Tout en mangeant rapidement mon sandwich, je regardais par la grande baie-vitrée les gouttes marteler les carreaux dans une symphonie apaisante qui ne couvrait qu’à peine les rumeurs des gens. Aussi, lorsque je la vis arriver, je fus surprise. J’avais pris soin de prendre un endroit isolé, où peu d’étudiants venaient se repaître d’un unique sandwich. Je ne pensais voir personne, et surtout pas elle.
Elle entra et commanda un café au bar, qu’on lui servi. Puis en balayant la pièce du regard, ses yeux m’accrochèrent avant de glisser plus à côté : elle m’avait vu. Elle m’ignora royalement. Ne m’avait-elle pas reconnu où jouait-elle les snobs ? Je ne savais pas. Toujours était-il que lorsqu’elle passa à côté de moi, elle se fit bousculer par une bande de gosses braillards. Elle tint fermement son café, mais à cause du choc, elle ne put s’empêcher de faire un pas de côté et de me pousser un peu plus contre le mur :
-Désolé… Les ados sont de plus en plus turbulents de nos jours.
A qui le disait-elle ! J’espérais que ma fille n’en vienne jamais à ce stade-là ! Quoi qu’elle se sera fait réprimander avant qu’elle ne pousse le bouchon trop loin à bousculer les étrangers sans s’excuser.
J’étais raide en sa présence. Elle était en couple avec mon ex. Quoi que nous n’avions jamais vraiment été ensemble en fait… J’avais été trop stupide pour voir le verre à moitié à plein, et je payais maintenant le prix fort pour cette vaine espérance.
-Ce n’est nullement grave, il y a des choses plus importantes dans la vie que ça, Prudence.
J’évitais soigneusement son regard. Je n’avais pas envie de parler, je voulais qu’on me laissât tranquille, et que je puisse me débarrasser de cette image d’eux s’embrassant à la vente aux enchères des Winthrop ! Elle devait me détester, j’avais publiquement humilié Andrew ce soir-là, j’avais essayé de lui rendre la raison, mais son choix était fait, et je ne faisais déjà plus que les meubles. J’avais toujours fait les meubles avec lui, il ne m’avait jamais vu, jamais connu. Je serrai les poings de colère, puis tout mon corps se détendit sous le poids de la fatalité. Plus on résistait, plus elle nous écrasait. Je n’avais jamais eu mon mot à dire, et je me retrouvai seule.
-Si je te parais pitoyable et sans cœur vis-à-vis d’Andrew, essaie 30 secondes de te mette à ma place. Tu rentres de 9 mois de grossesse – oui, nous avons eu une fille ensemble -, et du découvre que ton ex embrasse une autre fille. Tu te dis qu’il va essayer de recoller les morceaux, il fait voler sa famille en éclat. Qui de nous deux est le plus pitoyable et sans cœur ? Maintenant, qu’il ne me demande plus rien, j’ai déjà été trop généreuse avec lui. Je n’ai rien contre toi, tu n’as rien fait, tu t’es retrouvée prise entre deux feux et tu as réagi comme tes sentiments te le dictaient. Mais ne me juge pas, tu ne peux pas. Après ta venue, ce qu’il reste entre Drew et moi, c’est Aliénor. C’est la seule raison qui me fait rester ici : je veux qu’elle soit fière de moi. Mais dis à Andrew que je ne veux plus jamais le voir. Sur ce…
Je n'attendais aucune réponse de sa part. Blasée et à demi désespérée, je me dirigeais vers la porte, fuyant la compagnie de la belle brune, non sans laisser un pourboire au bar. Il n’y avait qu’un seul fautif à ma détresse… Mais libre a elle de me retenir si elle le désirait ! Si elle me retenait pour quelqu'autre motif... Je n'avais rien contre elle, rien du tout. On pouvait devenir amies si elle le désirait.