I'm the daughter everybody wants to have but nobody wants to keep. Rosie Elizabeth naît le 12 janvier 1991 à Londres. Ses parents étant tous les deux médecins, elle vit dans un quartier aisé et fréquente une bonne école privée. Mais dès le début, quelque chose cloche : la petite Rosie ne se mélange pas à ses camarades. Elle ne joue pas, ne rit pas, ne pleure pas, et n'adresse pas la parole aux autres élèves. Lors des récréations, elle s'assoie sur un banc et attend que le temps passe, la tête haute. Pourtant, elle présente des capacités extraordinaires pour une enfant de son âge.
Ses parents, suite aux recommandations des enseignants, finissent par l'amener chez un psychologue. Mais Rosie ne semble avoir aucun problème. Il faut attendre, cela viendra peut-être avec le temps. Faites un second enfant, un petit frère ou une petite soeur lui fera certainement du bien.
Ce sera un petit frère. Il s'appelle Andrew. Il pleure et il rit, lui. Mais Rosie s'en fiche : les livres sont bien plus intéressants que cette poupée vivante qui la réveille en criant au beau milieu de la nuit. Maintenant, elle ne fait même plus semblant de dormir quand Maman vient la voir. Elle allume la lampe de chevet et se plonge dans un bouquin. Elle sait qu'elle n'est pas censée savoir lire, et que les professeurs trouvent cela bizarre. Mais tant pis, ce sont les autres enfants qui sont trop nuls.
Elle a maintenant dix ans, et le docteur s'est bel et bien trompé : rien n'a changé. Elle ne rit toujours pas, ne pleure toujours pas, et n'est pas amoureuse du fils des voisins d'en face. Les filles de sa classe organisent des
pyjama parties ; elle trouve cela ridicule. Elle écrit des histoires. Elle raconte comment le ciel change de couleur en fonction du moment du jour, comment la Terre tourne autour du Soleil en 365 jours et 6 heures, comment les étoiles forment des constellations et comment les fleurs naissent, et meurent, et renaissent au fil des saisons.
Elle a douze ans, et elle est bizarre dans le genre pas normale. C'est ce que disent les gens, mais elle se moque bien de leurs opinions d'insectes insignifiants. Elle connaît plus de choses qu'eux tous réunis. Rosie se découvre ensuite une passion pour l'histoire, les vieux volumes poussiéreux et leur odeur particulière. Les gens du passé semblent tellement mieux que les gens de maintenant... Maman n'aime pas quand elle parle des gens de cette façon. Papa s'en fiche. Il s'en fiche tout le temps.
Elle a quatorze ans, et ses parents divorcent. Elle ne l'a pas vu venir. Elle aurait certainement dû. Andrew pleure, c'est à croire qu'il ne sait faire que cela. Elle le regarde pleurer avec un visage sans expression, puis s'en va. Elle devrait peut-être pleurer, aussi, mais les larmes ne coulent pas. Sa mère reste à Londres et son père s'en va aux États-Unis, avec une américaine qu'il a rencontrée au travail. Pour la première fois, elle ressent ce sentiment d'abandon. Son frère et elle suivent son père aux États-Unis. Il n'a pas l'air tellement content, et Maman n'a pas l'air vraiment triste. Londres va lui manquer.
I don't know when I started to hate people. Maybe it was inside of me since the beginning. La nouvelle femme de son père fait de la politique. Elle est riche, toujours bien habillée, et ils ont une maison à Boston. Andrew fait du football : apparemment, il est très doué. Rosie ne rit pas, ne pleure pas, ne fume pas, ne boit pas d'alcool, et n'a pas d'amis. Elle est la meilleure élève de son lycée, toutes matières confondues. Les gens la regardent d'une drôle de façon, comme un animal étrange, et elle aime cela. Elle a appris à apprécier les remarques qu'ils se murmurent entre eux quand ils pensent qu'elle n'entend pas. Oh oui, elle est bien supérieure à toute cette masse ignorante et ridicule.
Elle est la spectatrice de leurs histoires d'amour qui finissent en torrents de larmes, de leurs amitiés brisées par des mensonges, de la confiance sans limite qu'ils ont l'un en l'autre, de leurs soirées qui finissent bien, et de celles qui finissent mal. Mais elle ne s'en mêle jamais. Ils lui adressent la parole, parfois, et elle leur répond, bien sûr, mais toujours d'une façon froide et maintenant un peu dédaigneuse, si bien qu'ils ne cherchent jamais à creuser plus profondément.
Elle a seize ans. Elle ne fume pas, ne se drogue pas, ne boit pas d'alcool et ne couche avec personne. Jeune fille exemplaire, diront certains ; intello coincée, diront les autres. Ce n'est ni l'un, ni l'autre, à vrai dire. Les gens ont rarement raison pour ce genre de choses. Tout cela ne l'intéresse pas. Et peu importe ce que peut dire sa belle-mère, ce n'est pas parce qu'elle est timide ou effrayée. Elle n'en ressent simplement pas l'envie.
Rosie entre facilement à Harvard. Avec une culture aussi large que la sienne, malgré son désintérêt pour ses compatriotes, comment ne pas y être acceptée ? Et puis, ce n'est pas parce qu'elle n'aime pas les gens qu'elle ne les connaît pas. Elle sait comment ils fonctionnent, si bien qu'elle est même capable de prédire leurs réactions.
Elle décide d'étudier le journalisme, car elle a toujours aimé écrire, ainsi que l'histoire, qui est restée une passion. Elle tient un blog où elle poste divers articles de science, d'histoire ou de littérature. Elle apprécie ses lecteurs, d'une certaine façon. Ils sont intéressés ; peut-être sont-ils intéressants.
Elle a remarqué que son père aime bien, quand ils reçoivent des invités dans leur grande et belle maison, se vanter des excellentes notes de sa fille. Il semble beaucoup moins fier dès qu'ils ont passé le pas de la porte. Elle ressent un léger pincement au coeur. Rien qui vaille la peine de pleurer, mais c'est quand même légèrement douloureux. Personne le remarque. Tant mieux.