« Maman, maman ! Est-ce que ça va être un petit frère ? Dit moi que ça va être un petit frère ! » s'exclamait déjà la première lorsque la seconde se joignit aussi à la partie. « Un petit frère, je t'en priiiiis ! ». Madame Crosby regardait tendrement ses deux jeunes filles de neuf et sept ans avec un sourire en coin. Elle savait déjà le sexe du bébé. Elle le savait depuis longtemps, même... Elle voulait simplement garder la surprise jusqu'au jour où monsieur Crosby serait de retour de son voyage d'affaires à New York. Pour elle, être enceinte d'un petit garçon, c'était une seconde chance... Une seconde chance parce qu'avant d'avoir Sandra et Kate, mademoiselle Crosby avait fait plusieurs fausses couches... Toutes prédestinées à être des petits garçons... Elle savait que son mari serait heureux de cette nouvelle. C'est pour cette raison qu'elle voulait lui dire en personne et non pas au téléphone... Elle posa sa main sur le dessus de la tête de la plus jeune et commença à lui flatter les cheveux. « Dès que papa sera rentré, vous saurez... » ~
26 janvier 2004
Salut.
J'm'appelle Lawrence, j'ai 14 ans et on m'oblige à écrire dans un " journal intime ". Honnêtement, je n’aime pas bien ça. Je sens que mon père me juge. Je sens que ma mère va verser une larme. Et j'ai l'impression d'être comme mes soeurs en écrivant dans un truc comme ça... C'est ridicule. J'suis un mec, un vrai. Je ne vois pas pourquoi j'ai besoin d'écrire ? Ok, oui... J'ai quelques problèmes à l'école et... avec mon père, mais... Ok... Au pire je vais tenter l'coup. Ma psy va être fière. Elle est jolie, je ne voudrais pas la décevoir.
À plus.
Law.
QUELQUES MOIS PLUS TÔT
« Lawrence ? » Silence. « Lawrence ? Je sais que tu es rentré, tes chaussures sont dans l'entrée ! » s'exclame madame Crosby en entrant dans le hall de leur grande maison. Comprenez : monsieur Crosby étant l'un des avocats les plus prestigieux de tout Philadelphie - et même plus loin - et madame Crosby, quant à elle, était une designer de mode qui travaillait sur les plateaux de films et de séries télévisées. La famille n'était donc pas sans le sou, bien au contraire. « Lawrence ? Tu sais que je n'aime pas quand tu m'ignores ! » Sandra et Kate, les aînées de la famille allaient parfaitement bien. Depuis l'enfance, elles avaient reçu la meilleure éducation possible et maintenant, elles commençaient toutes les deux des études supérieures en droit. Par choix, non pas par obligation. Sandra, en plus de ses honorables mentions à son diplôme, était aussi une artiste innée. Elle faisait de la danse, du chant, des claquettes et de la gymnastique. Kate, quant à elle, était plutôt un rat de bibliothèque, dévorant encyclopédies et biographies en tout genre. On pouvait donc dire que les deux premières de la lignée Murphy-Crosby étaient parfaites. C'était un peu plus différent pour Lawrence... « Lawrence, Seigneur ! Réponds-moi ! » s'exclamait la mère qui commençait à perdre patience. Elle avait fait le tour du grand salon... Aucune trace de son fils. Le cadet de la famille était, malgré lui, un peu différent de ses deux soeurs. Dès l'enfance, il reçut aussi la meilleure éducation qui soit. Dès lors, il était évident qu'on aurait affaire à un génie. À peine entré au collège qu'il avait déjà les meilleures moyennes et ce, dans toutes les matières. Son père en était fier tout comme sa mère. Cela dit, ce qui embêtait monsieur Crosby était que son héritier ne semblait pas s'intéresser au droit comme le faisaient ses soeurs. Voyez... monsieur Crosby possédait plusieurs cabinets d'avocats à travers les États-Unis et il souhaitait léguer le tout à son fils unique, à sa mort. Ça, le jeune garçon le savait pertinemment puisqu'on ne cessait jamais de lui répéter. « Un jour, tu seras un grand avocat, tout comme tes soeurs ! Mais tu seras à la tête de Crosby&Co ! Tu seras le Maître le plus réputé ! »... Mais Lawrence ne s'intéressait pas à ça. Il allait aux dîners, aux évènements, aux galas seulement pour faire plaisir à son père... Au début, ça passait, mais vers le début de l'adolescence, les deux hommes eurent une première confrontation à ce sujet. Puis une autre... Puis une autre... Et ils finirent par ne presque plus s'adresser la parole. « Lawrence, bordel ! Je sais que tu es là. Où veux-tu être d'autre ? » lançait sa mère en l'air, alors qu'elle tournait le coin pour atterrir nez à nez avec son fils, assis par terre, le dos contre le frigo. On aurait dit qu'une armée de soldat venait de dévaliser le contenu du garde mangé et du frigo... Seulement, en voyant la mine de son garçon, madame Crosby comprit que c'était Lawrence. Lawrence qui avait tout mangé... Et ce n'était pas la première fois. ~
1er février 2004
« Je suis fière de voir que tu as commencé ton journal, Lawrence. N'hésite pas à y écrire chaque fois que tu te sens mal ou... » « Ou chaque fois que j'ai envie d'manger jusqu'à m'en faire vomir ? ». Silence. Lawrence ne manquait pas de tact. Il était direct, impulsif... Parfois même blessant. Mais c'était comme ça. Chaque personne réagit différemment à des évènements marquants. Plusieurs se mutilent, d'autres en viennent à commencer la drogue ou l'alcool. Dans les pires cas, les gens se suicident. Lawrence, lui, avait développé ce qu'on appelle un TCA. Un trouble du comportement alimentaire. Dans la même lignée que l'anorexie, le jeune adolescent de quatorze ans était boulimique. Dans les moments de stress intense, de détresse psychologique, il se gavait jusqu'à en avoir mal au coeur, parfois même jusqu'à vomir. Après quoi, il se sent coupable et doit faire trente minutes de sport, parfois plus... Ce que ses parents n'arrivent pas à comprendre c'est « pourquoi ? ». Lawrence n'a jamais manqué de rien. Ni d'amour, ni d'argent et encore moins de ressources quelconques... À l'école, il était aimé de tous, apprécié des professeurs, apprécié des filles... Il était populaire et très bon élève. Mais en dedans, la pression était trop grande... Il devait être parfait à tout prix. Pour plaire. Pour plaire à son père, pour arriver à lui faire comprendre que même s’il ne devenait pas avocat, il gagnerait bien sa vie... Mais plus particulièrement, pour se plaire à lui... ~
20 juin 2007
Salut.
Je ne suis pas très fier de moi, là. On avait fait des progrès et voilà qu'à cause d'une pétasse, j'ai... rechuté. J'parle comme un drogué, bordel. « Salut, j'suis Lawrence et j'me drogue à la bouffe quand j'ai une mauvaise passe ». Je suis pathétique... Non, en fait. C'est elle qui l'est. Cette espèce de connasse blonde. Salope. Je me suis donné pour elle ! J'ai... j'ai changé pour elle ! Je lui ai ouvert mon coeur, je lui ai fait confiance, j'l'ai même laissé voir mes faiblesses bordel ! Tout ça pour quoi ? Pour qu'elle aille voir ailleurs même pas six mois plus tard ! Sérieux, est-ce que toutes les femmes sont connes comme ça ? Après on dit que les mecs de mon âge - 17 ans - sont tous des machos irrespectueux. Bah vous savez quoi ? C'est peut-être à cause de bitch comme vous qu'on finit par devenir des playboys qui s'foutent de vous ! Commencez donc par vous regarder, par agir comme des bonnes personnes et après on verra si les hommes sont cons ! Seigneur. Je l'aimais vraiment, moi. Oui. J'ai été capable de vraiment aimer. C'est dur parce que si on s'aime pas soi-même, comment on peut aimer quelqu'un ? Mais bordel ,avec elle, j'étais capable. Je m'aimais et je l'aimais. Et voilà que BAM. Tout s'écroule. Pauvre salope. Pauvre salope de merde. Et pauvre con que je suis.
Law.
Après les mois qui suivirent la rupture de Lawrence et cette « connasse », le jeune homme s'en tira plutôt bien. Il s'était fait un bon réseau d'amis qui l'aida à passer par-dessus et en un rien de temps, il fut remis sur pieds. Cette rupture le fit malheureusement rechuté quelques fois, mais après quoi il reprit les consultations et tenta d'oublier. Le parfait gentleman laissa donc place à un homme plutôt... dragueur ? Si les femmes ont droit de se jouer des hommes, l'inverse peut totalement être acceptable. Après tout, il était désormais libre comme l'air, autant en profiter ! Il fit la rencontre de très belles femmes, mais jamais il n'officialisa. Par peur de se faire briser le coeur, sans doute. Ou pas peur de ne pas être à la hauteur. Peut-être les deux, en fait. Cela dit, la fin du lycée approchait à très grands pas et son père recommençait à lui mettre la pression quant à son choix de cursus. En effet, monsieur Crosby s'était montré plutôt compréhensif lorsque son garçon avait commencé ses " problèmes de santé ". Il lui avait laissé du lousse, du temps. Il n'insistait plus pour que Lawrence l'accompagne à ses galas et autres évènements... Mais une petite lueur dans l'oeil du père refusait de s'éteindre. Il y avait encore des chances que son fils étudie le droit... « Que ça te plaise ou non, j'irai en biochimie. ». Le père resta collé sur place, étrangement surpris d'un tel courage venant de la part de son fils. Madame Crosby se tenait non loin, gardant un oeil sur la scène pour ne pas que ça dérape. Après quelques mots échangés, le père quitta la pièce et la mère alla près de son garçon. Elle posa la main sur le haut de sa tête et flatta ses cheveux. « Ça va, Law ? » demanda-t-elle, gentiment. « J'irai en biochimie, point final. ». Le jeune adulte se leva de sa chaise et parti en direction de sa chambre. ~
7 septembre 2011
« Lawrence, je veux que tu dises à ton père comment tu te sens. N'aie pas peur. On est ici pour parler, pour s'écouter. » L'adulte de 21 ans fixa son père droit dans les yeux, les bras croisés contre son torse. Il avait honte. Honte d'être encore dans cette salle, avec cette thérapeute. Il avait honte d'avoir encore des rechutes, des problèmes " de santé "... Mais ce qu'il était le plus découragé de, c'était son père... « Tu m'as laissé m'inscrire en biochimie. Tu m'as même laissé choisir ma mineure en théâtre. Tu m'as dit " j'accepte " et pourtant, ça fait trois ans que tu me tapes sur la tête sans cesse, que tu me rabaisses constamment, que tu t'entêtes à me faire la vie dure juste pour me faire regretté de ne pas avoir choisi de " marcher dans tes pas ". J'en ai marre, vraiment marre ! Tu ne vois pas que je suis une personne excellente malgré ça ? Et que je ne ferai certainement pas honte à la lignée des Crosby ? Il n'y a pas que le droit dans la vie. Et j'en ai marre ! ». Le père ferma les yeux un instant, prit une grande inspiration et souffla. « Je suis fier de toi, Lawrence. Vraiment. » C'était les premières paroles qu'ils échangèrent depuis des mois. Comme Lawrence avait compris que le principal de ses TCA lui venait de son père, de sa relation chaotique et tout ce qui l'entourait, il avait essayé de réduire les rencontres, les dialogues et les échanges non verbaux avec son père... Étrangement, ces mots lui firent plaisir. Parce que pour une fois, son père avait l'air réellement sincère. L'était-il ? ~
16 juin 2013
« J'peux plus respirer ! J'peux plus respirer ! J'me sens pas bien, là... » Une fois de plus, Lawrence avait presque avalé la totalité d'un pot de crème glacé, passant par les petits gâteaux, les arachides, les cupcakes fait maison, les Viennoises et un croissant au chocolat. Monsieur Crosby, pour la première fois, était près de son fils durant une crise. [color:fbdc=#saltblue]« Ça va, respire. Ça va aller... Explique-moi. » dit gentiment son père, posant sa main dans le dos de son fils, visiblement mal en point. « Papa, j'ai pas pu faire une chose pareille ! Tu me crois toi ? J'ai beau être un dragueur, un beau parleur, mais bordel jamais j'irais jusqu'à violer une femme ! Même saoule, papa ! » crachait Lawrence, en mélangeant son récit avec des hauts le coeur et des sueurs froides. Pour comprendre, remontons un peu dans le temps : Lawrence venait de terminer sa cinquième année de biochimie à l'université de Philadelphie avec brio. Il s'était forgé la réputation d'un très bon élève, surmonté par sa capacité de savoir bien parler aux femmes. C'était un mec, un vrai. Celui qui aime plaire, qui aime faire parler de lui. Qui aime se pavaner, montrer son corps, ses atouts - sans pour autant avoir envie de les vendre ou se rendre compte de la chance qu'il a d'être qui il est -. À l'occasion de la clôture de l'année scolaire, une grande fête avait été organisée. Beaucoup d'élèves s'y étaient retrouvés et comme on le sait tous, qui dit fête étudiante dit beaucoup d'alcool. Et il y avait cette fille. Celle qui a la réputation d’être une pétasse, celle dont on ne doit pas s’approcher, mais qui finit toujours par avoir tous les mecs à ses pieds… Il se trouve qu’alors que Lawrence avait un peu trop bu, la jeune étudiante s’était présentée à lui en le draguant ouvertement. Des baisés s’étaient échangés, mais rien de bien sérieux… Cela dit, l’étudiante désirait aller plus loin. Elle avait le jeune Crosby dans sa mire et ça paraissait beaucoup trop. Elle le tira de force jusqu’à une chambre et c’est là que le futur biochimiste a été capable de mettre un terme à cette mascarade. Il la laissa donc en plan. Oh oh ! Comme la pétasse qu’elle était n’aime pas se faire larguer, le lendemain, elle s’amusa à raconter à tort et à travers que Lawrence l’avait violé. Il avait même commencé à recevoir des injures par messagerie texte et sur les réseaux sociaux. Une convocation à la Cour de Philadelphie a même été envoyée au domicile des Crosby ! « Lawrence, ça va. Je m’en charge. Ne t’inquiète pas. Je te crois. Je te crois, moi. Ça va aller ! » Et comme un bon père qu’il était, il agit finalement – et pour la première fois – dans l’intérêt de son fils. ~
17 août 2013
Salut.
Tu sais d’où je t’écris ? D’HARVARD BITCH. Ouais, c’est la solution que mon père a trouvée. N’allez pas croire que j’ai fui les problèmes… Tout c’est réglé pour cette pétasse, mais… Mon père tenait quand même à ce que je poursuive mes études ailleurs. Pour changer d’air, pour… “ me guérir une bonne fois pour toutes “. Et honnêtement, j’en ai envie. Parce que bon… J’ne veux pas toujours vivre ainsi. Alors à moi la vie. À MOI HAAAARVAAARD.
Bye.
Law.