LOOKING BACK TO THE STARS ☆ SPENCER

Ca faisait maintenant plusieurs semaines que Typhène est partie et je ressentais le manque. Même si on n'était pas les frères et soeurs les plus proches, j'aimais sa présence à Harvard. Elle était pas loin, je pouvais la surveiller, la guetter et prendre soin d'elle à ma façon. C'était ma petite soeur. Holly aussi était ma petite soeur mais c'était différent. Typh, c'était celle avec qui j'ai grandi, celle avec qui j'ai partagé mes peurs quand nos parents adoptifs nous battaient. C'était quand même une période assez sombre de nos vies et si j'ai besoin d'en parler, c'est pas avec Holly que je peux le faire. Elle n'accepte même pas la simple évocation de ma famille. Alors les Strudwick, j'en parle encore moins. Du coup, je m'étais bien dit qu'il n'y avait qu'une personne qui pouvait comprendre ce que je ressentais : c'était Spencer. Après lui avoir envoyé un sms pour savoir si elle était libre et dispo pour son petit frère, je m'étais rendu dans son quartier, retrouvant l'immeuble où elle habitait pour passer ne serait-ce qu'un peu de temps ensemble. Depuis que j'ai découvert qu'elle était aussi ici, je me sentais.. mieux. J'avais certes Diamantika et Walter mais je sais pas, Spencer c'était celle qui savait me calmer quand j'allais mal. J'arrivais devant son appartement, appuyant sur la sonnette afin d'indiquer ma présence à ma grande soeur.

Leur rapprochement à rebours n'avait pas duré longtemps. Du moins, pas assez pour Spencer. Venue pour Alexander, elle avait eu le bonheur de revoir aussi Typhène à Harvard. Mais c'était compliqué. Ils ne sont plus enfants maintenant, ne vivent plus ensemble, c'est chacun sa vie à chaque coin du campus. Le brun s'occupe d'une confrérie, Spencer s'occupe de les détruire, et Typhène elle, s'amuse entre tout ça. Mais elle avait décidé de partir, les laissant ici avec un manque. Ils continueront à se donner des nouvelles, mais elle ne verrait plus ses traits rieurs au détour d'un couloir de la fac. C'est qu'on s'y faisait vite, à revoir sa famille. La voir s'éloigner de nouveau n'en était que plus douloureux. Mais la demoiselle essayait de ne voir que le positif, et s'était d'ailleurs bien gardée d'en parler avec Alex, qui devait être dans le même état. Un sms de sa part la sortit de ses bouquins, et elle avait tout lâché pour donner forme humaine à son appart. Elle n’accueillait pas grand monde, ce qui l'encourageait à laisser le bordel régner. Enfin, le voilà ! La sonnette venait de retentir, l'étudiante se pressant vers la porte qu'elle ouvrait. « Saaaalut ! » Hum, okay, elle était toute contente la Spencer. Bref, se pousse de l'entrée pour le laisser passer. « Vas-y entre ! » L'appart était modeste, décoré avec une certaine sobriété. « Ca me fait plaisir de te voir. » Déclare-t-elle simplement avec un fin sourire, en déposant un baiser sur chacune des joues masculines.

C'était étrange quand même, toute cette histoire. Je veux dire, j'avais quand même passé une bonne partie de ma vie en compagnie de Spencer et Typhène. Près de huit ans, c'était pas rien. Puis d'un coup, plus rien, ou presque. J'avais été pris en charge dans une famille, elles deux aussi et c'était compliqué de garder contact. Un jour, on avait tout simplement arrêté de s'envoyer des lettres, laissant la vie continuer son cours. Mais les revoir, les intégrer de nouveau à ma vie, c'était comme une nouvelle bouffée d'air frais. Et là, on me retirait de nouveau l'une des deux. C'était dur quand même, et j'avais besoin d'un certain réconfort. Celui que ma femme ne pouvait pas me donner, celui que ma soeur biologique ne pouvait pas me donner. Celui que seule Spencer pouvait me donner. Elle était l'unique dans ce cas et c'était pour cette raison que je me trouvais devant sa porte. « Saaaalut ! » me disait-elle une fois la porte de son appartement ouverte, me laissant assez de place pour passer dix mecs comme moi. Bon, j'exagère, évidemment. « Vas-y entre ! » Je ne me faisais pas prier et je pénétrais dans son logement qu'il me semblait avoir déjà vu une fois, mais ça remontait quand même un peu. Ca faisait quand même un an qu'on s'était retrouvés et j'avais l'impression que c'était hier. « Ca me fait plaisir de te voir. » Je me mis à sourire alors qu'elle me faisait la bise et puis je lui en foutrais où je pense de ses bisous sur la joue. « Au diable la retenue, viens dans mes bras ! » disais-je alors que je la prenais, du coup, dans mes bras, en guise d'un bonjour digne de ce nom. Si j'étais tactile ? Un peu quand même, j'avais besoin de sentir mes proches et Spencer était sans conteste une des personnes les plus proches de moi.

D'accord, Spencer s'emballe. Elle ouvre grand la porte, la bouche, le sourire. Tout ce qui concerne Alexander est excessif. Il touche à la partie de sa vie la plus intense. Ils ne peuvent pas comprendre, tous les autres. C'est pour ça qu'elle n'en parle à personne. Parfois, elle ne veut pas s'imposer, pour ne pas lui rappeler cette période. Leur période. La glorieuse période des enfants Strudwick, liés comme un mur face à la violence. Et aujourd'hui encore, elle était sûre qu'ils étaient plus forts à plusieurs que seuls. Le fait que l'une d'entre eux s'en aille les fragilisaient. Il manque un maillon de la chaine. Du coup, c'est encore d'avantage fébrile que la demoiselle ouvre la porte, juste heureuse de voir son frère ici. Il n'est pas venu souvent, et elle ne se rend pas si souvent que ça à la mather. Elle n'aime pas spécialement cet endroit. Bref, elle lui plaque un baiser sur chaque joue. « Au diable la retenue, viens dans mes bras ! »  C'est qui, le plus grand des deux ? Bon, niveau taille c'est facile, elle est obligée de se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre ses épaules et l'entourer de ses bras. « J'suis pas encore habituée à ce que tu me dépasses ! » Elle se met à rire, s'écartant un peu de lui. Il y avait un tel écart entre le petit Alex qu'elle avait dans ses souvenirs, et l'homme qu'elle avait en face d'elle. « Bon je te fais pas visiter, t'es déjà venu je crois. » C'était pas si grand que ça, de toute façon.

Peu de personnes pouvaient comprendre l'enfer dans lequel nous avons été, nous les Strudwick. C'était une période sombre et assez difficile à décrire. Les coups, les brûlures, la maltraitance, c'était notre quotidien. Quand d'autres faisaient des chichis pour avoir un nouveau poney, nous tout ce qu'on espérait, c'était ne pas recevoir de coups dans la soirée. Tous les enfants que nous étions là-bas, on était tous soudés et unis. Et puis finalement, on a tous été libérés de cette emprise maléfique que les parents exerçaient sur nous quand les services sociaux ont appris pour nos traitements quotidiens. C'était un soulagement mais... nous n'étions plus ensemble. Spencer, Typhène, les autres. On avait tous été séparés, sans exception. Alors se retrouver à Harvard tous les trois, c'était un cadeau du ciel, un cadeau inespéré. Mais maintenant on n'était plus que deux, Spencer et moi. Et les câlins qu'on pouvait se faire. « J'suis pas encore habituée à ce que tu me dépasses ! » Puis elle s'écartait, riant légèrement en me regardant. C'est vrai que je n'étais plus le petit garçon d'il y a tant d'année. « Et je suis pas habitué à ce que tu sois plus petite que moi » L'étonnement allait dans les deux cas, de toute façon. Faut dire qu'on était jeune quand on a été séparé, je n'étais même pas encore entré dans l'adolescence. Il avait fallu cinq ans pour que je tourne mal et que je devienne petit à petit celui que je suis devenu, totalement différent du petit garçon que j'étais avant. « Bon je te fais pas visiter, t'es déjà venu je crois. » Je regardais autour de moi avant d'esquisser un léger sourire. « Il me semble ouais, enfin ça me dit quelque chose.. Faudrait que je vienne plus souvent, j'aurais pas ce doute » Après tout, ça faisait plus d'un an qu'elle était de nouveau dans ma vie mais on ne se voyait que rarement, il était temps de changer ça.

Voyez comme un même passé peut vous modifier de façon différente. Vous impacter chacun d'une manière. Ils avaient grandit chacun de leur côté, et étaient devenus des adultes. Un par route, un sur chaque rive. Regardez ce que vous avez fait de lui, le révolté. Spencer a tout absorbé, assimilé, car elle était la plus ancienne sûrement. Elle n'en garde qu'un sérieux problème avec la violence et son propre corps. Et des remords, pas mal de regrets. Presque chaque fois qu'elle pose son regard sur le mather, ça lui saute à la gorge. Une grande sœur, c'est censé protéger. Ce qu'elle n'avait pas su faire gamine et adolescente, elle n'y parvenait pas non plus adulte. « Et je suis pas habitué à ce que tu sois plus petite que moi » Son visage poupon s'orne d'un haussement de sourcil, et ses doigts le pincent au niveau du ventre. « J'suis pas si petite ! » Ouais bon, elle frôle le mètre 60 et doit lever les yeux pour le voir, certes. La demoiselle rit légèrement, avant de s'enfoncer à l'intérieur de son appartement, dans la partie salon. « Il me semble ouais, enfin ça me dit quelque chose.. Faudrait que je vienne plus souvent, j'aurais pas ce doute » C'est vrai. Ils se voient peu. La faute à.. un peu tout. « Ouaip.. tu devrais connaître cet appart par cœur ! » Lui lançant un regard par dessus son épaule avec un fin sourire, elle reprend : « Puis.. j'aime pas trop aller à la Mather House, alors t'as pas le choix. » Ne connaissant pas vraiment Billie, elle évitait de se rendre chez eux. « Tu veux un truc à boire ? » Avant qu'elle s'affale dans le canapé sans le courage de se relever. Elle faillit rajouter 'sans alcool', mais se retient, c'est pas le moment de jouer la sœur reloue.

Il était loin le temps où nous étions tous les deux des enfants étant victimes de maltraitance. Je veux dire, elle est grande maintenant, âgée, sa vie en main et c'était le cas pour moi également. Je veux dire j'étais marié, père et heureux propriétaire d'un appartement en ville. De quoi faire des heureux. « J'suis pas si petite ! » Je la regardais du haut de mon mètre quatre-vingt. Alors je haussais les épaules, le sourire taquin qui avait pris place sur mon visage. « Disons que... si, un peu quand même » Puis je me mis à rigoler parce que je venais de la taquiner et que je savais qu'elle avait tendance à faire la grande soeur maman qui n'aimait pas ça. Même si, au fond, je savais qu'elle adorait ça. Après tout, c'était une relation de qui aime bien châtie bien. « Ouaip.. tu devrais connaître cet appart par cœur ! » Je regardais un peu tout autour de moi avant de finalement reporter mon attention sur ma grande soeur, les yeux un peu plus grands ouverts. « Oui, oui, bien sûr ! » Non mais sérieux, pour le peu de fois que je venais, je n'étais vraiment pas capable de me souvenir de chaque recoin de ce logement. « Puis.. j'aime pas trop aller à la Mather House, alors t'as pas le choix. » Elle savait que j'avais un logement avec ma femme, et pourtant elle ne le mentionnait pas. Peut-être qu'elle n'aimait pas Billie ? Mh, à méditer. « Tu veux un truc à boire ? » Et la voilà affalée sur le canapé, et je sentais qu'elle n'allait pas se relever de sitôt. Sauf que, dommage, voilà que moi aussi j'étais affalé, sans aucun but de me relever par la suite. « Une bière, ou un soda, c'que tu as avec des bulles, meeeerci ! » J'avais tourné la tête vers elle avec un large sourire sur les lèvres, ne dévoilant aucunement mes dents. Ouais, un sourire forcé ouais, mais elle le connaissait par coeur celui-là.

Etre la grande, ça lui allait. Faire la protectrice, celle qui pense aux autres plus qu'à elle-même, c'est tout Spencer. Vieillie un peu trop vite. Ce qui se sent dans son caractère actuel, et son rapport au monde étudiant. Après avoir quitté les Strudwick, elle s'était retrouvée comme seule enfant dans une nouvelle famille, et elle dû continuer à s'assumer. Voilà, c'est comme ça qu'on devient une student qui déteste les confréries, et a peur de ce qu'elles font sur son frère.  Il aurait pas pu choisir la Lowell non ? Ou la Quincy, un truc de gentil, où ça se bataille pas pour la dernière canette de bière. D'ailleurs, quand la demoiselle lui propose une boisson, il ne trouve pas mieux que lui répondre : « Une bière, ou un soda, c'que tu as avec des bulles, meeeerci ! » Sourcils qui se froncent. « J'ai que des sodas, alors ça sera soda. » Bref sourire qui veut tout dire, et pieux mensonge. On va pas parler des bières dans le placard. Voilà, boisson choisie. Et personne ne bouge. Son frangin la regarde avec ce sourire idiot qu'elle connaît. Ouais, il attend qu'elle se lève quoi. Normal vous me direz, c'est elle l'hôte. « On est en famille, tu peux faire comme chez toi et te servir ! » Qu'elle place mine de rien, comme une formule de politesse. Alors qu'il s'agissait plus d'une formule de flemme. Et glisse, innocente : «  Quand t'y seras tu pourras m'en prendre un aussi. » Coup d’œil discret vers Alexander, sait-on jamais que ça marche.

J'avais toujours eu tendance à me reposer sur Spencer quand elle était dans les parages. Durant toute mon enfance, elle était ma grande soeur, la seule sur qui je pouvais compter avec les autres qui étaient dans le même cas que moi chez les Strudwick. Aujourd'hui, ça n'avait pas changé. Certes, j'avais Walter qui comptait énormément pour moi et qui était mon grand frère, mais Spencer c'était différent. « J'ai que des sodas, alors ça sera soda. » Je hochais la tête, soda ce sera. Sauf que du coup, j'avais pas bougé mon cul du canapé et elle non plus. Je lui avais même fait mon sourire de petit frère adoré auquel elle ne pouvait pas résister mais elle n'avait pas l'air d'y mettre de la volonté. « On est en famille, tu peux faire comme chez toi et te servir ! » Je la regardais, feignant d'être choqué tant elle se servait de notre lien familial pour que je me lève et que je prenne sa boisson en même temps que la mienne. « Quand t'y seras tu pourras m'en prendre un aussi. » Croisant les bras contre mon torse, je continuais de sourire de façon presque narquoise avant de hausser les épaules et regarder droit devant moi, la flemme de me lever me faisant alors la défier pour que ce soit elle qui se lève. « Au pire, on boit rien et puis voilà. » Surtout que je n'avais pas particulièrement soif alors j'étais pas obligé de me forcer à boire parce qu'elle me l'avait proposé.

Contexte difficile ou pas, ça ne les a pas empêché de développer une relation frère/soeur des plus classiques. Soit, la grande sœur un peu trop protectrice et inquiète, et le petit terrible. Un diablotin qui sait bien revêtir son auréole quand la situation l'arrange. Le pire là-dedans, c'est qu'il sait que Spencer a du mal à lui dire non, et qu'il en profite. Pourtant, elle essaye. Comme maintenant, détournant le regard alors qu'il lui sort toute la panoplie Alexander-ienne. Les yeux qui vrillent vers le haut, de l'air de la désespérée de tant de flemmardise. « Au pire, on boit rien et puis voilà. » Voilà, ils en sont là. Irrécupérables. Allez, tient bon Spencer. Finit le règne d'Alexander Ier. « Non. » Elle croise les bras contre son ventre, essayant de se donner plus de prestance qu'elle n'en a. « C'est moi l'ancienne, t'es censé.. m'écouter ! » Tente de se donner un air énervé, mais ressemble a un mignon petit poussin qui s'égosille. Puis franchement, ça se saurait s'il écoutait ce qu'elle lui disait. Décroisant les bras, elle choppe un coussin et le frappe avec derrière la tête. « DEBOUT ! Allez feignant ! » Lèvres pincées, tente de ne pas se marrer.