WADE B. FORBES ► Sam Way

Ding dong la sonnette de l'entrée retentit dans un bruit strident qui ne ressemblait pas vraiment à un ding dong en réalité, faisant lentement lever les yeux de Wade de son livre. Wade va voir qui s'est lui ordonna la voix stressée de sa mère qui s'afférait en cuisine. Son père lui était avachit dans le canapé, abrutit par l'alcool dans un ronflement exaspérant devenu habituel. Chaque jour était la même rengaine. Sa mère rentrant tard du travail, récoltant la mauvaise humeur de son mari qui avait passé sa journée à ruminer et boire jusqu'à ce qu'il finisse par s'endormir, donnant un peu de répi à toute la famille jusqu'à son prochain réveil. Wade se leva précipitamment, espérant au moins que le bruit n'aurait pas réveillé son père. Non pas qu'il ait réellement peur de lui - quoique, un peu quand même - mais il détestait quand il se mettait à crier sur maman. Du haut de ses sept ans, attraper la poignée de la porte d'entrée n'était plus un challenge et c'est doucement, un peu méfiant, qu'il ouvrit aux inconnus. Bonsoir mon grand, tu dois être Wade ? demanda la femme avec un accent bizarre qui se tenait là. En entendant la voix sa mère le rejoignit rapidement avant d'aller serrer cette femme dans ses bras, sous les yeux étonnés du petit garçon. Il apprit rapidement qu'il s'agissait d'une amie Française de sa mère qu'elle avait rencontré pendant ses courtes années d'études, et qu'elle n'avait pas revu depuis un long moment. Après être retournée en France, elle avait décidé de revenir habiter à Londres avec sa fille. Depuis toujours, Wade aimait écouter les discussions des personnes adultes. Souvent les gens ne faisaient pas attention à lui, pensant certainement qu'il était trop petit pour comprendre, ou pour ne serait-ce que s'intéresser à ce qu'ils disaient. Mais Wade était intéressé. Ce ne fut qu'au moment où la femme évoqua sa fille que Wade la remarqua. Elle était toute petite et se cachait à moitié derrière sa mère qui l'invitait à venir dire bonjour. Secouant la tête avec véhémence, la petite fille agrippa un peu plus le manteau de sa mère pour cacher son visage. Ce que tu peux être timide Ivy ! Excuse-la, elle ne parle pas encore très bien l'anglais alors... Peut-être que tu pourrais lui apprendre quelques mots Wade ? dit-elle finalement avec un sourire en se tournant une nouvelle fois vers lui. Wade resta muet, de nature peu amène avec les inconnus. A l'autre bout de la maison un grognement se fit entendre, annonçant le réveil du paternel et faisant sursauter le garçon. Sa mère écourta les retrouvailles soudain paniquée, et ce fut au moment où elle ferma la porte que Wade aperçut furtivement Ivy, ses grands yeux braqués sur lui. Et même du haut de ses sept ans, il fut éblouit par sa beauté.

Waaaade ! s'exclama la voix cristalline d'Ivy en venant se jeter à son coup alors qu'il lui ouvrait la porte d'entrée. Venant déposer un baiser sur ses lèvres elle s'écarta de lui avec un sourire, comme d'habitude, laissant Wade un peu rosit alors qu'il l'emmenait en direction de sa chambre. Ivy... je t'ai déjà dis qu'il fallait que tu arrêtes de m'embrasser comme ça, on ne fait pas ça ici dit-il en s'asseyant sur son lit avant de sursauter en voyant les magazines X qui traînaient sur sa tablette de nuit. Le bisou ? dit-t'elle innocemment en français. Qu'est-ce que tu caches ? demanda-t'elle alors que Wade rangeait précipitamment les magazines avant qu'elle ne les voie. Rien t'occupe. Et oui je parle du bisou. C'est mal, tu ne peux pas continuer à m'embrasser comme ça, on n'est plus des enfants... C'est ton petit ami que tu devras embrasser comme ça, pas moi dit-il en attrapant sa guitare posée dans un coin de la pièce au milieux du bordel monstre de sa chambre, son médiator coincé entre les dents. Alors je veux que tu sois mon copain garçon ! dit-elle avec un grand sourire en venant s'asseoir à côté de lui. On dit petit ami Ivy. Et non ça c'est pas possible dit-il en commençant quelques accord à la gratte. Le beau visage d'Ivy se décomposa pendant un instant, avant que cette lueur de détermination si familière ne s'allume dans son regard. Non je m'en fiche, ce sera moi ta petite amie ! Pourquoi tu ne veux pas ? dit-elle avec son accent si prononcé. Bon dieu ce qu'elle pouvait être têtue par moments ! Eh bien parce que... j'ai déjà une petite amie ! Voilà ! C'était un mensonge, mais il put néanmoins lire la déception dans le regard de son amie, lui faisant un pincement au coeur. Bon ! Assez discuté dit-il pour couper court à la discussion. Tu connais le texte ou pas ? Ivy resta silencieuse quelques instants, avant d'hocher la tête en se redressant légèrement. Wade commença alors le morceaux, jouant les accords qu'il avait travaillé. ♪ I was five and he was six, we rode on horses made of sticks, he wore black and I wore white, he would always win the fight, bang bang, he shot me down, bang bang, I hit the ground... ♫ La voix d'Ivy résonnait dans toute la pièce, bercée par la douce mélodie de la guitare de Wade. Ils se retrouvaient souvent ainsi après les cours pour s'entraîner, lui jouant de sa guitare et elle, posant sa voix incroyable sur les quelques notes qu'il lui offrait. Il n'avait que quatorze ans et elle treize et pourtant, ils se débrouillaient déjà vraiment bien. Wade adorait regarder Ivy lorsqu'elle chantait, admirant les mouvements de ses lèvres et le battements de ses cils lorsqu'elle fermait les paupières. Ivy était tellement douce, tellement belle, et si pure... Il se refusait de la considérer autrement qu'une petite fille. Il ne voulait pas la toucher, comme il touchait les autres filles, au risque de répandre en elle toute ce désir qui sommeillait en lui et qui finirait par la souiller. Non, Ivy était bien trop précieuse à ses yeux pour qu'elle ne devienne sa petite amie, sa proie, son exutoire à toute la colère qui sommeillait en lui. Ivy était ce qu'il avait de plus précieux au monde, et jamais il ne se résoudrait à la voir comme ces filles qu'il prenait et qu'il jetait sans aucuns remords. C'est pas bientôt fini ce boucan ?!! s'exclama le père de Wade du salon, d'une voix rocailleuse. La guitare de Wade s'arrêta et Ivy cessa de chanter, échangeant un regard lassé avec son ami. Viens, on va au parc.

Wade arrête... on va nous entendre... je... Wade plaqua sa bouche sur celle de la jeune fille, passant rapidement sa main sous son uniforme pour atteindre la courbe excitante de sa poitrine. Avide de plaisir il l'embrassa avec fougue, commençant à remonter la longueur de sa jupe. ... non, arrête... dit-elle entre deux baisers. Je suis sérieuse Wade ! s'exclama-t'elle finalement en se détachant de lui. Oh mais t'es chiante là ! D'habitude ça te pose pas de problèmes ! s'exclama-t'il à son tour, légèrement agacé.[/color] La lycéenne remit ses vêtements en place en lui jetant un regard noir. Oui mais là j'ai pas envie. Et puis après tu vas encore avoir des ennuis, t'en as pas assez déjà ? demanda-t-elle plus doucement. Wade détourna le visage, saoulé. Qu'est-ce qu'il en avait à foutre d'avoir des ennuis hein ? C'est bon jme casse, tu m'as saoulé dit-il sans plus lui accorder la moindre attention. Poussant la porte des toilettes, il remonta sa braguette avant de se sortir une cigarette. C'est ça casse-toi connard ! Wade haussa les épaules en s'allumant sa cigarette. Elle disait tout de temps ça de toute façon et au final, elle finissait toujours par revenir coucher avec lui. Rejoignant ses soit-disant "potes" devant le lycée, il discuta un instant avec eux quand soudain, l'un d'eux l'interpella. Regarde qui est là pour toi Wade dit-il en désignant une fille qui attendait non loin de là du menton, un sourire narquois sur les lèvres. J'espère qu'elle est bonne au moins, parce que pour un pot de colle ça, s'en est un ! dit-il en se marrant comme un débile. Wade tourna son regard vers la jeune fille en saisissant son sac au sol. Ta gueule. Abandonnant ses potes pour faire les quelques mètres qui le séparait d'elle, Wade alla rejoindre Ivy. Qu'est-ce que tu fais là ? Je t'ai déjà dit de pas venir me voir au lycée, le mien est beaucoup moins fréquentable que le tien... dit-il toujours sur un ton agacé. Ce n'est que lorsqu'il la regarda de plus près qu'il vit les larmes dans ses yeux. Wade, ta mère...

Toute vêtue de noir, Ivy chantait la chanson préférée de la mère de Wade, des larmes glissant lentement sur ses joues roses sans pourtant altérer cette voix si exceptionnelle que le ciel lui avait donné. Wade lui s'était accroupis, recroquevillé au pied de la tombe de sa mère, la tête enfouie entre ses jambes, anéanti par la chagrin. Il s'était préparé pourtant, les médecins lui avaient bien dit que sa leucémie serait fatale. Mais savoir les choses et y faire réellement face étaient deux choses différentes.

T'es complètement folle ou quoi ?! Wade était hors de lui. Il n'arrivait pas à comprendre comment Ivy pouvait autant se mettre en danger. Elle avait pas les yeux en face des trous ou quoi ? C'était quoi cette idée de rentrer toute seule de boite en pleine nuit accompagnée de mecs qu'elle ne connaissait même pas ?! Parfois il se demandait si vraiment elle avait conscience de l'attraction qu'elle avait sur les hommes. Pourtant, les choses semblaient s'être petit à petit améliorées dans sa vie. A son grand désarroi sa soeur avait arrêté ses études pour endosser le rôle de mère qu'ils n'avaient plus, s'occupant de son père alcoolique de plus en plus misérable. Wade avait d'abord été dégoûté de son comportement, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle faisait ça pour lui, et uniquement pour lui. Il lui avait promis d'au moins terminer le lycée, et c'était mis à travailler sérieusement pour la première fois de sa vie. Et malgré toutes ces années où il n'avait fait qu'errer dans les couloirs, il avait obtenu son diplôme, avec mention. C'est à peine si son père l'avait félicité. Sa soeur par contre, elle, l'avait poussé à poursuivre ses études. Suivant des cours d'informatique poussés depuis plusieurs mois, Wade avait osé postuler pour Harvard. Et il avait été pris. God ça, c'était une surprise. On ne refusait pas Harvard, et Wade était donc parti avec le peu d'argent qu'il avait. Et bien entendu, un an plus tard, Ivy l'avait rejoint. Et avec elle, tout semblait partir en couille. Et puis qu'est-ce que t'as à traîner comme ça le soir n'importe où hein ? dit-il en l'engueulant comme une gamine. L'ignorant de prime abord, Ivy s'alluma une cigarette et prit une première taffe. Pourquoi tu fumes ?! Arrête ! Tu vas te bousiller la voix... dit-il en lui arrachant la clope du bec, posant sa main sur son bras. Fous-moi la paix Wade, t'es pas mon père ! s'exclama-t'elle en se dégageant de lui en insistant un peu sur sa poigne, sourcils froncés. Qu'est-ce que t'as à toujours faire le flic avec moi comme ça hein ? Laisse-moi tranquille ! Je ne suis pas la petite chose fragile que tu crois ! Je ne suis plus une gamine bordel !! lui balança-t'elle en criant cette fois. C'était vrai, Ivy n'était plus une enfant. Son regard innocent avait disparu en même temps que ces petites joues rondes. Des formes de femmes avaient remplacé les courbes qui se devinaient tout juste à l'époque et sa voix était plus mature, moins insouciante. Et tout ça le rendait dingue, autant de voir à quel point elle semblait lui glisser entre les doigts.

Je n'arrive toujours pas à y croire... Wade non plus, n'en croyait pas ses yeux, et les yeux écarquillés d'Ivy témoignaient de sa propre perplexité. Ils avaient tellement galéré toutes ces années, tout ça pour ne recevoir cet argent que maintenant. C'était beaucoup de choses à avaler et devant le visage en larmes de sa soeur, Wade ne savait quoi dire. Alors comme ça leur mère avait eu une aventure hein... Et il n'était pas le fils de ce trou-du-cul l'alcolo. Non, il était le fils d'un riche PDG d'une boite quelconque qui venait de mourir, et qui lui avait légué une bonne partie de sa fortune, n'ayant pas d'autres famille en dehors de lui, et de son autre fils. Sa soeur avait toujours su, sa mère ne lui avait jamais rien dit. Et l'autre croulant n'était évidemment pas au courant. Lui qui avait toujours enchaîné les petits boulots pour subvenir à ses besoins et celui de sa soeur, voilà qu'il était riche. Riche. Sa première pensée fut pour sa mère. Si il avait reçu cet argent plus tôt, il aurait pu lui payer ses séances de chimio et aujourd'hui, elle serait peut-être toujours en vie. Un élan de haine s'empara de lui à l'égard de cet homme qui a sa mort, se pointait comme une fleur dans sa vie pour le tourmenter. Et cet autre fils, c'était qui au juste ? Il avait un demi-frère alors ? Mais heureusement Ivy fut là pour prendre les bonnes décisions. Non, il ne fallait pas brûler cet argent. Il fallait le garder, réaliser un beau projet de vie. La première chose que Wade fit avec cet argent fut d'acheter une maison à sa soeur à Cambridge, pas loin d'Harvard, afin qu'il puisse venir la voir régulièrement. Il voulu envoyer son père en maison de retraite, mais elle insista pour le garder auprès d'elle. Et le reste, qu'allait-il en faire ? Aujourd'hui encore, la question reste en suspens. Au moins, il n'avait plus de raison de s'inquiéter quand au prix de ces études, ainsi que celles d'Ivy.