aby et moi pour se donner une deuxième chance, ce n'est pas trop rapide. Mais quatre mois entre le départ d'Emma et ce nouveau départ, c'est ce délai là qui a peut être été trop court. Enfin, je ne sais pas, je ne pensais pas qu'elle reviendrait, je n'allais pas non plus l'attendre indéfiniment.

Je m'étais toujours félicitée de ne m'être jamais engagée très sérieusement dans une relation de couple. J'étais incapable de me lâcher, c'était ce qui avait mis un terme à la seule relation un peu sérieuse qui m'avait tenu à coeur. Et, en faisant le point sur la situation de Jamie, je me rendais compte que ce n'était peut être pas une erreur de rester fermée comme cela pour le moment. C'était ce genre de situations dans laquelle il était qui m'effrayait. Quoi qu'il en soit, il me fallait bien choisir mes mots pour ne pas l'influencer d'une mauvaise manière. L'encourager à ne pas se culpabiliser, sans prendre parti pour Emma ou Aby de façon trop subjective. C'était assez paradoxal, parler d'objectivité dans une histoire de sentiments, mais c'était bien mon style, fonctionner par la logique pour ne pas m'impliquer émotionnellement. Tout en réfléchissant, le regard baissé sur mon chocolat, je me mordais l'intérieur de la joue. Un tic qui avait rapidement remplacé chez moi celui de dévorer tout ce qui ressemblait à de la nourriture autour de moi. Je secouai la tête rapidement avant de prendre enfin la parole, trouvant le silence un peu trop pesant à la suite des paroles de Jamie.
" Bon. Pour commencer, sache que je n'ai aucun à priori, ni sur Emma, ni sur Aby. Je t'ai vu heureux avec chacune d'elle et pour moi, c'est ce qui compte en priorité."
Je fis une pause un instant, prenant une nouvelle gorgée de chocolat, tout en me mettant les idées bien en place.
" Néanmoins je pense qu'Emma a tort. Elle t'a laissé derrière elle, elle peut pas te reprocher d'être passé à autre chose, donc ne culpabilises pas pour ça. Elle est sans doute le choc parce qu'elle espérait que tu serais encore là à l'attendre. "
Je soupirai, avant de reprendre, avec un petit sourire, attendrie.
" Et puis... On parle d'Aby quoi. C'est une évidence ce qu'il y a entre vous et vous avez eu la maturité de vous redonner une chance et d'y aller en douceur, vous voulez construire quelque chose de durable ça se voit. Si Emma veut ton bonheur, elle peut pas te forcer à tout détruire pour elle. "
Je haussai les épaules avant de terminer.
" Elle est tout simplement sous le choc, et toi aussi. Essaies ne pas trop y penser, pour la laisser se faire à l'idée. Quoi qu'il en soit tu n'as commis aucune erreur. "