La petite visite de bizuts

Dans deux jours tu déménageais chez les Lowells. Deux petits jours de rien du tout, mais tu avais déjà particulièrement hâte. C'était vraiment un changement de cap pour le petit solitaire que tu avais toujours été, tu allais vraiment faire partie d'une communauté, et tu en étais tout excité. Nouveau logement, nouvelle équipe, tout t'attirait, et cela expliquait pourquoi tu avais eu envie de faire une petite pause dans ton rangement pour aller dans ton futur chez-toi afin de visiter plus en avant les lieux. Après tout, en tant que Student, tu n'avais jamais dépassé leur lieu d'exposition, et ce n'était pas cela qui allait t'aider à vivre correctement. Tu t'étais donc engagé dans les couloirs, curieux et fouillant tout du regard. Tu finis d'ailleurs par tomber sur une sorte de salon commun, où quelques étudiants traînent déjà en bandes, ne te prêtant pas plus attention que cela. Ce n'était pas plus mal cela dit, tu ne souhaitais déranger personne pendant ta petite visite, faire comme si tu étais un peu un fantôme. Tu finis enfin par tomber sur la cuisine commune, vide à cette heure-ci. Elle semblait assez grande à tes yeux, même si tu n'étais pas un grand cuisinier. Etant un peu entré dedans pour mieux l'observer, tu reculas ensuite pour en sortir lorsque tu percutas quelqu'un.

En visitant la Lowell House aussi tranquillement que cela, tu ne pensais pas provoquer de catastrophes. Ce n'était pas la première fois que tu bousculais quelqu'un par inadvertance, et ce ne sera sûrement pas la dernière, car tu ne progressais pas dans ce domaine. Cela dit, pour cette fois, tu n'étais pas tellement fautif, c'était plus elle qui t'avait percuté, et elle semblait plutôt gênée de cette mésaventure. Tu aurais été pareil dans son cas, tu tâchas donc de lui adresser un sourire rassurant. Je ne peux pas dire que j'aime les arrosages au Coca, mais y a pas de blessés, c'est l'essentiel. Elle ne semblait pas effectivement souffrir de la collision, et ce n'était pas ton cas non plus. Et puis, ce n'était que du Coca, cela devait bien pouvoir se retirer, non ? Tu n'étais pas un pro de la lessive, mais cela devait bien se trouver. Tu haussas plutôt un sourcil en la voyant te vouvoyer, cela ne semblait pas vraiment être le genre de la maison pourtant, à ce que tu en savais... Une autre bizute peut-être ? Tu peux me tutoyer tu sais, les Lowells ne sont pas du genre à vouvoyer à mon avis. Tu es aussi bizut, je ne me trompe pas ?

Apparemment, ta technique pour tenter d'éliminer sa gène était plutôt efficace, même si elle semblait encore mal à l'aise. Après, tu l'aidais surtout parce que tu savais ce que cela faisait, d'être en mauvaise posture de manière involontaire et craindre une mauvaise réaction en face, rien de plus. Tu savais que la honte pouvait être une très mauvaise chose, surtout en arrivant dans un groupe, et tu tâchais de ne pas lui noircir son début de bizutage pour si peu. Elle était nouvelle, tu avais visé juste, mais cela ne t'étonnait pas plus que cela qu'elle soit même nouvelle à l'université : elle semblait relativement jeune, elle devait être en première année, même si tu n'en avais pas la certitude. En effet, je suis bizut, après six ans sans confrérie. Au moins suis-je sûr de mon choix. Et plus que sûr même, en plus du fait que tu avais eu cet été un nouveau facteur contribuant à ce choix. Mais tu ne la connaissais pas, tu n'allais pas lui étaler ta vie comme ça, il ne fallait pas non plus exagérer. Tu voulais t'ouvrir aux autres certes, mais sans devenir un livre ouvert aux quatre vents non plus. Joli prénom, c'est de quelle origine ? Moi, c'est Devyn. Talulah... Ce n'était effectivement pas courant, et ta curiosité avait refait surface. Ne t'inquiète pas pour le tee-shirt, ce n'est rien, j'irai le laver tout à l'heure et voilà tout. Tu lui avais lancé un nouveau petit sourire avant de reprendre la parole. Tu étudies quoi ?

Elle semblait se détendre petit à petit, c'était une bonne chose. Tu ne voulais pas être celui qui traumatisais les bizuts plus jeunes après tout, ce n'était pas vraiment le genre d'étiquette que tu aimerais te voir collé à la peau. En plus, il semblerait que tu représentais à ses yeux les Lowells, vu que tu étais sa première rencontre faisant partie de la maison... Waouh. Quel honneur. Tu n'avais pas du tout la pression là, du coup. Oh, tu sais, je ne suis qu'un modeste petit bizut, pas un Lowell à proprement parler. Il ne s'agirait pas que la moindre maladresse de ta part la dégoûte de la maison, tu risquais d'avoir des problème sinon, si tu faisais fuir les autres recrues. Ainsi, elle était portugaise, intéressant à savoir. Tu ne l'aurais pas pensé, tu avais en tête les stéréotypes des portugaises brunes et à la peau matte, pas des blondes à la peau blanche. Tu étais en tout cas intéressé par le fait qu'elle fasse du théâtre, même si cela n'était qu'en mineur, après la danse. Je suis également en théâtre mais en majeur, ma mineure est les arts visuels. Oui, tu étais un grand passionné de ces deux domaines, encore plus que des autres que tu appréciais pourtant. J'apprécie la danse cela dit, mais je ne suis vraiment pas doué en la matière, je préfère la regarder. Sa proposition était intéressante en tout cas : tu n'avais pas plus soif que cela, mais un verre de Coca ne pouvait pas te faire de mal. Si tu fais attention en le versant alors... Enfin, ça voulait dire oui quoi. Tu espérais juste qu'elle ne soit pas trop susceptible, il y avait quand même mieux à sortir, non ?

Toi, assurer comme un Dieu ? Oh que non... A moins qu'elle était totalement amoureuse des balais à deux jambes et dans ce cas, c'était simplement qu'elle avait des goûts étranges. Tu n'avais rien contre la danse, comme tu l'avais dit, c'était juste la danse qui ne t'aimait pas. Tu n'avais jamais eu d'entraînement, certes, mais tes rares essais s'étaient toujours soldés par de beaux petits échecs qui pouvaient toujours te servir de casseroles... William en avait été témoin une fois, cela lui avait suffi, le pauvre. Je ne voudrais pas te causer de cauchemars tu sais. Oui, tu avais suffisamment d'auto-dérision en toi pour la prévenir de la catastrophe que tu étais. Tu assumais totalement tes faiblesses en la matière, car ce n'était pas une de tes réelles passions, comme le théâtre ou les arts visuels en tout genre. J'aimerai... Mais il y a beaucoup de postulants et peu d'élus. Sinon, rester dans l'ombre ne me dérange pas. Et toi, tu veux devenir danseuse professionnelle ou comédienne ? Il fallait bien être réaliste : même certains comédiens très doués ne perçaient pas et devaient se reconvertir, ce qui expliquait tes autres études, toujours dans le domaine artistique cela dit. Il ne fallait quand même pas pousser, tu n'allais pas abandonner tes rêves de comédien pour un boulot tranquille derrière un bureau. Tu étais quand même rassuré qu'elle ait bien pris ta remarque, tu aurais eu l'air fin sinon. Prenant avec un sourire le verre qu'elle te tendit, tu t'appuyas contre le meuble derrière toi, réfléchissant à la manière dont tu allais répondre à sa question. L'envie de changer sans doute. De croiser d'autres artistes et de m'améliorer à leur contact. Et toi, pourquoi avoir choisi la Lowell dès ton arrivée ? Bien sûr que tu n'allais pas tout dire dès le début. Tu n'allais pas lui dire que c'était aussi pour rejoindre ton petit-ami et pour t'ouvrir aux autres.