(f) i was sort of hoping that you'd stay

Encore une soirée. Plusieurs, des dizaines, jusqu’à la dernière. Demain elle doit partir, et ce sont les dernières heures qu’il me reste à passer avec ma meilleure amie. Ca fait déjà un an que nous ne sommes plus colocataires, ma deuxième année à Harvard se termine, et je n’aurais jamais imaginé que le temps passe si vite. Assise contre le rebord de la fenêtre à la recherche d’un courant d’air, j’allume une nouvelle cigarette. Mes deux voisines de chambre sont encore en train de se disputer et les murs fins nous permettent d’écouter le spectacle. « Putain, tes voisines sont super vulgaires. » Ses mots coupent court à mes divagations, et je me retourne pour la dévisager. Elle est là, allongée sous la couette de mon lit et porte un de mes vieux sweat noir qu’elle a trouvé dans un coin de la pièce. « C’est l’hôpital qui se fout de la charité. », je lui répond et avale la dernière gorgée de mon verre. L’alcool me brûle de l’intérieur alors qu’il descend le long de mon œsophage, c’est comme se sentir vivant. «Merde, ferme la fenêtre, il fait froid. » Elle a toujours préféré la chaleur, ça ne m’étonne même pas qu’elle me quitte pour la Californie demain. Dehors le ciel gronde depuis des heures mais moi j’ai toujours aimé la sensation du vent frais contre mon visage. Finalement, elle me lance son briquet dessus pour me faire réagir et je capitule.
Je la fixe encore une fois, une dernière fois. Elle a les joues qui rougissent à cause du froid, probablement, et moi un sourire niais à cause de l’alcool. Elle tapote la place vide à côté d’elle pour me réclamer de venir et je m’exécute sur le champ. Je me glisse sous les draps pour la rejoindre, ses pieds nus me glacent la peau et j’enfouie ma tête contre son sweat. Il a cette odeur masculine, malgré les lavages répétés, un mélange âpre du parfum de mon paternel et de tabac froid qui me berce dans des souvenirs. Je trace du bout des doigts le contour des lettres du logo. R. A. M. O. N. E. S. « Qu’est-ce que je vais faire sans toi ? », je lui dit sur le ton de la plaisanterie, même si au fond je n’ai aucune idée de ce que je vais devenir. « Beaucoup de chose, t’es la Liberté. » Elle commence à pouffer de rire, et je peux sentir son thorax se soulever au rythme de ses rires. Bon sang, elle est si fière de son jeu de mot qu’elle me le rabâche à chaque fois. Une vraie comique. Je mime de me vexer. « Ah. Ah. Ah. Ta gueule. » J’ai toujours trouvé mon prénom stupide. Elle sait que je déteste ça, et elle persiste, pour me taquiner. Au final, j’ai commencé à l’apprécier lorsqu’il sortait de sa bouche. Je relève ma tête pour lui montrer ma mine dépitée face à son humour, mais à la place je me retrouve face à sa bouche. Sa bouche, parfaitement dessinée. Elle se mord la lèvre, qui devient écarlate sous la pression sanguine, je plonge mon regard dans le sien. Elle a ses yeux, profonds, dans lesquels je pourrais me perdre. C’est un labyrinthe et je suis en train de m’effondrer. Je cède, avec un pincement au cœur. Je sais que je ne devrais pas, mais j’en ai envie. Et je l’embrasse. Je capture un de ses souffles entre mes lèvres alors qu’elle m’attire contre son corps. Je sens sa chaleur, contraste opposable à la froideur de la pièce, et j’arrête de résister. Je lui retire le sweat qu’elle porte pour le jeter avec nonchalance au pied du lit. Il n’a plus d’importance. Elle est là, le corps nu contre le mien, et j’embrasse le creux de son cou.