La belle température annonçant l'arrivée de l'été me donnait envie de sortir, aujourd'hui. Me promener au travers des beaux décors qu'offrait Cambridge et ses alentours, avec mon appareil photo en mains, accroché autour du cou, armée et prête à attaquer la jolie Nature qui nous était offerte. En plus de ça, j'en profitais aujourd'hui, puisque mon patron m'avait donné congé, ainsi qu'à tous les autres employés, ce qui était rare. Ce n'était pas un bourreau du travail, bien au contraire, et c'est une des choses que j'aimais bien de mon travail : jamais de pression, toujours du plaisir pur et simple. Comme aujourd'hui. Je m'étais habillée léger, puisqu'il ne faisait pas du tout froid et que c'était fortement ensoleillé, mais pourtant, il y avait une douce brise qui dansait autour de moi, en chantant une mélodie. La photographie, c'était ma passion depuis toujours. Ma mère, déjà lorsque j'étais toute jeune, m'avait appris à considérer les plus petites comme les plus grandes beautés de la vie, et moi j'avais choisi, pour lui faire honneur, d'immortaliser ces moments, ces beautés de la vie qui me faisaient souvent passer à travers toute une gamme d'émotions. Ce n'est pas parce que les larmes au lieu du rire se frayaient un chemin que quelque chose n'était pas beau. On le voyait seulement différemment... Ainsi était faite la vie.
Bref, armée de mon appareil photo et de mes lunettes de soleil, j'étais enfin prête à aller photographier un peu tout ce qui se trouvait sur mon chemin. Les cheveux au vent, ma première destination se trouvait à être le Charles River. Le Charles River consistait en fait à être l'un des plus jolis endroits, selon moi, à proximité d'Harvard. Un endroit calme, posé et magnifique où tout était vert. L'endroit parfait pour répondre à mon but du jour. Lorsque j'aurais terminé, je pourrais même faire une petite sieste, si j'en avais l'envie.
Après une dizaine de minutes de marche à prendre dix millions de photos alors même que je n'étais pas arrivée encore à ce moment là, j'arrivai enfin à destination. Je m'approchais de la rivière, pour déposer mes trucs près d'un gros arbre où le vent n'avait pas vraiment d'effet, et en m'approchant, j'entendis une espèce de mélodie, assez jolie. Au début, je pensais que ça provenait de derrière moi, mais plus je m'approchais de l'arbre, plus le son était précis et distinct. Plus je m'approchais, et plus j'entendais mieux et plus je trouvais cela joli. Comme j'arrivais juste à côté de l'arbre, mon appareil photo en main, prête à cliquer sur la détente pour immortaliser le moment, je découvris un jeune homme assis dans l'herbe, concentré, qui jouait de la guitare. À côté de lui se trouvait une flûte. Je n'étais pas très douée en instruments, excepté pour la guitare, mais ayant été dans une école d'arts de toutes sortes, je savais la base, tout de même. J'espérais qu'il ne me voit pas, car ce serait un peu gênant s'il me voyait le prendre en photo. Peut-être qu'il ferait une plainte ou je ne sais quoi pour l'avoir photographié sans son consentement, on sait jamais... Bref, j'immortalisai tout de même le moment, puis comme une conne, je restai plantée là, en plein dans son champ de vision, pour regarder le résultat sur mon petit écran...
♫La nuit au bord de l'eau moi je chantais pour ma belle Et le bruit du ruisseau s'envolait avec mes mots ɤ
« Les nouvelles rencontres, Nenad en avait toujours eu peur. De part son passé tumultueux et douloureux, rencontrer des nouvelles personnes l'avait longtemps effrayé. Comment savoir que l'inconnu que l'on a face à nous ne va pas finir par nous faire souffrir ? Comment savoir si cette nouvelle personne est franche avec nous ? Ou plutôt, au contraire n'est pas là, simplement pour se moquer, par pure méchanceté gratuite. Cela, le jeune homme en avait longtemps souffert. Combien de fois, une charmante demoiselle est-elle venue lui proposer un rendez-vous, pour ensuite, soit rigoler, ou le planter au fameux resto ou café ? Combien de fois l'a-t-on invité à une soirée qui n'existait pas ? Cela avait fini, en toute normalité, par le changer, le rendre peureux, prudent et distant. Peu à peu, notre ami s'était construit une carapace, que seuls de rares élus arrivaient à percer. Vivre ainsi était … Difficile, et pourtant, au fond de lui, il n'était qu'empli d'espoirs, que tout se passe bien, et que l'on ne finisse pas par l'oublier comme ses rares amis l'avaient, pour la quasi totalité, fait avant ça.
Et pourtant … Depuis son arrivée à Harvard, l'étudiant avait commencé à croire aux miracles, il s'était fait des amis, et même des amies, ce qui était en soi … Impensable quelques temps auparavant. La vie dans la rue l'avait sans doutes rendu plus fort, et, il avait réussi à se raccrocher à ce peu d'amis qui lui était offert. Peu, certes, mais ô combien important. Grace, par exemple. Une fille qui, jamais il ne lui serait venu à l'idée, ne serait-ce que dire bonjour. Une belle jeune fille populaire, fêtarde qui n'avait pas la langue dans sa poche, tout l'inverse de lui. Et pourtant … Et pourtant, tout deux étaient devenus des amis très proches, elle, était en quelques sortes devenu son ange gardien. La belle le reboostait à chaque décente, en lui donnant de bon gros coup de pieds au cul, comme elle le faisait si bien. Elle s'occupait de chasser ceux qui l'embêtait, et voulait le protéger de tous les dangers, un peu comme … La grande sœur qu'il n'avait jamais eu. Grande sœur qui, d'ailleurs était bien plus jeune que lui. Mis à part cet allié hors du commun que Nenad avait trouvé pour luter contre les dangers de la vie, sa route croisa aussi celle de la pureté, et l'innocence incarnée. Une jeune fille au visage d'ange dont le seul sourire semblait capable d'évincer les ténèbres enfouis dans notre cœur. Cette fille, la première fois qu'il l'aperçu, le croate n'avait aucun doute sur la bonté de son âme, comme si … Un sentiment de sécurité s’échappait de tout son être.
Et pourtant, cette rencontre était le fruit d'un hasard déconcertant. Voyez-vous, la belle saison commençait à montrer le bout de son nez ; les rayons du soleil semblaient taper de plus en plus ardemment, les vestes laissèrent, peu à peu, place à des chemises légères ou des t-shirt, tandis que les filles, elles, de leur côté commençaient à opter pour tes tenues bien plus légères, pour le bonheur des yeux de bon nombre. Bien entendu, Nenad en faisait parti. Notre ami appréciait énormément les jours chauds, lui rappelant avec nostalgie les sorties avec son oncle, lorsqu'ils partaient à la pêche un week-end entier, lorsqu'il se sentait encore vivant, avant que sa vie ne bascule du tout au tout pour le plonger dans les abîmes. Ainsi, lorsque la chaleur arrivait, il aimait se rendre au bord de l'eau, profitant de l'héritage que ce fameux oncle lui avait transmis. Le slave s'y rendait pour jouer de la musique, ou encore aimait il sortir la même barque pour s'échapper et pêcher.
Par cette belle journée, l'étranger avait attrapé sa guitare et sa flûte pour se rendre à un endroit qu'il appréciait grandement, la Rivière Charles, joli cours d'eau, où il faisait bon s'installer et passer la journée, à l'ombre d'un arbre. Le chevelu appréciait composer à quelques pas de l'eau, se laissant bercer par la mélodie du courant, l'inspirant parfois, tout autant que la magie des lieux, ou les couples qui se donnaient rendez-vous en ce lieu. Oui, Nenad était rêveur, Nenad rêvait lui aussi au grand amour, de se marier, de fonder une famille et avoir des enfants. Lui qui n'avait pas de famille, ce rêve semblait si légitime. « L'orphelin » avait aussi un exemple parental à suivre. Ou tout du moins, à suivre en faisant l'exact opposé. Serait-il un bon époux ? Un bon père ? Un bon exemple ? Ces questions lui revenaient sans cesses, mais … Encore fallait-il trouver la bonne personne, lui qui n'avait toujours pas surmonté sa tragique perte, malgré le temps passé.
Repensant à tout cela, il se perdit dans une chanson, composé par ses soins en gaélique. La chanson parlait d'alliée mort au combat, de chanson sans cesse prononcé au bord de l'eau pour que sa dulcinée l'entende, là-haut. Une larme finit par se décrocher de son œil pour venir humidifier sa joue, jusqu'au moment où … Un sentiment étrange finit par prendre possession de Nenad, comme s'il était observé. Tout en continuant de jouant, mais en arrêtant de chanter, le slave regarda à droite et à gauche, jusqu'à ce que son regard s'arrête sur elle. Elle, c'était … Un rayon de soleil, la grâce d'un ange. La douceur et la bonté semblait suinter de tout son corps. Son cœur s'emballa vaguement, tandis qu'il prit un bref instant pour profiter de ce spectacle. L'inconnue ne le voyait pas, trop préoccupée par son appareil. L'avait-elle prit en photo ? L'idée même le fit sourire.
« Aurais-je trouvé ma première fan ? Tellement que j'ai droit d'être prit en photo. Revenez me voir quand elle sera imprimée, je vous la dédicacerai, qui sait ? Peut-être un jour cela vaudra-t-il de l'or ? »
Le croate eut un léger rire, doux, chaleureux et, contrairement à son habitude, contrairement décontracté. Oui, notre ami avait la particularité de devenir une autre personne lorsqu'il jouait, comme si … Comme si plus rien d'autre n'avait d'importance. Le temps, le chagrin, la peur … Tout ça ne devenaient que de poussière. Lorsqu'il jouait ou composait, il était maître de son destin, capitaine de son âme. Et pourtant, le jeune homme n'en avait jamais prit conscience. Toujours avec douceur et avec un grand sourire, le musicien tapota la couverture à côté de lui, l'invitant à prendre place à ses côtés. Si Grace l'avait vue à ce moment-là, elle en aurait ri, et lui aurait sans doutes envoyés de nombreux pouces de soutien, semblant lui indiquer qu'il était sur la bonne voie. Mais, lui, ne pensait à rien d'autre que de jouer, alors qu'il venait de charmer une des plus jolies filles du campus, en quelques notes seulement.
« Allons, venez, je ne vais pas vous manger. La musique est faite pour être partagée, non ? »
La musique oui, son passé … Nettement moins. Peut-être devrait-il changer de registre et passer sur quelque chose de plus joyeux ? Des chants traditionnels peut-être ? Croates ? Celtes ? Italiens ? Qu'est-ce que la belle aimerait ? Se sortant de ses pensées, l'étranger finit par lui sourire avec tendresse, espérant ne pas lui faire peur par cette invitation. »