Blackwood, Ecosse. Petite village perdu au milieu de nulle part. C’est là que je suis née, c’est là que je pensais mourir étant plus jeune. Je crois avoir toujours eu au fond de moi des souhaits de grandeur, de gloire, d’ailleurs. Mes parents étaient de sympathiques fermiers. Comme tout le monde se connaissait dans le village, que l’entraide, la solidarité et l’amour étaient présents dans chacun de nos pas, il était impossible pour un enfant de suivre le mauvais chemin deux fois. Moi, ça m’est arrivé. A l’époque, j’avais 6 ans lorsque j’ai embrassé mon premier garçon sur la bouche. Oh, ce ne serait pas bien grave pour vous, naturellement. Mais mes parents et la majorité des villageois étaient des gens très pieux, très…chiants. On n’avait pas le droit d’embrasser avant sa majorité. Pas le droit de faire l’amour si on n’était pas marié. Pas le droit de jouer dans la boue quand on était une fille, pas le droit de mettre ses coudes sur la table, pas le droit de roter, de crier, de mal manger. En fait, j’ai passé toute mon enfance à faire attention à ce qu’il ne fallait pas faire, tant et si bien que ma personnalité s’est développée en conséquence. J’adorai mes parents. Je les déteste aujourd’hui d’avoir fait de moi ce que je suis devenue. Même s’ils ne sont pas entièrement responsables loin de là.
Nous nous sommes quittés à ma majorité, comme je l’avais prévu moi depuis de longues années. Non, impossible de rester une seconde de plus dans cet enfer. Je n’avais pas vécu avec eux, j’avais survécu, toute la différence était là. J’avais besoin de voir, de toucher, d’attiser ma curiosité. Tant et si bien que j’ai passé un an à rattraper les erreurs de toute une vie. A fumer, à boire, à me droguer, à coucher ici et là, à rire, à voler aussi même si ce ne fut que de petits larcins, et pour finir, j’ai passé ma première nuit en cellule moi, la petite fille modèle. Quoique ayant reçu une éducation très pieuse, ma famille n’avait jamais été très riche. Nous habitions une petite ferme et élevions quelques poules et quelques oies, vivions des légumes du jardin et des ventes au marché le dimanche. Tiens, je viens d’y penser, je n’ai pas revu ma sœur depuis que je suis partie. Elle est plus jeune que moi de douze ans. Environ. Je ne m’en souviens plus très bien. Seulement qu’elle avait tendance à trop se soumettre à la volonté des parents et que cette manie de sainte-ni-touche m’horripilait. Passons. Après être parvenue à quitter le commissariat avec l’aide d’une amie tout aussi déglinguée que moi, j’ai fait la connaissance de ce policier. Oh, vous ais-je dit que j’avais quitté le territoire écossais ? Non, je ne crois pas. Me voilà en France, dans à ce qu’on dit être l’une des plus belles villes au monde : Paris.
Il s’appelait Marcel. Avait les yeux verts avec une légère touche de gris, des pommettes hautes et fières, un regard ténébreux et des cheveux d’un noir de jais dans lesquels j’aimais à glisser mes doigts pour les éparpiller. Nous avons vécu près de deux ans ensemble, sans une ombre au tableau. Au début de notre relation, il m’avait fait jurer d’arrêter les bêtises et de me comporter enfin comme une citoyenne ordinaire. Je pensais qu’il m’en demandait trop, et je revoyais dans ses principes les valeurs archaïques de mes parents avant lui. Pourtant, il n’était pas religieux. Juste …d’une droiture sévère que je n’ai jamais compris. J’aurai dû savoir que ça ne fonctionnerait pas. Un soir, mon amie est passée. Out. De la coke, sûrement. On avait l’habitude de s’en enfiler lorsque je traînais encore dans les rues sordides de la ville. Aujourd’hui, j’avais un homme bien, une vie saine, et cela me convenait. Elle n’y a pas cru, et a cru bon de s’incruster dans ma petite ville tranquille, riant trop, gueulant fort. Ca n’a pas plus à Marcel qui m’a fichu dehors. Son excuse fut que mes fréquentations feraient de l’ombre à son image, à la promotion qu’il projetait d’avoir pour devenir commissaire. Je crois surtout qu’il n’a pas eu les couilles de me dire qu’il ne m’aimait plus. Que son idéale féminin était une femme plus soumise et moins indépendante que moi.
Charlie, Anglais. Lorsqu’on fait référence aux origines anglaises d’un individu, les gens pensent toujours à l’Anglais basique, coincé, incapable de montrer ses émotions. Cintré, les vêtements impeccables, la stature haute et le profil parfait du gentleman. Mon Charlie n’était pas du tout comme ça. Grand, costaud, veste en cuir, démarche de catcheur, chevelure blonde arrivant à hauteur des épaules, souvent nouée en queue de cheval par ailleurs, jean de motard et bottines de cow-boy. Il conduisait une Harley. Ca, ça me manque vraiment. De sentir le vent fouetter mon visage, de voir les paysages qui défilent, d’oublier tous mes problèmes. Charlie est mort six mois après notre mariage. Nous avons vécu un an ensemble. Une année idyllique. Malgré son aspect vestimentaire que d’autres jugeraient non fiables, il avait ce côté réservé et mâture des hommes qui ont expérimenté la vie. C’est pour ça que je me suis mariée. Parce qu’il savait me faire rire comme personne. Le problème, c’est qu’il savait aussi me faire pleurer. Lorsque les premiers coups ont plu, je me suis demandé comme toutes les femmes battues avant moi, ce que j’avais fait de mal. Ce que je pouvais changer pour lui plaire. Après deux côtes fracturées et un bras dans le plâtre, j’ai trouvé. Charlie est mort dans la nuit du 9 août 2008. La police n’a jamais compris comment son cœur avait pu s’arrêter de battre lui qui n’avait aucun problème de santé particulier.
Vivant de l’assurance-décès de Charlie qui, aussi surprenant que cela puisse être, avait été fort conséquente, j’ai décidé cette année-là de poursuivre des études. Pourquoi pas aux Etats-Unis, tiens ? Moi qui aime tant les voyages ... Le problème, c’est le cursus. J’avais étudié le français, les mathématiques, la biologie, bref les matières courantes que l’on enseigne tout naturellement dans les petites classes, mais aucune n’avait réellement eu ma préférence. Et c’est comme ça, en partant sur cette confusion, que j’ai découvert mon futur métier. Je suis allé un mardi rencontrer une conseillère d’orientation-psychologue afin qu’elle m’aide à trouver ma voie. Après de multiples tests psychotechniques et de personnalité, j'ai dû me rendre à l'évidence : si ma vie de couple avait toujours été un véritable fiasco jusqu'ici, je croyais véritablement au grand amour. En l'apparence, les gens me jugent toujours austère, sévère et psycho-rigide. Bref, incapable d'aimer. Qui plus est, je me suis découvert des prédispositions pour le calcul, diriger une équipe et fructifier. Autant que mes compétences servent, non ?! J'ai donc suivi des études en école de commerce, afin de comprendre les processus financiers et administratifs utiles à l'ouverture de ma future entreprise : une agence de rencontres.
5 ans maintenant que je suis riche, désirée et désirable. Il faut dire que depuis le temps que j’ai quitté l’Ecosse, j’en avais appris des choses pour gagner la confiance des mâles. Du rouge à lèvres rouge vif sur des lèvres pulpeuses donnant envie d’embrasser, à la robe moulante qui ne dévoilait que le strict nécessaire, juste coupée au ras du genou, des talons aiguilles qui valorisaient les fesses, aux cheveux tombant en cascade le long de ma colonne, il faut croire que j’étais née pour faire ce job : parader et manipuler la gent féminine et masculine au complet. Pour autant, les rencontres ne sont pas pour moi. J'ai trop de valeur pour le petit peuple.