(+Devyn) Face the ennemy

1,2,3, cette fois-ci, on reste plongé dans son bouquin et on ne relève pas les yeux. Voilà, comme ça, laisse donc les beaux mecs passés, pas besoin de les reluquer, tu as un cours à apprendre. Merde, mais pourquoi il a relevé la tête ? C'était toujours le même problème avec Eugene lorsqu'il s'installait dans le parc, il ne savait plus où donner de la tête. Il y avait tant de drôles de personnes qui passaient, ou de beaux couples, ou des filles assez vilaines qu'il se faisait plaisir à ricaner. Il était pas concentré en vrai, voilà. Le rôle des neurones dans la guérison, bah, ça l'intéressait pas. T'façon, il fera comme les autres fois, il se prendra une cuite deux veilles avant son exam, se mettra à paniquer la veille et révisera toute la nuit, si on l'y laissait. Là, il avait pourtant réussi à se dépatouiller des Mather, qui voulaient une nouvelle fois se lancer dans une activité complètement folle. Leur folie était parfois contagieuse, parfois effrayante. Il ressortit son portable, et décida d'aller fouiner un peu du côté du net. Hop, il venait de check, en quelques minutes, les facebook de ses exs, ceux dont il espérait avoir un rapprochement et les profils des Eliot qu'il haïssait au plus haut point. Ça ne l'étonnerait pas qu'ils soient à l'origine du nouveau numéro du Cambridge's Secrets, vu qu'il n'y avait pas été cité. Fallait aussi avouer qu'il avait passé un été platonique, sous tous les points. Une seule chose en était ressortie de ça: son célibat retrouvé ! Dommage qu'il n'y soit pas retourné avant dans ce petit quotidien où on ne pensait qu'à soit .. Tiens, il avait eu raison de délaisser son manuel quelques instants, puisque déjà dans l'allée se promenait le bonhomme le plus laid de l'histoire d'Harvard. Allez, il allait le laisser passer, se planquant derrière son bouquin, pour mieux lui tomber dessus. Ils avaient des choses à se dire après tout !

La journée n'était pas franchement aussi mauvaise que tu l'aurais parié. Apprendre que ton couple faisait partie des derniers potins de SC ne t'avait pas vraiment réjoui : tu avais horreur des racontars et ne t'en étais jamais caché. Etre la cible de ceux-ci tout seul, tu t'en fichais pas mal... mais qu'on parle de ta vie plus que privée n'était franchement pas à ton goût, même si tu aurais dû t'en douter d'un côté. Vous aviez été discrets, mais il avait toujours des risques d'être vus par d'autres personnes... et l'homosexualité pouvait encore être mal acceptée par un grand nombre de personnes. Tout ce que tu espérais, c'était qu'on fiche la paix à William à ce sujet : toi, tu avais l'habitude de faire face quelque soit le sujet, tu tiendrais facilement... mais tu ne savais pas si ton petit-ami était tout autant préparé que toi. Au final, tu étais quand même soulagé de voir qu'hormis quelques regards plus appuyés, tu n'avais pas eu de réel problème, et cela éclaircissait quelque peu ton humeur. Tu avais même décidé de profiter de l'entraînement musical de William pour aller travailler à l'extérieur, au soleil, ce qui ne t'arrivait pas si souvent que cela. Marchant d'un pas assez rapide, tu remontais l'allée menant à un petit coin précis où tu avais l'habitude d'aller, non loin du Tercentenary Theater, alias le meilleur théâtre selon toi. Tu ne faisais pas réellement attention aux gens autour de toi, l'esprit fixé sur ton objectif de route, passant simplement une main dans tes cheveux qui te caressaient doucement la nuque, puis la fine barbe qui recouvrait tes yeux. Celle-là, il allait falloir que tu la rases franchement : tu avais eu peu de temps pour cela, mais tu avais toujours autant de mal à t'y habituer. Tes réflexions intérieures s’arrêtèrent cependant lorsque tu arrivas devant un arbre où tu te laissas tomber, sortant tranquillement tes récentes notes de cours d'arts visuels. Si tu avais su que tout ne serait pas aussi calme que cela en avait l'air...

Enfin un peu de lumière dans cette journée. Il n'avait rien prévu de spécial le petit allemand, et pourtant, Mère Destin lui avait livré sur un plateau d'argent ce qu'il aimait le plus: martyriser les abrutis, et encore plus lorsqu'il s'agissait de Devyn Gale. Arfgh, qu'il portait bien son nom celui-là, la gale incarnée ! Une espèce de maladie qu'on pouvait combattre avec beaucoup de d'efforts mais qui finissait toujours par revenir pour vous persécuter. Et il n'y avait pas erreur sur la personne ici: Devyn avait tout simplement humilié le beau brun, et ce, devant tout Harvard. Cambridge's Secrets avait été très maligne elle, elle avait d'abord omis de parler de l'excellent Eugene pour insister sur le garçon le plus perdu de la faculté, l'affublant d'ailleurs du très convoité titre du "Gay le plus classe". Classe ? Lui ? Avec sa barbe ? Et que pouvait-on dire de son mec ? Nan, la blogueuse avait évidemment prévu les répercussions d'un tel couronnement injuste. Elle savait qu'Eugene allait serrer la vis avec Devyn, et c'était exactement ce qu'il s’apprêtait à faire en le rejoignant. « Tiens, tiens, si ce n'est pas le gay le plus auréolé d'Harvard, quelle honneur, je ne vous dérange pas votre Majesté ? » vint-il se planter devant lui, la voix cynique et le regard mauvais, le tout caché sous un faux sourire et une attitude faussement amicale. Il remarqua le calepin de sa cible, et lui arracha des mains pour l'envoyer valser plus loin. « Je suppose que non maintenant » rectifia-t-il, étant à présent certain que Devyn n'allait pas l'ignorer en fourrant encore un peu plus son nez dans ses notes. « Qui aurait cru que tu aurais le courage de faire un coming out aussi remarqué ? Bravo, chapeau vraiment, bien qu'à l'origine je pensais que ce Willoche de pacotille était censé être un ami .. Soit, je voulais te remercier, grâce à cet article calomnieux te qualifiant de "Gay le plus classe", bien que j'ai du mal à voir en quoi une barbe, des cheveux sales et gras et un nez crochu peuvent te donner accès à un tel titre, j'ai pris conscience que j'ai été trop gentil avec toi ces derniers temps. D'où le remerciement que je reçois, je ne te distraie plus et toi, tu me fais passer pour un imposteur. C'est bien beau d'essayer de me dénigrer sur les réseaux sociaux, mais là, en face, tu fais autant le malin ? » conclut-il avec fermeté, les bras croisés sur sa poitrine. Il n'en demeurait pas moins satisfait notre petit Gégène. Dieu ce qu'il adorait ses speechs, ils étaient si entraînants, ça lui mettait du baume au coeur à chaque fois.

u étais toujours trop concentré lorsque tu travaillais, tu te disais à chaque fois qu'il fallait que tu sois plus aux aguets en travaillant en public, ainsi exposé à n'importe quel problème. Oui, tu avais toujours la malheureuse poisse d'attirer les gens ne t'appréciant pas quand tu décidais de te poser hors de la Lowell House et de la bibliothèque. Lorsque tu reconnus la voix d'Eugene qui était juste devant toi vu ce que tu en vis en relevant très légèrement la tête de tes notes, tu t'en rappelas brutalement, et en pestas intérieurement. Tu ne l'avais pas revu depuis l'arrivée au Summer Camp, et tu t'en étais franchement bien porté : plus d'affaires gâchées, plus de piques vicieuses à la figure, tu t'en passais bien volontiers. Il semblerait que cette tranquillité toute relative touche à sa fin, hélas. Qu'il t'appelle le gay le plus auréolé d'Harvard signifiait également une chose : il avait vu l'article de Cambridge's Secrets, et allait t'apporter les premiers ennuis qui allaient en découler. Tu aurais voulu fuir, ou être dans un endroit avec plus de monde, mais personne ne traînait dans le coin pour le moment, hormis vous deux, et tu étais à sa merci. Naïvement, tu aurais voulu que garder la tête vers tes notes le ferait disparaître, mais ton petit carnet te fut arraché des mains et lancé plus loin dans l'herbe. Heureusement qu'il ne pleuvait pas et qu'elle était sèche, tu aurais vraiment perdu tes notes sinon, ce qui aurait été franchement gênant. Tu étais donc obligé de remonter la tête maintenant, le voir avec son air mauvais contredisant son allure plus amicale de base. Tu allais sûrement passer un quart d'heure, et ce sur un faux prétexte, cela était réellement rageant, alors que tu ne pouvais rien y faire. Tu savais ce que donnait tes tentatives de rébellion à son égard, tu l'avais vu la dernière fois où ta réplique l'avait fait te vider la totalité de ta valise sur le sol de l'aéroport. L'humiliation n'en avait donc été que plus violente. Eugene te disait que tu l'avais provoqué de par cet article alors qu'il te laissait tranquille... mais ce n'avait jamais été le cas. Si tu avais pu éviter que votre couple soit ainsi "honoré", tu aurais tout fait pour ça. Enfin, ce qui semblait surtout le gêner,  c'était ton titre de "gay le plus classe", ce qui aurait pu t'amuser de la part de tout autre personne que lui. Sérieusement, s'il le voulait, qu'il prenne volontiers. Je n'ai jamais demandé à ce que cela soit divulgué, ni à avoir ce titre à la noix. Pensait-il, très sincèrement, que tu avais envoyé ce "potin" ? Tu avais franchement autre chose à faire que cela. Tu avais tâche de reculer et de te redresser un peu, mais le tronc de l'arbre te frottant le dos te rappela que tu ne pouvais pas vraiment t'écarter de lui. Je ne suis pas du genre à insulter les gens de dos Eugene, mais demande des explications directement en écrivant à Cambridge's Secrets. C'est peut-être parce que tu n'es plus en couple et que tu ne t'exposes donc plus comme gay de ce fait. Cela était une explication logique et rationnelle après tout, mais tu réalisas après que tu venais juste de lui balancer qu'en gros, toi tu avais trouvé quelqu'un et pas lui. Plus qu'à espérer qu'il s'en fiche complètement ou sinon, tu étais encore plus cuit qu'avant.

On saluait souvent la sagesse d'esprit ou encore la force de la tranquillité lorsqu'il s'agissait de disputes, de désaccords. Ici, Devyn illustrait assez bien ce concept, il essayait de pas bouger d'un cil, Eugene pouvait le sentir, et ça l'énervait. Oui, après c'est lui qu'on allait prendre pour un fou, à gueuler comme un putois contre un étudiant lambda préoccupé peut-être plus par ses études que par la vie sentimentale de ses pairs. Eugene n'offrait assurément pas un bon exemple en matière d'étudiant en neurosciences, lui qui utilisait les mots "retardés" "gogole" et "trisomique" à tout va. Trisomique, ce mot demandait à être employé à présent lorsque Devyn prit la parole. Dieu, mais est-il sérieux ? « Mais t'es sérieux ? J'suis sûr que tu t'es exhibé dans toute la rue parce que t'étais trop excité d'avoir enfin pécho un être humain et laisser ta peluche dans le placard ! » s'offusqua Eugene, les yeux grands écarquillés et la bouche quasi-ouverte. Ouais, il avait définitivement la tête d'une personne scandalisée. Et voilà qu'il jetait le blâme sur Cambridge's Secret ! Dans cette histoire, elle avait été l'unique personne honnête. Il allait argumenter sur le fait de ne pas empiéter sur les plates bandes des amis mais la fin de sa phrase déclencha une toute autre réaction. D'un coup, l'allemand devint sérieux, et ce n'était vraiment pas bon signe. « J'ai pas besoin d'être en couple pour être bien dans ma peau moi, ou pour prouver que je suis gay, chose que je n'ai jamais renié ni démenti ni eu honte, alors que toi, pour que ça sorte de nulle part comme ça, tu devais bien te détester avant de faire officiellement ton coming out » déclara-t-il alors, préparé à piquer Devyn sur un sujet plus sentimental que superficiel. Ouais, Devyn était un gay qui s'assumait pas au fond.

Un jour, peut-être, tu comprendrais qu'il ne fallait pas répliquer quoi que ce soit à Eugene, et que la meilleure solution contre lui était le silence complet. Oui, il en profiterait sûrement pour casser tes affaires ou les jeter comme il l'avait fait avec ton carnet de notes. Si cela se limitait à cela, c'était certes humiliant, mais tu pouvais tenir, et lui passerait pour une diva hystérique, ce qu'il était vraiment. Vouloir l'attaquer à l'oral était par contre forcément synonyme de gros problèmes à l'horizon. Certes, tu étais resté calme et tu n'avais aucunement haussé le ton, tu sentais cependant que tu n'allais pas tenir très longtemps s'il commençait à s'attaquer à ton couple. Tu n'avais pas un orgueil très développé et ton sang était relativement froid, mais s'il y avait bien une chose sur laquelle tu étais très chatouilleur, c'était bien cela. Qu'on s'en prenne à toi, passe encore : tu étais relativement habitué, et tu tenais à peu près bien le coup. Qu'on s'en prenne par ton biais avec William t'était par contre intolérable, car lui n'avait absolument rien demandé de tout cela. Je ne suis pas un coq au milieu de sa basse-cour, moi. Oui, Eigene, souvent, se la pétait avec ses amis, et cela n'avait guère été mieux, lors des rares fois où tu l'avais aperçu avec Ludwick pendant le Summer Camp. Toi, tu n'avais pas "pêcho" William volontairement à la base, et si tu n'avais pas été ivre ce jour-là, rien ne se serait sans doute produit. Etre célibataire ne te gênait pas du tout, c'était même la première fois que tu étais en couple... pourquoi tu te serais exhibé alors que tu tenais à ta vie privée ? Lui était peut-être ainsi vu son narcissisme, mais vous étiez totalement des opposés tous les deux ! Tu regrettas cependant ta pique quelques instants plus tard, lorsqu'il commença lui aussi à être plus incisif. Tu avais pâli d'un seul coup, car il n'avait pas totalement tort dans l'histoire : ce n'était pas parce que tu savais que tu étais bisexuel que tu allais le crier sous tous les toits. Tu n'avais jamais été du genre à le dire à quelqu'un, et même William ne l'avait su que lors de tes aveux, et pas avant. Étais-tu mal dans ta peau pour autant ? Force était de constater que tu n'avais jamais été le plus à l'aise à ce niveau-là, tu avais été pudique à l'extrême, et seul ton petit-ami t'avait déjà vu autrement que tout habillé. Le coming-out est fait pour ceux qui ont besoin d'avoir l'accord des autres pour aimer quelqu'un du même sexe, et ce n'est pas mon cas. Ta réponse aurait pu être plus incisive, si tu ne tentais pas toujours de te reculer loin d'Eugene, ou si ta voix avait été plus ferme... mais c'était déjà ça, non ?