May & Will; When worse means better

Fréquenter les rues par un temps pareil est synonyme de maladie virale ou de moyen pour louper les cours pendant deux ou trois semaines. Ce n'est pas sans me tenter, mais la seule idée d'être cloîtré entre les quatre murs de ma chambre universitaire me répugne. Les fringues couvertes d'une eau plus glaciale encore que l'hiver et le Nirvana en coin de rue. Que faire ? Plonger ma routine quotidienne et les aléas de ma vie dans le fond d'une boisson alcoolisée ou rentrer pour regarder quelques épisodes d'une série rongée par l'argent qu'elle génère ? Il n'y a pas comparaison possible et le choix est vite fait.

À peine entré que la serveuse se trouve déjà dans l'ombre de ma position. « Que puis-je t'offrir mon chou ? » Voilà ce qui me plaît au Nirvana. Pas besoin de passer par de longues et futiles négociations. Un billet dans la poche d'une employée et vous repartez avec pour le restant de la soirée. « Un double whisky. » Dis-je après avoir relevé la tête pour toiser les lignes de son visage. Je me dois de lui montrer ma robustesse, prendre quelque chose réservé aux gros durs peut être une option.

Le regard perdu vers l'estrade qui accueille les représentantes de la populace, des demoiselles mêmes pas fichues de payer leurs études sans vendre leurs corps. Bonnes qu'à se représenter pour trois sous. Quelle médiocre soirée.

Les minutes sonnent comme des heures et les heures comme des journées. À un point tel que je me retrouve avec pour seule compagnie la serveuse qui m'observe entre deux nictations depuis mon entrée tardive.

C'est avec les doigts qui taquinent le rebord de mon verre fait de cristal que je vois Maylanee pointer le bout de son nez à ma table. Qu'est-ce qu'elle peut bien me vouloir sinon se jeter à mes pieds ou troubler l'apogée de ma réflexion ? « Un beau gars comme toi, seul dans un bar ? » Comme si c'était impossible. Je n'ai pas le temps de songer à une éventuelle réponse qu'un rire niais s'échappe de mes cordes vocales, non pas que je trouve la démarche innovatrice et astucieuse, mais plus médiocre et banale qu'autre chose. « Je peux vous retourner la question. Qu'est-ce que vous faites dans un établissement comme celui-ci ? » Je n'attache pas vraiment d'importance à son histoire ni à sa vie, la seule chose qui m'importe, c'est ma conscience et la torture qu'elle subit.

Ses formes évidentes et non dissimulées miroitent à deux pas de l'orbite de mes yeux et de mes mains. « Ça fait longtemps que vous travaillez pour le Nirvana ? » Je lance la discussion par une ruse qui vise à lui faire croire que je m'apitoie sur son sort. « Vous avez dû en voir défiler des sombres crétins. » Je n'échappe peut-être pas à la règle, mais il est bon de lui faire croire. Ne me reste plus qu'à voir sa réaction et calculer le nombre de coups qu'il me faut avant de pouvoir découvrir sa vraie personnalité, la seule chose qui me passionne chez l'être humaine.

Maylanee prend position à mes côtés pour un instant de répit. L'interlocution fuse, elle se confie à moi qui ne suis occupé qu'à espionner le blanc de ses yeux pour déceler ne serait-ce qu'une once de honte ou d'un sentiment proche.

« Depuis trois ans. » Vraiment ? J'admire secrètement les gens qui résistent à la banalité journalière. Comment peut-on travailler six mois sur la même idiotie, sur le même projet ? Imaginez vous que les seniors de nos sociétés font perpétuellement les mêmes trajets depuis plus de quarante longues années. Je peux prendre la porte de sortie, moi qui m'ennuie rien qu'au contact du bois de ma chaise de classe.

« Ça ne gâche pas vos études ? Je présume que vous êtes aussi étudiante, vu votre âge. » J'abandonne l'idée de la tutoyer, elle pouvait interpréter mon vouvoiement comme une marque de respect, et ce ne pouvait qu'être une bonne chose. « On voit des gens de toutes sortes ici. » C'était un euphémisme de proportions épiques, oui. On connaît rapidement les lieux à fréquenter ou à éviter sur le campus et celui-ci n'était recommandable qu'à la populace uniquement. « J'espère qu'à vos charmants yeux, je ne passe pas pour l'un d'eux. » Une phrase intimidante qui lèvera le voile sur sa réaction vis-à-vis de mes avances.

Peut-être pourrait-on envisager une suite. Un échange de numéros ? Un rencard pour le lendemain ? Quoique il faut vraiment que j'arrête ces rêves idiots.