Le trou noir. Voilà ce que je ressentais sur le moment tandis que les médecins me posaient des tonnes de question auxquelles, je n'avais aucune réponse à fournir. Je ne me souvenais de rien. Qui étais-je? A quelle date étions-nous? Je ne savais rien. Le trou noir dans sa plus grande complétude. Ce ballet incessant de médecins, de policiers et de famille m'épuisait totalement car pour la plupart, je ne reconnaissais pas les visages et pour les autres, j'ignorais comment remplir leurs attentes. La seule donnée qui était à ma portée était de savoir pourquoi j'étais ici. Les attentats d'Harvard. Celle qui se prénommait ma mère m'avait appelé Mina, un diminutif de Wilhelmina. Prénom à coucher dehors si vous voulez mon avis mais malheureusement, c'était le mien. Whilhelmina Alessandra Frost. Vingt-quatre ans, étudiante depuis mes dix-huit ans à Harvard et accessoirement enceinte d'un mois. Oui, cela vous choque? Cela m'a fait le même effet. J'ignore qui je suis mais je vais être mère dans huit mois. Une vie grandit en moi et j'ignore comment. Enfin, je me doute de la manière dont elle a atterrit ici mais j'ignore l'identité du père et personne n'a été capable de me le dire. Merveilleux n'est-ce pas? J'ignore qui je suis mais le peu que j'en entends me donne envie de me coller des baffes. Et pourtant, je restais choquée du peu d'amis m'ayant rendu visite. En fait, personne n'était venue ou presque. Je n'ose imaginer le curieux personnage que j'étais. Pouvait-on se dégouter soi-même tout en ignorant qui nous sommes? Cette image que je découvrais dans le miroir avait un passé et pourtant, j'avais l'impression d'être une page blanche. Presque blanche. Il ne faut pas oublier le bébé. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir en faire? Quelle mère être alors que j'ignore tout de moi?! Dans quel merdier venais-je encore de me fourrer?!
Un an plus tard.
Une année venait de s'écouler, mon fils prénommé Jack avait sept mois et grandissait petit à petit sans se douter de la détresse de sa mère. Je n'avais toujours aucun souvenir même si j'avais repris la vie de l'ancienne Mina. A quelques exceptions près. L'ancienne étudiante en design de mode qui passait son temps dans les fêtes et dans les bras des hommes s'était muée en une étudiante sérieuse et déterminée à faire quelque chose de sa vie pour son enfant. Je n'étais plus toute seule et même si mes parents m'aidaient beaucoup avec le petit, ce n'était pas tous les jours évident. Ma mémoire était peut-être en berne seulement, je m'étais rendue compte que mon corps lui, avait conservé ses réflexes. Je n'avais rien perdu de mon talent de dessinatrice ni cette passion presque infatigable du violon. J'aimais tellement les deux. Pour le reste, j'apprenais à vivre avec cette image qui me hantait, celle d'une femme détestable à la réputation sulfureuse. Tous les jours, c'était le même refrain : désolée, cela ne m'intéresse plus, désolée, ce n'est plus pour moi, désolée, je ne suis plus comme ça. J'avais l'impression de répéter toujours les mêmes phrases apprises par cœur tout en crevant de solitude. Avais-je déjà seulement aimé un de mes amants? Avais-je au moins connu l'amour? Cette vie de débauche et d'excès me faisait peur tout en m'attirant en même temps comme si, inconsciemment, je me livrais une bataille acharnée avec un double démoniaque. Pourtant, la seule chose que je désirais, c'était de trouver une épaule sur laquelle me reposer, me sentir protégée et offrir une famille à cet enfant que j'apprenais à aimer malgré tout.
Mes recherches concernant son père n'avançaient pas malgré le carnet que j'avais trouvé dans mes affaires. Un carnet répertoriant tous les noms de mes amants ainsi que des dates comme un collectionneur feraient l'inventaire de ses bibelots. Cela me soulevait le cœur à chaque fois que je voyais le nombre conséquent d'amants que j'avais eu. Mon dieu, même une prostituée n'en aurait pas eu autant. J'avais honte, j'étais en colère mais en même temps, je m'interrogeais. Pourquoi une jeune femme qui avait des parents exceptionnels et aimants, un petit frère et sœur ainée présents pouvaient être aussi... malsaine? La seule explication qui me venait était la souffrance. Il y avait quelque chose chez cette femme, ce double qui était à l'origine de son comportement et j'ignorais quoi mais telle une détective en herbe, je remontais mon propre passé, découvrant des zones d'ombre qui n'avaient rien à voir avec mon amnésie. Oui, je m'étais donnée pour objectif de découvrir l'identité du père de Jack mais également de comprendre et de faire connaissance avec mon propre passé. Le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'étais pas sortie de la merde. Pire, je sentais que mes parents me cachaient des choses sans parler de ces cauchemars qui me hantaient la nuit. J'étais fatiguée, esseulée et pétrifiée pourtant, aux yeux des gens, je redevenais Mina, la loufoque et consciencieuse étudiante passionnée par ses études.
Au même moment.
Deux adultes d'une cinquantaine d'années discutaient fébrilement dans le salon. Le murmure était de rigueur mais la conversation restait enflammée. [color:1862= #FE2E2E]"Nous devrions lui dire, elle a le droit de savoir !" s'acharnaient Olivia, la mère de Mina. [color:1862= #0B3B0B]"Pour lui dire quoi? Que sa vie est fausse? Qu'elle participe à un programme de protection des témoins parce qu'elle a contribué à mettre son père mafieux derrière les barreaux? Cela l'a détruit une fois Olivia, accorde lui au moins le droit d'oublier" soupira Trevor, son père adoptif, Marshall de profession. [color:1862= #FE2E2E]"Elle commence à poser des questions Trevor, sur elle, sur son passé. Je lui invente une vie et je n'aime pas ça. Je ne veux pas mentir à ma propre fille... Même si elle a perdu la mémoire, son inconscient, lui, se souvient. Tu crois que je ne l'entends pas hurler la nuit hantée par les mêmes cauchemars? Mina doit savoir. Comment veux-tu qu'elle comprenne d'où ils viennent? Elle ne dit rien mais je vois bien qu'elle en souffre. Chéri, notre fille se bat contre elle-même, contre des démons dont elle ignore tout" commença-t-elle à pleurer. Aussitôt, son mari la serra dans ses bras, la berçant. [color:1862= #0B3B0B]"Ne crois-tu pas que la vérité ne la fera pas souffrir davantage? Notre fille souffrait déjà de le savoir mais lui dire sans qu'elle n'en ait le moindre souvenir sera pire. Elle ne pourra qu'imaginer, cela la rongera. Comment pourrait-on lui avouer que son père la frappait et abusait d'elle et qu'il souhaite vous tuer toutes les deux? Laissons-la aussi loin que possible de ce passé. Mina ne doit jamais savoir qu'elle est en réalité Alessandra Anconetti" déclara-t-il d'un ton solennel. [color:1862= #FE2E2E]"Et si un jour sa mémoire revient?" [color:1862= #0B3B0B]"Nous n'avons plus qu'à prier pour que ce jour n'arrive jamais. Mina a le droit au bonheur."