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Le panonceau "open" était suspendu sur les portes battantes du Lorem Ipsum Books. Thomas franchit le seuil de la librairie pour la première fois cette année, il n'y allait qu'en de rares occasions. Il n'avait pu y couper en ce début de semaine, la liste des livres obligatoires pour l'année venait de tomber et il y en avait un en particulier qui n'était pas référencé à la bibliothèque d'Harvard. Il se dirigea par automatisme dans la section qui l'intéressait, le rayon "Sciences". Suivant des yeux le classement des auteurs, il laissa son doigt parcourir la tranche des livres dont l'auteur commençait par "F". Fante, Farrel, Federman, Franzen. Thomas s'y repris à deux fois pour être certain ne pas être passé à côté mais il savait qu'il ferait chou blanc. L'ouvrage de David Felten ne semblait pas disponible à la vente. Il était sur le point de reprendre le chemin d'Harvard lorsqu'il passa devant le comptoir d'accueil. Une jeune femme rangeait des livres, avec un air affairé.
Après tout, qui ne tente rien...Thomas se rapprocha du comptoir et attendit quelques secondes que la jeune femme remarque sa présence avant de lui demander un coup de main :
- Je recherche un livre de David Felten, il est plutôt récent, il date de 2011. Je n'ai rien vu dans le rayon sciences mais je préfère me renseigner au cas où... dit-il en souriant à la demoiselle.

Pendant que la vendeuse pianotait sur le clavier d'un air expert, contrôlant certainement les stocks, Thomas s'accouda au comptoir, dans l'attente d'un verdict. Même s'il y avait plusieurs librairies dans les parages, il n'avait pas prévu de passer l'après-midi à courir après un seul et unique livre ! Il aurait même dû penser à le commander sur internet pour s'éviter un voyage. Il afficha un air défait lorsque la jeune femme lui indiqua que le livre tant attendu était bel et bien en stock...et qu'il était certainement passé à côté. Et dire qu'il avait pourtant vérifié la rangée deux fois de suite. Pourtant, il ne broncha pas lorsqu'il reprit la direction des rayonnages, cette fois-ci en bonne compagnie. Reprenant les mêmes gestes que Thomas quelques minutes plus tôt, la vendeuse entreprit de vérifier les tranches des livres disponibles dans le rayon. Elle ne trouva pas plus de David Felten que Thomas et s'absenta quelques secondes pour revenir avec un escabeau. Étrangement, la pièce en métal n'inspirait pas confiance à l'étudiant qui avait vu plus d'un accident cette année. Tellement d'établissement les conservait en mauvais état et laissaient leurs employés grimper dessus, Thomas savait comment ça finissait. Par réflexe, il cala le petit échafaudage contre son épaule, c'était plutôt facile avec une carrure imposante. La jeune femme ne semblait pas avoir de mal avec les marches mais la poussière semblait par contre, l'incommoder. Thomas suivit la progression de la vendeuse tout le temps de sa descente.
- Je peux attendre, dit-il avec empressement. Il s'agenouilla sans réfléchir auprès de la jeune femme, ses réflexes de secouriste avaient souvent tendance à refaire surface et les quintes de toux qu'il entendait semblaient venir de loin...ça va aller ?

D'un signe de la main, Thomas indiquait aux collègues de la jeune femme que tout allait bien. Il avait l'habitude de ce type de situation, peut-être un peu trop à son goût. Il avait même parfois l'impression qu'il était souvent là au bon endroit, au bon moment. La vendeuse avait surtout besoin d'air et voir ses collègues s'agglutiner autour d'elle était certainement la dernière chose dont elle avait besoin. Ses quintes de toux ne semblaient pas perdre en intensité et Thomas hésita quelques instants à téléphoner à d'anciennes connaissances des urgences si le jeu ne se calmait pas.
- Je sais que c'est facile à dire, mais essayez de respirer doucement. Il avait peur que son coeur s'emballe, elle prenait le risque de faire un malaise du milieu de la librairie. La réponse de l'étudiante l'alarma.
- Vous êtes allergique ou asthmatique ?, il avait déjà vu ce type de crise. Est-ce vous sentez une gêne au niveau de la poitrine ? demanda t-il en montrant d'un geste le haut son torse. Il espérait que sa réponse soit négative, une sensation d'étouffement ou de trouble au niveau de son thorax pouvait être le signe d'une crise aggravée. Vous êtes sous traitement le reste du temps ?
Il avait l'impression de se retrouver dans un des exercices pratiques imposés lors de la formation de secouriste sauf que la jeune femme était véritablement en danger, rien à voir avec un vulgaire mannequin de plastique. Il se leva sans questionner davantage la vendeuse et détailla le comptoir, à la recherche d'une bouteille plastique. Tendant la bouteille à la jeune femme, il sortit son téléphone portable et commença à pianoter sur les touches, prêt à passer un coup de fil si besoin.

Il gardait les yeux rivés sur le visage de la jeune femme, en espérant ne pas la voir tourner de l'oeil. Sa toux empirait ; Thomas comprit rapidement que ce n'était pas bon signe. Il y avait forcément quelque chose à faire avant de téléphoner aux urgences...d'autant que la vendeuse semblait une habituée de ce type de crise. Elle eut le réflexe de fermer les yeux et tenta de contrôler sa respiration. Thomas ne lui avait donc rien appris sur la gestion de son souffle, elle le savait déjà...
- C'est ce que je pensais, dit-il d'un ton qui se voulait rassurant, j'ai besoin de savoir où est votre ventoline. Vous en avez sur vous, dans votre sac peut-être ? La jeune vendeuse avala goûlument quelque gorgées d'eau mais rien n'arrivait à calmer ses quintes de toux. Peut-être que l'eau tempérait la toux quelques secondes, mais ça n'avait rien de magique. Thomas leva les yeux à temps pour s'apercevoir que malgré son état, la vendeuse essayait de se relever, en s'appuyant sur tout ce qui lui tombait sous la main. Notamment, cette étagère qui semblait en piteux état. Thomas n'eut même pas le temps de comprendre ce qui se passait, l'étagère s'affaissa sur le sol dans un grand fracas. Pourtant, lorsqu'il ouvrit les yeux, il était à plusieurs centimètres de la veille étagère. La jeune femme était tout près de lui, elle avait eu le réflexe de le pousser avant que tout ne s'effondre !
- Merci, je crois que ce n'est pas notre jour...tenta de commenter Thomas avec un sourire, pendant que les employés de la libraire s'affolaient autant que les clients. Allongé sur le sol, il se tourna sur la côté pour faire face à la vendeuse, roulée en boule juste à côté de lui.
- Tout va bien ? lui demanda t-il en posant une main sur son dos. Il avait vraiment besoin d'aller chercher sa ventoline maintenant.

Il sentait la respiration de la jeune femme proche de son visage, il n'était qu'à quelques centimètres d'elle. Sa toux semblait légèrement plus contrôlée même si ses traits restaient tirés et fatigués. L'asthme n'était jamais facile, il y avait des lieux à éviter, c'était même rageant de se savoir dépendant d'un traitement. Elle devait avoir à peu près le même âge que lui...Les respirations de la vendeuse s'espacèrent un peu plus et le rouge quittait peu à peu ses joues. Un bon point, la jeune femme avait bel et bien de la ventoline, mais pas sur elle. Il se retint de grimacer, ce n'était plus l'heure de savoir qui avait l'autorisation de rentrer dans une pièce, il avait besoin de l'accompagner pour vérifier que la ventoline suffirait à la remettre sur pied.
- Je vois, je vous attendrai à la porte s'il n'y vraiment pas moyen de vous accompagner à l'intérieur... A vrai dire, il ne semblait pas vraiment avoir le choix. Il était à deux doigts de demander à parler à un responsable. La toux de la vendeuse ne s'arrêtait plus, il était grand temps d'agir. Tant pis pour l'autorisation, il l'accompagnerait jusqu'à la limite autorisée.
- Je crois surtout que vous n'allez pas revenir ici de sitôt.
L'étudiant sourit malgré lui. Il avait remarqué qu'elle parlait avec un léger accent mais n'aurait su dire de quel pays elle était originaire.
- On va chercher votre traitement, je vous accompagne, poursuivit-il avec un ton qui ne laissait pas place à la discussion. Si votre responsable vous reproche quoique ce soit, vous n'aurez qu'à lui dire que j'ai insisté ! Il se leva à son tour et tendit son bras gauche à la vendeuse.
- Appuyez-vous sur moi, dit-il avec un sourire.