Koray avait passé sa soirée dans la bibliothèque à lire des poèmes datant du XVIe siècle. Il s'était découvert une passion pour la pureté et la simplicité des poèmes de ce siècle et n'avait pas vu le temps passer. Il rentrait dans son appart avec un mal de crâne tenace et se promit de ne plus oublier sa paire de lunettes de lecture la prochaine fois que lui viendrait l'envie de s'éterniser à la bibliothèque. Il prit son courrier et entendit le propriétaire âgé l'interpeller alors qu'il s'apprêtait à monter les escaliers. Il avait reçu un paquet. Ça avait l'air d'être un livre. Ça ne devait pas être sa mère, l'enveloppe ne venait pas d'Angleterre. Le jeune homme remercia le vieillard et monta. Il jeta son sac sur une table basse et se fit un thé au jasmin, avant d'ouvrir son colis. Il resta pétrifié pendant plusieurs minutes avant d'esquisser un sourire. C'était le journal intime qu'il avait commencé à 8 ans, et réussir à tenir jusqu'à ses 17 ans. On avait laissé une note avec; "Je l'ai retrouvé en réaménageant le grenier. Maman s'est ENCORE trouvée une nouvelle passion; la poterie. -Imogen" et derrière, un numéro de téléphone. Koray sourit pour de vrai, cette fois. Il s'installa sur son sofa, oubliant le thé, et lut les premières entrées. Des souvenirs de classe, des autographes de camarades, puis celles de 1998. Les entrées de cette années étaient quasiment toutes semblables. Ses premiers souvenirs dataient d'ailleurs de ses 7-8 ans.
New-York
8 juin 1998
Papa et Maman se batte encore. Je détteste Papa. Je le détteste. Je le hais.
New-York
13 décembre 1999
J'ai envi de tuer Papa. Il ne fau plus qu'il tape ma maman.
["Pour qui te prends-tu pour me dicter ma vie? Tu penses que parce que je t'ai épousée tu peux te permettre de me dire ce que je dois faire?" Deniz reculait prudemment vers le mur en tenant son ventre à demain, les lèvres pincées. Elle entamait son huitième mois de grossesse "Tu pars en voyages d'affaires, et tu y restes deux semaines de plus que prévues..." Elle tenta un pas en avant; elle ne se laisserait pas marcher dessus, cette fois. "Et c'est à moi que tu fais des reproches?" Il lui tint la mâchoire d'une main et la fit reculer de force jusqu'au mur. Il ouvrit la bouche quand il entendit un bruit de verre cassé avant de ressentir une douleur sourde sur l'arrière de son crâne. Il se retourna vivement et vit son fils, essoufflé, debout sur la table basse, une bouteille en verre brisée dans les mains. "Touche pas à ma maman!" Et il se jeta sur Kurt. À 9 ans, ce n'était pas la première fois qu'il s'interposait entre ses parents, mais c'était bien la première fois qu'il agissait de manière aussi violente. Ni la dernière. Richard le souleva en l'attrapant par les cheveux pendant que le garçon martelait la poitrine de son père de ses petits poings. "Tu es complètement cinglé! Laisse mon fils tranquille!!" Il finit par le projeter sur le sol aux pieds de sa mère.]
Le jeune homme remit l'eau à chauffer en repensant à ses parents. Deniz Wittingham, et Kurt Fincher se connaissaient depuis qu'ils avaient 15 ans. Deniz Wittingham, sa mère, d'origine turque et anglaise, avait vécu les quinze premières années de sa vie à Londres, avant de déménager à New York, en 1979, où elle rencontra Kurt. Henry Wittingham et Jack Fincher, le père de Kurt, étaient deux amis de longues dates. C'est donc tout naturellement après dix ans de fréquentations qu'ils se marièrent. Un mariage parfait et une relation équilibrée affichée aux yeux de tous, ce qui ne pouvait pas être moins vrai.D'après elle, leur relation a toujours été tumultueuse, et selon lui, Deniz a toujours su éveiller ce qu'il y avait de plus mauvais en lui. Le scénario était en général toujours le même; Elle lui faisait un reproche, il devenait violent, et elle finissait toujours par le lui pardonner. Et ils oubliaient tout le lendemain, l'un et l'autre, pour retourner dans leur routine du "couple parfait". Ils eurent trois enfants; Matthew-Eren, Koray-Charlie, et Joan-Nilüfer.
Il n'aimait pas se rappeler de son enfance à New-York; une succession de bagarres entre ses parents, entre lui et son père, lui et son grand-frère qu'il haïssait, et qui faisait mine d'ignorer les problèmes entre ses parents. Deniz,Kurt et leur aîné, Matthew réussissaient à tenir leur réputation sans tâche du couple parfait devant les voisins, pendant les gigantesques réunions de famille de Thanksgiving, Noël et autres fêtes alors que Koray sombrait dans une profonde dépression à 9 ans. Il gardait constamment un œil sur son père, et bondissait devant sa mère au moindre éclat de voix. C'est pendant une de ces réunions de famille que son oncle David, réalisateur, proposa de l'accueillir chez lui quelques temps à Denver.
[David et Kurt appréciaient tous les deux un verre de Scotch devant l'immense cheminée du living-room, le soir du 25 décembre. Kurt avait accueilli la quasi-totalité de la famille Fincher pendant le repas de Noël cette année, et son petit-frère, "le prodige" était resté. Quelque chose d'important apparemment. Koray essayait d'écouter depuis le premier étage mais n'entendait que des bribes de phrases. "Je ne sais pas ce qui se passe dans ton foyer mais de toute évidence tu ne prêtes pas autant d'attention à Koray"... "Koray a eu quelques problèmes de discipline"..."C'est jamais facile d'être l'enfant du milieu, j'en sais quelque chose."..."Qu'est-ce que tu cherches, le Prodige? Depuis quand tu veux fouiller dans ma vie?" "Arrête tes conneries, j'ai vu des bleus sur Deniz, et ce n'est pas la première fois. Je ne sais pas pourquoi elle tient tant à rester, mais j'emmène Koray."
"Ne me parle pas sur ce ton petit frère, tu n'es qu'un pauvre type, jaloux de moi, qui se prend pour Spielberg. Prend le gamin et va te faire foutre."
Ils voulaient l'éloigner de sa maman? Avec un grand-frère inutile et un bébé, elle serait quasiment sans défense, il ne pouvait pas laisser faire ça. Mais on ne lui laissait pas non plus le choix. Il se souvint qu'elle le serra longtemps dans ses bras. Ils savaient tous deux qu'ils ne se reverraient pas avant longtemps. ]
Koray tomba amoureux de Denver. Denver était différent de tout ce qu'il avait connu jusque là; la ville semblait se cacher derrière les rocheuses, et pour un garçon de 8 ans qui n'avait vécu que dans des métropoles, voir ce type de paysages était inédit. De plus pour la première fois de sa vie il eut une vie familiale stable. Son oncle passait son temps sur les plateaux de tournages, et Koray fut laissé à sa tante, et sa cousine. Cette dernière devint très vite sa confidente, et sa tante était une petite dame rondelette qui passait la plupart de son temps dans la cuisine en essayant de le gaver de gâteaux et autres sucreries. "Tu es sage comme un ange,mais tu ne dis jamais rien. Mange, mon poulet, ça te remontera le moral!". Elle lui rappelait sa mère. Elle ne voyait que le bien en lui, même quand on lui rapportait qu'il s'était encore bagarré avec un autre enfant à l'école. Il lut au hasard quelques entrées de sa vie dans le Colorado.
Denver, 21 mai 2000
Cher journal,
tante Ann a dit: "Tu verras, tu te sentiras mieux en parlant de ce que tu as sur le coeur." Je ne sais pas si ça va marché, tante Ann. Mais tu ne sais pas. C'est nautre secret a Imogen et à moi. Je lui ai dis que j'avé peur pour ma maman, que j'ai peur quand on appel de New York. J'avai peur qu'on me dise qu'elle et morte. Mais elle et retournée à Londres. Donc je n'ai plus peur. Et j'aime bien Denver,j'avai jamai vu les Rockeuses avant.
Denver, 1er Mai 2004
Cher journal,
Oncle David est rentré de Los Angeles par le vol de 8h. Depuis la réunion d'hier avec Tante Ann et la directrice, je n'ai pas eu l'occasion de lui parler. Je ne sais toujours pas qui a été assez con pour se faire prendre. Un des mecs n'a pas encore compris que la règle n°1 du Fight Club, est qu'on ne parle pas du Fight Club, hors du Fight Club. Au fond je comprends pourquoi David n'a jamais voulu que je regarde son film, mais il ne comprenait pas à quel point le projet était le seul moyen pour moi et d'autres garçons d'exister. Cogner et se faire cogner est devenu pour nous une manière se sentir vivant. Peu importe. Ils ne me jetteront pas du collège parce que j'ai organisé tout ça. J'ai de trop bonnes notes et David ne laissera pas les médias relever que "Le neveu de David Fincher se fait expulser de son établissement pour avoir monté un Fight Club". Quelle ironie.
Denver, 2 Août 2007
Cher journal,
Je n'avais rien écris ici depuis un bon moment. Quand j'y repense, je devais être pathétique en arrivant ici. Le petit Koray dépressif. Je n'avais plus rien à craindre pourtant: Je ne vivais plus avec mon tyran de père, Imogen était devenue ma meilleure amie, Maman était en Grande-Bretagne. Elle a déménagé près de Londres, avec ma petite-soeur, Joan. Je n'arrive pas à croire que ça fait plus de huit ans maintenant. Matthew est resté avec Papa, bien évidemment, ce salopard de lèche-botte ne quittera son idole sous aucun prétexte. Il l'idolâtre tellement que ça me rend malade. Il finira journaliste, comme lui. Tant pis. Je les ai effacés de ma vie quand je suis retourné à New-York pour Noël, il y a deux ans. Le pire Noël de ma vie. J'avoue avoir provoqué mon père. Il n'avait pas à ramener sa putain du moment. pour Noël en plus, pour qui se prenait-elle? Ça s'est fini en bagarre, un hématome pour moi, un œil au beurre noir pour lui. Ce n'était pas la première fois que lui et moi on se battait, seulement, cette fois je ne me battait que pour moi-même. Je l'aurai tué ce salopard, si il n'y a avait pas eu Matt. S'il me touche encore une fois je le crèverai, je le sais.
Quand j'y repense c'est toujours son visage que je vois quand je casse la gueule à un connard. Miss Howell dit que j'ai des "troubles du comportement". J'aurais bien voulu la voir, à ma place, si elle était la seule barrière entre sa mère et un psychopathe à la place d'un père. J'ai suivi ses conseils pourtant, je me suis ouvert aux autres élèves, je me suis fait des amis, je pense même être assez sociable en ce moment, j'ai même une petite amie que j'adore. Mais dès qu'un type tente de me provoquer je n'arrive pas à retenir mes poings. Comme si une autre personne prenait possession de mon corps et se mettait à cogner tout ce qui bouge. Si c'est une maladie, je ne sais pas comment en guérir.
L'Etudiant referma le carnet et soupira. Comme il avait changé en peu de temps. Et quel petit con il était à 14 ans. Après le lycée il avait passé les S.A.T. avec une note globale de 2 180. Il avait dû quitter Denver pour Cambridge, et entrer à Harvard, en théâtre et arts visuels. Il avait énormément voyagé avec son oncle David à la fin de son adolescence et compris que le théâtre et le cinéma étaient deux mondes qui le fascinaient au plus haut point.
Aux yeux des professeurs et des camarades, il était le mec sympathique et souriant, un des meilleurs de sa promo, et qu'on pouvait toujours trouver à la bibliothèque. Il était satisfait de l'image qu'il projetait. "Montre leur quelque chose qu'ils aiment, et ils ne chercheront pas plus loin". Il avait enfin réussi à refréner ses réflexes agressifs, et s'était inscrit pour la forme dans un club de boxe. Il allait être l'élève modèle à présent.