ALEJANDRO ORTEGA ► Marlon Teixeira

L'histoire que je vais vous raconter, tous les membres de la famille Ortega la connaissent par cœur, et ce, dès leur plus jeune âge. C'est avec fierté qu'elle se raconte, avec dignité dont nous en parlons. C'est l'histoire d'un Espagnol né en 1936, à une époque bien sombre de notre pays, l'Espagne. Un Espagnol issu du León. Dernier enfant d'une famille de quatre, Amancio Ortega a décidé, tout juste à 14 ans, de se trouver du travail. Son père, un ouvrier de chemin de fer, n'arrivait pas à faire vivre sa famille seul et chacun devait mettre l'épaule à la roue. Habitant désormais la ville d'A Coruña, en Galicie, le petit Amancio se trouva un travail de vendeur dans une boutique de vêtements. Avec les économies et fort des conseils de son patron, Amancio fonde sa propre boutique en 1972. La boutique se spécialise rapidement dans la production de robe de chambre, faites à la main par de vaillantes jeunes femmes, organisées en coopératives. Les années passent et les boutiques Zara ouvrent un peu partout dans la Galicie et bientôt, l'Espagne en entier. Homme d'affaires hors pair, il arrive à faire fructifier les profits de ces boutiques. Bientôt, les boutiques Zara apparaissent partout en Europe. Le groupe industriel Inditex est organisé et Amancio Ortega en possède 59,9 %. Le groupe introduit plusieurs franchises comme Pull and Bear, Zara, Stradivarius, Bershka etc. et engage plus de 92 000 employés partout à travers le monde. Malgré son succès, Amancio n'a jamais oublié ces racines. Il évitait la vie publique, allait tous les jours au même café, prenait le lunch en compagnie de ces employés, même les simples salariés. Une vie étonnante pour la plus grande fortune d'Europe selon le magazine Forbes. La priorité de sa vie est et a toujours été sa famille, surtout ses enfants, trois filles et un fils, Marcos Ortega. La ville de A Coruña est surnommée aujourd'hui la "ville de verre", en grande partie dû aux immenses tour de verres dont Ortega a financé la construction. Un jour, un Ortega prendra le relais de son immense empire. Il devra se montrer à la hauteur d'Amancio, aussi noble, aussi authentique, aussi habile.

Cette histoire, je la connais bien, car c'est celle de ma famille, de mon grand-père. Oui, je suis le fils de Marcos Ortega. J'ai une petite sœur que j'adore, mais c'est moi qui vit avec le titre d'héritier, si on peut dire. Un ami au collège m'a déjà surnommé "le prince sans couronne". J'ai eu une éducation, une vie même, à la hauteur de la fortune de ma famille. J'ai grandi entouré de servants, pour qui j'ai toujours eu du respect. J'ai compris cependant assez rapidement que ma vie a peu à voir avec la leur. Je ne partage pas la vision modeste des choses de mon grand-père, mon père non plus d'ailleurs: jet privé, maisons, appartements un peu partout dans le monde, yacht, la totale. Mes étés, je les passais presque tous au domaine de mon grand-père, qui m'a appris beaucoup de leçons de vie, tout en m'apprenant le tennis, les échecs et à apprécier le bon vin. Je suis sans doute à l'image de ma famille, une sorte de dualité m'habite. Celle d'un homme qui connait ses origines, qui en est fier, qui a des côtés simples, mais qui apprécie aussi la réussite de sa famille, une réussite qu'il veut perpétuer et qui n'a pas honte d'appartenir à ce fameux 1% que certains ostracisent.

Étudiant parfait ou presque, à peu de choses près, j'ai toujours voulu être digne de mon nom. Je suis un gagnant, si je m'investis dans quelque chose, ce n'est pas pour avoir un rôle de figurant. Si vous êtes mon rival, je ne vous ferez aucun cadeau. Président du conseil étudiant de mon école, j'ai remporté un concours de débat et je n'ai pas manqué de bien faire dans l'équipe de nage, dont je suis devenu le capitaine. Être le leader ne m'a jamais effrayé. J'avais des passes-temps simples, comme le surf, la voile, le pilotage, le football, la musique aussi. Je suis un touche à tout.

Malgré tout, à la fin du collège, je devais choisir une université. J'ai choisi la même que celle de mon père, l'université de Barcelone. Je voyais alors ma vie toute tracée. Des études en droit, puis, j'aurais occupé un haut poste dans une des entreprises familiales, je me serais marié à une belle femme d'une bonne famille, sans doute. Je me suis demandé si cette voie, toute tracée, me suffisait? Si je ne désirais pas plus? Ou simplement autre chose? Je l'avoue, je me suis remis en doute. J'ai d'ailleurs rompu avec ma petite amie de l'époque et depuis, je suis célibataire. J'ai aussi demandé d'aller étudier à Harvard, que je considère être la meilleure université au monde. Ma famille m'a fait des reproches, je m'éloignais apparemment des mes origines. Cependant, ma décision était prise.

Je me suis pris un appartement à Boston, je conduis à Harvard tous les jours avec une de mes trois voitures. J'ai aussi mon voilier amarré dans le port et les week-end, j'aime bien aller me balader. Mes études de droit vont bien, je me prépare à intégrer une maison. Aucune copine en vue, mais j'ai le pressentiment que cela ne durera pas. Ma vie est toujours aussi tranquille, "parfaite", mais quelque chose bouille en moi. Je ne saurais dire quoi. Un désir de vivre, vivre plus à fond. D'oser, de penser en dehors de la boîte, de tracer ma propre voie, pour de bon. Vais-je me prendre en main et tourner enfin le dos à ces pensées? Ou est-ce que Harvard sera un tournant pour moi, pour ma vie? Seul l'avenir me le dira. « Que sea lo que Dios quiera ».