Harlem, février 1992
Il est deux heures du matin, une femme s’agite à faire des valises dans son appartement du mieux qu’elle peut, aidée par sa fille. Elle souffre, les douleurs lui font mal, celles qu’elle ressent au niveau du ventre, les contractions. Celles-ci se font de plus en plus violentes, dans un intervalle de temps de plus en plus court. Est-ce que j’aurais la force d’arriver à l’hôpital ? Voilà ce que se demande la jeune femme affalée sur le fauteuil miteux de la pièce qui sert de salon mais aussi de chambre. A côté d’elle ses deux enfants – une fille âgée de onze ans et un garçon âgé de six ans – la regarde, inquiets. La jeune femme demande à la plus grande d’appeler un médecin et de lui dire qu’elle va accoucher. C’est décidé c’est ici que se passera l’accouchement. Quelques minutes plus tard, une équipe médicale s’introduit dans le petit appartement et aide la femme à accoucher. C’était une fille. « C’est une fille. Quel nom souhaitez-vous lui donner ? » La jeune femme regarde sa progéniture avec émerveillement comme si c’était la première fois qu’elle accouchait puis elle finit par répondre au docteur. « Neverly Rose Sanders ». C’est ainsi que je vis le jour.
Harlem, 1999 – 2003
J’avais sept ans, je rentrais de l’école. Ma grande sœur et ma mère se disputait une nouvelle fois. La raison était toujours la même : le métier de maman. Qu’est-ce qu’elle faisait comme métier ? Et bien, c’était une prostituée. Ma sœur finit par craquer et quitta le domicile. Les jours passaient et elle ne revenait toujours pas. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’elle ne reviendrait plus. Et c’est d’ailleurs la dernière fois que je l’ai vu. Malgré cela, ma mère a continué dans la prostitution, elle disait tout le temps que c’était grâce à cela que l’on avait de quoi manger tous les jours. Puis, finalement, elle a rencontré un homme – un certain Jo – avec lequel elle s’est mariée. Mon frère et moi ne l’aimions pas beaucoup car il était violent et alcoolique, mais ma mère ne se préoccupait pas vraiment de notre avis ou alors peut-être parce qu’elle ne le connaissait pas réellement. En effet, lorsqu’elle était à la maison, il se montrait très gentil avec nous, mais une fois qu’elle partait pour son nouveau travail de nuit – surveillante de nuit dans un centre pour jeunes délinquants – il se transformait en un monstre. Je me souviens qu’il avait inventé « un jeu » auquel il « jouait » avec mon grand-frère : Je te frappe et si tu fais du bruit t’as perdu. Et si t’as perdu je te frappe, et si tu fais du bruit t’as perdu … et plus tu perds plus les coups deviennent douloureux. Oui, ce monstre s’amusait à battre mon frère. Et comme si cela ne lui suffisait pas, il lui est arrivé de me violer certaines nuits, mais je ne devais surtout rien dire à ma mère sinon j’allais être obligée de jouer à l’autre jeu avec mon frère. Cependant, un jour j’ai craqué. Je me souviens que c’était quelques semaines avant mon onzième anniversaire. J’ai dit à mon frère que j’allais tout raconter à notre mère et celui-ci m’en a formellement interdit, mais têtue comme je suis j’en ai fait qu’à ma tête.
Un matin, alors que ma mère rentrait du boulot et que son mari était sorti, je me suis avancée devant elle, en pleurs. J’avais été violée la nuit dernière et je pense que ça avait été la fois de trop. « Qu’est-ce qu’il y a ma puce ? C’est ton frère qui t’embête ? » me demanda-t-elle alors. Je hochais négativement la tête, mais elle était persuadée que c’était ça le problème. « Aaron, ramène tes fesses ici ! Qu’est-ce que t’as encore fait à ta sœur pour la mettre dans cet état ?! » s’écria-t-elle alors. Mon frère arriva dans le salon et me vit en larmes. Il comprit tout de suite ce qui s’était passé. « Maman, ce n’est pas Aaron, c’est… » Mon frère me mit sa main devant ma bouche pour m’empêcher de parler. Mais ma mère curieuse, retira celle-ci bien vite, afin que je puisse terminer ma phrase. « …Jo. Il m’a violé, maman. Et puis, il frappe Aaron à chaque fois que tu pars au travail. » Ma mère me retourna une gifle monumentale. Elle criait dans tout l’appartement que j’étais une menteuse, que son mari ne nous ferait jamais de mal puisqu’il nous considérait comme ses propres enfants. Puis dans un accès de colère, elle prit des affaires à nous qu’elle mit dans un sac et nous jeta, mon frère et moi, à la rue. « Allez retrouver votre sœur ! » Voilà ce qu’elle nous avait dit.
Bronx, 2003 – 2011
Aaron et moi avons quitté Harlem pour aller dans le Bronx, vu que mon frère avait des « connaissances » là-bas. Alors je n’ai pas posé de questions et je l’ai suivi. Grâce à ses « connaissances », on a pu se trouver un endroit où dormir et moi je suis entrée au collège, puis au lycée. Mon frère était dans un gang et il vendait de la drogue. Plus sieurs fois, il s’était retrouvé au commissariat à cause de cela. Moi de mon côté après les cours, je traînais avec un groupe de danseurs de rue et l’on s’amusait à faire des battles contre d’autres groupes de quartier. Cela me plaisait bien et puis ça me permettait de gagner un petit peu d’argent pour aider mon frère. Puis le drame arriva lors de ma dernière année de lycée. Mon frère perdit la vie lors d’une fusillade entre le gang dans lequel il était et un gang rival. Tout ça pour une histoire de drogue. Je me retrouvais alors seule au monde, sans famille. Je n’avais aucune nouvelle de ma mère, ni de ma sœur. Je ne savais pas vers qui me tourner et c’est sûrement pour cela que j’ai accepté la proposition de cet homme qui me proposait un job qui me rapporterait beaucoup d’argent et en plus de ça, il m’offrait le logement. Je n’avais plus rien à perdre alors j’ai accepté. Il m’a alors emmené dans une énorme maison où se trouvaient déjà d’autres filles d’à peu près mon âge. C’est là que je suis devenue une prostituée, comme ma mère, et que j’ai connu la drogue, comme mon frère. Les autres filles avec lesquelles je travaillais étaient devenues comme ma famille. Disons que je me sentais en « sécurité ». Seulement je ne savais pas dans quoi, je m’étais embarquée. Quelques temps plus tard, alors que je travaillais, une femme, très vieille, s’est effondrée devant moi. Sans vraiment réfléchir, je l’ai prise sur mon dos et l’ai emmenée à l’hôpital le plus proche. Je me souviens m’être fait réprimander par le boss pour avoir quitté mon « lieu de travail » et bien entendu j’ai pris des coups. Dès cette fois-là, j’ai voulu m’en aller et quitter cette maison. Seulement, si elle est facile d’accès, il est plus difficile d’en sortir. A plusieurs reprises, j’ai essayé de m’échapper sans succès et les sanctions se faisaient de plus en plus violentes. J’en garde même une cicatrice sous la poitrine que j’ai masquée par un tatouage.
Puis, un jour le boss est venue me trouver et m’a demandé de partir. Il m’a dit que quelqu’un m’avait « achetée » et que de ce fait, je ne lui devais plus rien et qu’il me rendait ma liberté. Sur le moment, je n’ai pas cherché à comprendre, j’ai pris mes affaires et je suis sortie. Une limousine m’attendait devant la maison et à l’intérieur de cette voiture, mon « sauveur ». Un charmant jeune homme, qui devait avoir deux ou trois ans de plus que moi, et visiblement très riche. Je ne le connaissais pas mais lui semblait me connaître. « C’est donc toi Neverly ? Je suis ravi de te rencontrer. » Je me contentais d’acquiescer d’un signe de la tête et de sourire timidement. « Je voulais te remercier d’avoir sauvé ma mère l’autre soir. Si tu n’avais pas été là, je ne sais pas où je serais aujourd’hui, peut-être au cimetière. Tu sais, elle est très malade, mais elle ne veut pas se faire soigner. Bref, si je suis ici, c’est parce que ma mère m’a envoyé. Elle veut que tu viennes habiter avec nous et que tu quittes ce milieu. Je sais que je te demande ça de façon plutôt brusque, mais ma mère est comme ça, elle finit toujours par obtenir ce qu’elle veut… Et ne t’en fais pas pour l’argent. » Je ne savais pas quoi répondre, mais en même temps je ne pouvais pas refuser cela à cette vieille femme malade. « Euh d’accord ! » C’est ainsi que j’ai commencé à vivre chez la famille Marriott. En effet, la vieille femme n’était autre que la femme du fondateur de la chaîne hôtelière de luxe Marriott International.
Cambridge 2012 – aujourd’hui
J’ai commencé à me faire à ma vie de nouvelle riche dans cette nouvelle famille bien que je gardais tout de même mes habitudes du ghetto. Le couple Marriott, qui m’avait adoptée, me considérait comme leur propre fille et puis j’avais un nouveau frère maintenant. J’ai d’ailleurs décidé d’aller le rejoindre à Harvard. Je me suis inscrite et ai passé le concours d’entrée que j’ai réussi haut la main à ma grande surprise. En cachette, je continue à travailler en tant qu’Escort girl et stripteaseuse, sans doute parce que je ne suis pas encore à l’aise avec l’argent de ma nouvelle famille et j’ai pris l’habitude d’être très indépendante.