JEREMIAH S. O'BRIEN ► nico tortorella

Je suis né sur les ailes d’un oiseau, bénéficiant que la liberté la plus complète, la plus satisfaisante. Je suis né sans avoir le devoir d’appartenir à un titre, à un patronyme quelconque. Tout ce que je connais de mes racines est que je suis américain, que j’appartiens à une nation presque aussi narcissique que moi. Ma mère biologique est morte en me donnant vie, délicieux paradoxe que même le poète le plus audacieux n’oserait même approcher. Ça m’a fait mal pendant un temps, de penser à elle, de m’inventer des histoires d’horreurs sur l’identité de mon père, une identité sans cesse modifiée. Puis j’ai fini par oublier, comme j’ai oublié le reste de ma vie, de mon enfance qui s’éternisera jusqu’à ma mort. Rien ne sert de se morfondre sur mon sort, la vie m’avait fait cadeau d’un trait presque unique et plutôt rare, celui de naître sans attachement. Oui, je l’avoue, il m’est arrivé d’avoir un pincement au coeur quand un des orphelins quittaient la maison, mais je pleurais plus une occasion volée qu’un amitié rompue. Je rêvais moi aussi de voir le monde en dehors des murs de carton de l’orphelinat, expérimenter et goûter la vie, lui faire honneur en essayant toutes les saveurs au moins une fois. Je grandit donc parmi les garçons perdus, partageant savoir et passion dans la plus intime mesure, m’attachant à quelqu’un dans l’unique but de m’enrichir. Il ne fallut pas longtemps aux responsables pour me trouver un surnom. «Un vrai petit Peter Pan!» Me glissait-on toujours entre deux soupires quand j’osais montrer mes vrais couleurs. Je décourageais l’ensemble par ma manière de changer d’avis plus vite que de chemise, de me passionner un jour par un art et de m’en dégoûter le suivant. Dur de me tenir en place, encore plus difficile de me satisfaire… voire même tâche impossible. Mes passions sont aussi éphémères que sincères. Un jour le vélo, le lendemain le violon, je suis incapable d’aller au bout des choses. La seule que j’entretiens toujours à ce jours est celle d’être complimenté, de plaire, d’être admiré comme on le ferait d’une autorité supérieure. Je me vantais de tout, de ma beauté non-négligeable, de ma rapidité et force musculaire, de mon intelligence, de mon éloquence. Oh j’ai tous les talents, qui pourrait me résister?

Alors que je zizaguais entres les différentes familles d’accueilles, alors que j’étais sans cesse passer au suivant, une brèche se fit dans mon avenir qui semblait déjà vouée à la même plate routine, pauvreté et misère. Une femme d’une cinquantaine d’année tomba raide dingue amoureuse de moi, enfin de mon apparence… Par un miracle certain, elle souhaitait adopté un homme déjà bien mûr dont elle n’aurait pas réellement besoin de s’occuper, un garçon aux cheveux foncés, au regard d’azur, des particularités qu’il partagerait avec son tendre mari bien trop occupé par son travail pour reconnaître la présence de son épouse. J’étais le seul qu’il y avait en stock, pauvre femme. À dix-sept ans, les O’Brien m’adaptèrent à leur quotidien. Je n’ai jamais eu d’adolescence à proprement dit, jamais eu le temps d’évoluer émotivement, de faire ma crise, de comprendre la fragilité de la vie et la rapidité du temps qui s’écoule, tout c’est produit si vite, je n’ai même pas eu le temps de dire que je désirais garder Peter pour prénom que déjà on me collait cet étiquette, ce nom princier d’anglais de la haute société, de l’Upper East Side de New York, là où tous les riches  banquiers  de Wall Street, qui n’avaient pas perdu leur argent pendant la crise, ont décidés de poser domicile. Jeremiah Spencer O’Brien… quel nom ridicule. C’était effrayant au départ, de voir le monde bouger si vite. Puis je me suis vite laisser dorloter par la richesse dont je bénéficiais dorénavant. La liberté elle-même doit s’acheter dans ce monde de capitaliste et maintenant j’avais les moyens de tout essayer sans calculer. Je n’ai jamais eu de conversation avec mon père adoptif, tous les messages qu’il voulait me faire passer il les léguait à sa femme, et c’est ainsi que j’eus le devoir de m’inscrire à l’université, d’intégrer une de ses fraternités de d’apprendre à être un homme. Ils ne fallut pas longtemps à mes nouveaux parents pour constater les défauts de fabrication, ils tentèrent de leur mieux de me changer. Cause perdue. Je choisi Harvard, parce que je trouvais le nom sympathique, m’inscrit en botanique pour des raisons prouvant de nouveau mon immaturité, pour apprendre à faire pousser les hallucinogènes en tout genre que j’échange depuis mes premiers plants contre des services en tout genre.

Je prend soin de mon apparence, mais ces temps-ci c’est difficile de me regarder dans le miroir. Mes traits sont trop vieillis, je ne comprend pas cette image qu’on me renvoi alors que je ne suis qu’un enfant. Non, je n’aime pas ce reflet, je m’en tiens loin car il voile ma seule vérité. Enfin celle-là et aussi le fait que je sois immortel. Certains diraient que je suis suicidaire, je leur répondrais que je me contente de vivre l’esprit bien ouvert.

On m’a emprisonné dans une cage une fois, une seule fois et je n’ai jamais voulu me laisser faire de nouveau. Ce sont ses yeux je crois qui m’ont fait plier les genoux, ce désir de l’avoir, de la toucher, de l’embrasser comme ce semblait être à la mode du temps. Je l’ai fais, j’ai tout fait en imitant la masse, mais n’est jamais ressentie la moindre étincelle… c’est comme si j’étais brisé, ou n’est-ce qu’un question de sexualité? Je trouve la femme si belle pourtant, mais le coeur à corps ne m’apporte rien. Je n’ai jamais jouis de ma vie. C’était trop de responsabilité alors j’ai dû m’échapper avant que l’étau se refermer complètement contre mon cou… quel horreur. Mes relations avec les autres ont toujours manquées de consistance, d’empathie, d’implication personnelle, avec une légère tendance à l’immaturité. Ce que je veux réellement? Devenir transparent, me fondre dans la masse, me confondre avec le décor pour vivre dans mon monde intérieur, personnel et imaginaire. Ne pas avoir à assumer les tracas du quotidien et les responsabilités inhérentes à la vie adulte. C’est tout.