« Norah, c’est la seule solution. Tu es beaucoup trop jeune pour gérer ça. Tu ne te rends pas encore compte de tout ce que ça implique. Tu serais obligée d’arrêter tes études, ce qui n’est pas envisageable. De toute façon, notre décision est prise, nous t’emmenons à l’hôpital demain. »Ses mots coulaient sur moi comme les larmes sur mes joues. Je ne voulais pas l’écouter. Je n’enregistrais pas ce qu’elle essayait de me faire comprendre depuis plus d’une heure. Mon père, lui, était entré dans une colère noire. Il m’avait collé une gifle à m’en envoyer au sol, avant de quitter la pièce en furie. Ma mère était restée là. Immobile. Le laissant m’insulter comme une vulgaire traînée. Je pouvais lire le dégoût sur leur visage. La haine dans les yeux de mon père. La peine dans ceux de ma mère. J’aurais voulu tout quitter, tout envoyer en l’air et m’envoler de l’autre côté de l’Atlantique pour retrouver les seuls bras capable de me consoler, et dans lesquels je me sentais en sécurité, le seul regard capable de se poser sur moi avec autant d’amour et de tendresse. Sans jeter un seul coup d’œil vers ma génitrice – que je ne considèrerai plus jamais comme ma mère à daté de ce jour – je m’enfermai dans ma chambre, me jetant sur mon lit. Cachée sous ma couette, je pleurai toutes les larmes de mon corps, me déshydratant complètement, les bras resserrés autour de mon ventre. Je n’avais jamais eus aussi mal de toute ma vie. Je ne savais même pas que c’était possible d’avoir aussi mal physiquement à cause d’un choc psychologique. Même lorsque j’avais été obligé de quitter Paris et l’homme que j’aimais, cela avait été douloureux certes, mais pas à ce point. J’avais l’impression de mourir sur place, que le temps s’était arrêté. J’aurais tout fait pour que ça s’arrête, pour retrouver une certaine paix intérieure. Mais rien n’y faisait. Les larmes coulaient, sans s’arrêter, mais la douleur n’avait de cesse de s’amplifier. C’était comme si l’on m’avait enfoncé un poignard de glace dans le cœur. Je finis par m’endormir, complètement abrutie par les pleurs et la souffrance.
Une fois réveillée, dans un accès de panique mêlée de conscience, j’allumai mon ordinateur. Il fallait que je le prévienne, que je lui envoie un mail, que je me libère de ce poids. Et surtout, il était autant concerné que moi par ce qu’il m’arrivait. J’ouvris ma boite mail. Le curseur clignotait, marquant chaque seconde qui passait sous mes yeux, me rapprochant inévitablement de l’instant fatal. Je cherchais mes mots, commençant une phrase, avant de tout effacer. Après une bonne demi-heure, j’étais toujours face à ma page blanche, complètement angoissée. J’étais incapable de le lui annoncer comme ça, par mail. Je ne pouvais pas larguer une bombe telle que celle-là sur sa vie sans être à ses côtés pour assumer les conséquences de nos actes. Des larmes se formèrent à nouveau derrière mes paupières closes, alors que je fermais l’écran de l’ordinateur. J’étais seule. Complètement isolée. Je devais faire face à ce qui m’arrivait en solitaire. Mes parents m’avaient abandonnée tout en prenant une décision qui changerait complètement ma vie à ma place. Je n’avais pas d’amis, pas de proche à qui parler. La seule personne qui aurait pu m’aider se trouvait à des milliers de kilomètres de moi. J’étais complètement perdu sans lui. Je ne me reconnaissais plus. Je n’avais plus le goût de vivre. La tristesse et la panique m’envahir à nouveau, j’étais incapable de m’arrêter, sous le coup d’une crise d’angoisse. Je me laissai tomber sur le dos, sanglotant à n’en plus pouvoir respirer. Le lendemain, tout serait terminé. Que je le veuille ou non, mes parents avaient décidé pour moi. Ils m’emmèneraient à l’hôpital, de force s’il le fallait. Et en une heure tout au plus, tout serait réglé. On m’enlèverait ce tout petit être qui s’était installé malgré toutes nos précautions. Et même si je savais au fond de moi que c’était trop tôt, que j’étais beaucoup trop jeune pour assumer une telle responsabilité, je ne voulais pas qu’on me l’arrache. Il était le résultat de notre amour. J’avais déjà perdu Siméon, je ne voulais pas perdre son enfant. Je ne voulais pas perdre la seule chose qui me raccrochait à la vie. Je m’endormis sur ces sombres pensées, d’un sommeil sans rêves, entrecoupé de sursaut de panique.
***
« Tu sais bien que c’était la meilleur solution pour tout le monde. »Je restai silencieuse, le regard perdu à travers la vitre de la voiture. Je ne voulais plus jamais leur adresser la parole, je ne voulais plus avoir à supporter leur regard, leur visage hypocrite au quotidien. Je voulais foutre le camp, quitte à vivre dans la rue. Le feu passa au rouge, et sans réfléchir, je sortis de la voiture en courant. Sauf que je n’avais vraiment pas réfléchis, et je couru vers la voie où les voitures roulaient dans le sens inverse. Je fus percutée de plein fouet par un véhicule qui roulait à toute allure. Ce qu’il se passa alors reste très confus dans ma mémoire. Je me souviens juste de ma mère hurlant mon nom désespérément, de mon père se jetant sur le conducteur qui avait eu le malheur de me heurter, et de la douleur lancinante dans chaque parcelle de mon corps. Puis les lumières bleues clignotantes de l’ambulance, la sirène, le retour à l’hôpital. S’il y avait bien un lieu où je ne voulais pas remettre les pieds, c’était cet hôpital. L’endroit où l’on venait de m’enlever la vie. Je piquais crise sur crise tout le temps de mon séjour en enfer. Les médecins furent obligés de me mettre sous sédatifs pour que j’arrête de m’arracher perfusions et autre connerie du genre. Mon père réussit à négocier pour que je rentre à la maison dès que possible. Mais cela n’arrangea rien. J’étais devenue complètement amorphe, muette comme une carpe, pleurant tous les soirs. Je ne restais en présence de mes géniteurs que lorsque cela était nécessaire, prenant la plupart de mes repas isolée dans ma chambre.
Un jour, mon père entra dans ma chambre, chose qu’il ne faisait jamais. Tout ça pour me dire que j’avais de la visite. Je lui jetai un regard vide, avant de retourner à ma contemplation de l’extérieur par la fenêtre. Fenêtre par laquelle j’avais longtemps eut envie de me jeter corps et âmes. Je ne comprenais même pas qui pouvait bien me rendre visite. Je ne connaissais personne ici, les cours n’avaient pas encore commencé. Le paternel quitta ma chambre, laissant place à un homme d’environ son âge. Son visage m’était familier, mais je n’arrivais pas à remettre le nom qui allait avec. Cela remontait à mon enfance, il était déjà venu dans notre appartement parisien. Il devait avoir travaillé avec mon père pendant un temps.
« Bonjour Norah, je suis M.S., je ne sais pas si tu te souviens de moi ? »Ah oui, M.S., c’était ça. Il ne m’était donc pas inconnu. J’acquiesçais d’un vague hochement de tête, sans prononcer un seul mot. Je ne comprenais pas ce qu’il faisait là. Mon père avait dû l’appeler, j’imagine. Il me proposa de sortir prendre l’air, d’aller marcher sous le soleil. Je n’y tenais pas vraiment, mais je pouvais sentir la présence de mon père derrière la porte, et je n’en pouvais plus, j’avais besoin de respirer un air différent du sien. Je me levai en silence, me chaussant avant d’attraper ma veste. Une fois dehors, loin de mes parents, il sortit une cigarette, m’en proposant une au passage. J’acceptai sans réfléchir. Après tout, c’était une façon comme une autre de me tuer à petit feu. Puis il m’expliqua qu’il était là sur demande de mon père, comme je l’avais deviné, mais qu’il ne s’amuserait pas à jouer les chaperons. Je pouvais faire ce que je voulais tant que mon père n’était pas au courant. Il me proposa un deal : nous nous verrions au moins une fois par semaine pour rassurer mes géniteurs, mais ce qui se passerait entre nous resterait entre nous. Cela me convenait parfaitement. Je lui fis part de mon accord, ouvrant la bouche pour la première fois depuis l’incident, comme l’appelait mes parents.
J’avais donc droit à une pause par semaine, où je pouvais me laisser aller. Petit à petit, bien qu’il n’employât pas forcément les meilleurs méthodes du monde, M.S. réussi à me redonner le sourire et le goût à la vie. Evidemment, c’était loin d’être tout rose tous les jours, et je pleurais encore régulièrement le soir, victime de cauchemars incessants, mais mon père me laissait tranquille, et je ne demandais rien de plus. Puis les cours commencèrent, m’offrant l’opportunité de me concentrer sur autre chose pour tenter d’oublier cette blessure qui ne se refermerait jamais. Je passais mes journées à travailler mes cours, à lire des livres pour compléter mes connaissances. Mon seul but dans la vie était d’être première de promo, quitte à sacrifier tout semblant de vie sociale. Mes parents s’inquiétèrent un temps, avant qu’M.S. ne les rassurent en les berçant de quelques petits mensonges bien servis. Je lui serais toujours reconnaissante de m’avoir libérée de ce poids.