Tout a une fin. Autrement, rien ne commencerait jamais. Mais qu'advient-il lorsque l'histoire, votre histoire, ne se déroule pas comme prévu ? Lorsque le contenu ne correspond pas au résumé ? Ce n'est pas normal. Pire que ça, ce n'est pas juste. Mais malheureusement, vous n'avez parfois pas le choix. Oui, parfois, il faut faire un choix, le meilleur, celui qui s'impose à vous comme une évidence. Pourtant, pour Caden, celui qui s'imposa lors de sa vingt-deuxième année n'était pas le meilleur. Pas pour lui, du moins. Dans ce cas, pourquoi choisissait-il tout de même cette voie ? Il pouvait très bien bifurquer après tout, tourner à gauche à Albuquerque. Il avait le choix de faire son propre choix. Mais il ne l'avait pas fait. Parce que ce jour-là, ce n'était pas pour lui qu'il avait agit. C'était pour elle.Caden Alonso Lewis, un enfant ordinaire, dans une famille ordinaire, d'une ville ordinaire du territoire Australien. Ça fait un peu
« Charly & la Chocolaterie » , non ? Passons. Les parents du jeune homme avaient
« un métier respectable & une situation enviable, cher. » Ça, c'était les paroles de sa grand-mère. C'était Granny, c'était comme ça qu'il l'appelait. Il l'adorait depuis toujours, depuis ses premières compotes de pommes jusqu'aux divins cookies qu'il dévorait à la sortie du lycée. Car oui, il allait chez elle tous les soirs, ses parents ne rentrant qu'en début de soirée. Il lui racontait ses journées & engloutissait une fournée de cookies avec un litre de lait chaque soir. Un vrai morfale. Elle, elle l'appelait
« Cher ». Ça sonne français, c'est français d'ailleurs, et elle adore la France. Elle aimerait finir ses jours à Paris, mais Caden s'y opposait fermement. Il ne survivrait jamais à Melbourne sans sa grand-mère & ses cookies. Mais paradoxalement, il voulait qu'elle soit heureuse. Alors il l’emmènerait à Paris tous les étés lorsqu'il aurait un salaire.
En cours, Caden était le profil type du parfait kéké. Belle gueule, moyenne générale tournant toujours près du A, une bande de potes avec lesquels il pouvait faire les quatre-cent coups, et les groupies qui vont avec. Une sorte de vie de rock star sans l’oppressant star system. Quoique..
Une routine s'était installée dans le quotidien de Caden. Pourtant, il ne s'en plaignait pas. Il avait une vie bien remplie, il ne s'ennuyait jamais. En toute modestie, il pouvait dire que sa vie était parfaite. Il avait 17 ans tout juste, en plein milieu du cycle du lycée. Un jour comme un autre, il se rendait en cours. Il enchaînait les prises de notes, les batailles de morceaux de gomme. Lorsqu'il poussa les portes du bâtiment principal, celles qui menaient à la grande cour, lui & sa bande tombèrent sur Megan, une fille de leur classe. Enfin, c'est ce qui était écrit sur les papiers. Officieusement, c'était un fantôme. Personne n'avait jamais entendu le son de sa voix, c'était à se demander si elle était muette. Évidemment, elle était le bouc-émissaire de Caden & sa troupe, puisqu'elle ne bronchait jamais. Ce soir-là, Caden voulait rigoler, histoire de finir sa journée en beauté. Il rentra
« accidentellement » dans la jeune blonde, lui faisant perdre tout ses bouquins. Sur un ton peu sincère, le brun s'excusa ;
« Oh, je suis désolé, sérieux je faisais pas gaffe où je marchais.. » Et comme toujours, Megan secoua négativement la tête, comme si ce n'était rien. Comme toujours, les trois-quarts du bahut s'agglutinaient autour de la scène, hagard. Comme toujours, Caden écrasa les feuilles de Megan. Comme toujours, elle ne dit rien. Comme toujours, il en rajouta une couche ;
« Eh Wilson, t'as une langue ? C'est vrai, tu pourrais réagir. Ça devient limite chiant de t'emmerder. » Des ricanements se firent entendre, et comme Megan se contentait de ramasser ses feuilles éparpillées, Caden siffla ;
« Attend, on va voir si t'en as une, de langue. » Il s'agenouilla à son niveau, lui souriant narquoisement. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il l'embrasse devant les autres lycéens. Et il ne s'attendait pas à ce qu'elle le gifle. Un claquement se fit entendre, puis un grand silence. Chacun se tût, observant la suite de la scène. La tête toujours tournée suite au choc, Caden finit par faire de nouveau face à la Wilson. Il railla alors ;
« Pardon ? T'as une langue en fait ? » Machinalement, il passa sa main sur sa joue brûlante, un sourire en coin étirant ses lèvres. Au bout du rouleau, la blonde replaça une mèche de cheveux derrière son oreille avant d'exploser ;
« Tu es un enfoiré, Caden Lewis. Un putain de petit enfoiré de merde. » Elle se tourna ensuite fébrilement vers l'assemblée, hurlant ;
« Vous êtes tous une bande de putain d'enfoirés de merde ! » Elle laissa tomber ses fiches au sol, courant vers l'établissement. Pourquoi allait-elle par-là, alors qu'elle aurait pu s'enfuir vers la ville, rentrer chez elle ? Les élèves huèrent tous le comportement de Megan, mais Caden resta sans voix. Elle parlait, et avait osé l'insulter. Mais pire que ça, il ne comprenait pas pourquoi elle était rentrée, alors que les portes allaient bientôt être fermées. Alors qu'un de ses amis lui lançait de les suivre pour boire quelques bières, le brun lui répondit, perdu dans le lointain, de partir sans lui, qu'il avait un truc à faire. Ne cherchant pas à comprendre, la foule se dispersa, et personne ne s’intéressa vraiment au pourquoi-du-comment qui faisait que le jeune homme retournait à l'intérieur. Il suivit les pas de Megan, il entendait les semelles de ses Converses couiner contre le carrelage. Il suivit silencieusement Megan, arrivant jusqu'au dernier étage. Elle avait gravit les cinq étages de l'établissement, et avait ouvert une fenêtre. Caden comprit que la situation était bien plus grave que ce qu'il imaginait lorsqu'il vit une chaussure bleue nuit disparaître par la fenêtre. Elle allait sauter. Il couru jusqu'à la fenêtre, et il vit Megan. Une jeune fille ordinaire, invisible, qui en avait assez. Ses converses usées, ses collants rouges & sa jupe écossaise de la même couleur. Son pull ample dévoilait une épaule d'une blancheur à faire pâlir d'envie un vampire. Et elle était perchée sur le rebord de la fenêtre, les pointes de ses chaussures dans le vide, les poings serrés. Le vent faisait bouger ses cheveux blonds, se balançant lentement. Fébrilement, Caden lança ;
« Ne fait pas ça Megan. » du tac-au-tac, elle lui répondit ;
« Casse-toi. » Elle avait raison, il était allé trop loin. Elle n'avait rien dit, mais il savait qu'elle pensait cela, & il était d'accord. Il était allé trop loin. Peut-être. Sûrement.
« Rêve. » Megan sourcilla. Elle lui dit, dents serrées ;
« T'as gâché ma vie. Gâche pas ma mort. CA-SSE-TOI. » Ses paroles froides & franches glacèrent le sang du jeune homme, qui monta d'un bond sur le rebord de la fenêtre. Il se plaça à côté de Megan, qui l'informa ;
« Tu les vois, en bas ? Ils voient leur maître à côté de la fille dépenaillée. La pauvre conne dont tout le monde se fou. Elle est invisible, elle ne manquera à personne si elle disparaît. Mais leur maître est près d'elle. Est-ce qu'il va sauter ? Il en est capable, rien ne lui fait peur, c'est un casse-cou. Les filles accourent à l'appel de son nom. Pourtant, son genre ce serait plutôt de la pousser dans le vide. Ils le savent mais ne veulent pas y croire. Ils préfèrent croire au héros, celui qui va sauver la pauvre folle suicidaire. Mais c'est elle que ça regarde si elle veut en finir. Personne ne connaît rien d'elle. Parce que tout le monde se fou d'elle. » Il avait écouté chacun de ses mots, parlés distinctement, nettement. Il lui dit, cachant sa fébrilité ;
« Ça y est, t'as fini ? » Lui jetant un regard assassin, Megan lui lança ;
« Alors tu veux aussi gâcher ma mort. Tu prends ton pied en emmerdant les autres. Non, en m'emmerdant moi. Mais qu'est-ce que je t'ai fait ? » tout redevint silencieux un instant, les élèves en bas les regardaient. Megan prit de nouveau la parole ;
« Si tu veux gâcher ma mort, vas-y. » Elle regarda en face d'elle, levant une jambe dans le vide, elle ferma les yeux et se sentit glisser. Jusqu'à ce qu'elle hurle de douleur. Son épaule la faisait terriblement souffrir, et elle peina à ouvrir les yeux. Ses jambes pendaient dans le vide & elle ferma fortement les yeux. Elle avait le vertige, elle sentait sa tête tourner, et la douleur qu'elle ressentait n'arrangeait rien. Elle entendit une voix familière la hélé, un peu plus haut ;
« Personne la connaît. Je veux la connaître. » Là, Megan ouvrit les yeux. Se retenant de toutes ses forces à une gargouille, Caden l'empêchait de tomber. Elle lui intima à sa manière ;
« Lâche-moi immédiatement. Tu pourras jouer les héros en disant que tu as tout tenter pour me retenir, mais que tu n'as pas réussi. Tu passeras aux infos, sera définitivement la star du bahut & tu seras peut-être même décoré. » Ce à quoi il répondit ;
« Ton épaule te fait mal, hein ? Rien d'étonnant, je suis sûr qu'elle est déboîtée. Si je te lâche, tu t’empales sur le sommet de la girouette en fonte, sur la corniche en dessous de nous. Tu vas souffrir un moment avant d'y passer. » Un petit silence s'installa, Megan gémit, fermant les yeux, dents serrées. Caden poursuivit ;
« Ou alors, tu remontes avec moi, tu t'en sors vivante & gueule pendant 5 minutes aux urgences parce qu'on remboîte ton épaule. Et j'apprends à te connaître. » Non, elle voulait en finir. Elle en avait assez de la vie qu'elle menait, de l'enfer que lui faisait vivre Caden & sa bande, et elle n'avait aucune envie qu'il se mette à lui parler. Elle le haïssait. Mais elle avait peur. Peur de souffrir longtemps, alors que cela aurait du être propre, sans bavure. Elle planta ses ongles dans le bras du jeune homme, grommelant ;
« Bouge-toi ! » Il ne fallut pas le lui répéter deux fois. Son bras était endolori, il commençait à ne plus le sentir, rien d'étonnant vu que Megan s'y agrippait de toutes ses forces. Il resserra son emprise autour de la gargouille, hissant du mieux qu'il le pouvait la jeune fille. Elle se laissa glisser le long du mur lorsqu'elle fût à l'intérieur du lycée, les joues striées de larmes. Une douleur physique & mentale, des tambours dans la tête, et tout ces abrutis qui criaient le nom de Caden. Leur héros. Mauvaise, Megan persifla ;
« Bah qu'est-ce que t'attends, vas voir tes fans. Ils attendent Caden le Grand. Le merveilleux Caden. » elle avait dit cela les yeux clos, & comme elle n'avait aucune réponse, elle les ouvrit. Elle sourcilla, lançant au jeune homme, dos à elle ;
« T'es sourd ou quoi ? » Non, il n'était pas sourd. Il avait donné le nom de l'établissement au centre de secours, qui leur envoyait une ambulance. Megan se dit une nouvelle fois qu'il avait fait ça pour se faire mousser. Elle qui voyait toujours le bon côté des gens n'en trouvait aucun chez Caden. Pourtant, il était resté à ses côtés dans l'ambulance & à l'hôpital. Enfin, pas tout à fait, lui insistait pour rester, mais devant les protestations de la Wilson, les médecins jugèrent bon de ne pas le faire entrer dans la salle d'examens. Elle avait déjà une épaule de déboîtée, on allait arrêter là les dégâts. Ils sortirent peu avant vingt-deux heures, Caden avait tenté de joindre les parents de Megan, comme les infirmiers n'y parvenaient pas, mais rien. Ça sonnait pendant cent-sept ans, puis ça coupait. Il prit donc l'initiative de ramener la jeune femme chez elle. Elle ne s'y opposa pas, d'ailleurs, elle ne décrocha pas un mot de tout le trajet. La maison de la jeune fille était déserte. Les parents étaient sortis, restaurant entre amis. Elle laissa la porte ouverte, Caden entra et, comme si de rien n'était, Megan ôta son écharpe, son bonnet. Elle grimaça en enlevant son manteau, Caden l'aida. Elle le repoussa de la main, envoyant le manteau & les affaires sur le canapé. Elle lui dit, dos à lui ;
« Ça va aller maintenant. » Caden ne bougea pas, ce qui énerva Megan, qui sentait son regard sur son dos ;
« Je t'ai dit que ça allait aller, tu peux partir ! T'as peur que je m'ouvre les poignets, que j'avale une boîte de somnifères ? T'inquiète, c'est pas l'envie qui m'en manque. » Elle s’interrompit elle-même, ses larmes recommençaient à couler sur ses joues, les barbouillant un peu plus de rimmel.
« Mais je ne le ferait pas. Alors casse-toi. Et dès demain, tu pourras recommencer ton petit jeu débile. » « Le toubib t'as donné 5 jours d'arrêt. » rétorqua-t-il.
« C'est ça. Explique-ça à mes parents. » « Ils sont pas là. » « Exactement. » Ce dernier mot laissa une atmosphère lourde planer dans la maison. Caden commençait à réaliser pourquoi elle avait tenter de disparaître, une bonne fois pour toute. Mais ce n'était qu'une minuscule partie émergée de l'iceberg. Il en restait beaucoup à découvrir.
Les 5 jours où Megan était sensée rester chez elle, elle les passa au lycée, comme si de rien n'était. Caden ne se concentrait plus en cours, il se posait mille questions par seconde. Qu'est-ce qui se passait réellement chez Megan ? Pourquoi restait-elle invisible ? Comment vivait-elle ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne ne charia la Wilson sur sa tentative de suicide. Tout était silencieux, comme si la classe était emplie de Megan Wilson. Plus exactement, c'était Caden qui était empli de Megan Wilson. Il fallait qu'il connaisse le pourquoi du comment, il s'était engagé à la connaître. Et aussi abruti, casse-pieds, râleur, je-m'en-foutiste qu'il pouvait être, il tenait ses promesses. C'est donc en ce soir de veille des vacances de Noël que Caden se lança. Megan était la dernière à sortir de la classe depuis l'incident. D'une part parce qu'elle ne bougeait pas très vite avec son épaule endolorie, mais aussi parce qu'elle aimait le calme des couloirs lorsque tous les élèves étaient sortit. Il attendait que la blonde sorte, adossé aux grilles noires de l'établissement. Elle fut surprise de le voir là, mais elle ne broncha pas lorsqu'il lui adressa la parole. Elle voyait qu'il tenait sa promesse. Les jours passèrent ainsi, et chacun apprit à mieux connaître l'autre. Megan cru que tout allait s'arrêter lorsque, un soir, la bande de Caden en avait marre de ses absences répétées au skate park, au Starbucks ou chez lui pour une partie de jeux vidéos. Elle pensait qu'il allait la lyncher devant eux, comme avant. Mais il ne daigna même pas leur lancer un regard. Elle lui demanda s'il les avait vu, et il répondit par l'affirmative avant de demander plus d'informations au sujet de la guitare qu'elle s'était acheté. Elle n'en croyait pas ses oreilles, il s'en fichait de ses amis, il s’intéressait à elle, réellement. D'ailleurs, ses
« amis » le répudièrent, puisqu'il traînait avec Megan. Il s'en ficha comme d'une guigne, & Megan hallucinait de jour en jour. Caden se retrouva au bas de l'échelle sociale, ex-æquo avec Megan. Mais qu'importe, il avait trouvé quelque chose de mille fois mieux que toutes les premières places du monde.
Il l'avait trouvé elle.
Ils étaient amoureux, tout simplement amoureux. Les examens finaux passés, ils s'installèrent ensemble, dans un appartement bien placé de Melbourne, ils avaient vingt ans. Caden avait de l'argent de côté, tout comme Megan. Ils vivaient confortablement, Megan allait en fac de médecine & lui travaillait comme doublure. Il ne travaillait pas tous les jours, mais les chèques étaient importants lorsqu'il bossait. Parallèlement, il se mit à jouer, juste une fois, pour voir. Mais il était entré dans un cercle vicieux. Il pariait toujours un peu plus, perdait toujours un peu plus. Et lorsqu'il gagnait cinquante dollars, cela lui semblait suffisant pour en parier mille-cinq-cent supplémentaires. Il dilapidait ainsi sa petite fortune, leur petite fortune. Mais derrière ces jeux se cachaient des personnes peu recommandables, des mafieux. C'est donc sans surprise qu'il se vit menacé de mort lorsqu'il leur avoua qu'il n'avait plus de quoi les payer. Pire que ça, quelques jours plus tard, ils lui dirent que s'il ne payait pas rapidement, c'était pour elle, qu'ils viendraient. Non, pas elle. Pas Megan. Paniqué, il empruntait de l'argent à droite & à gauche, tentait de doubler son effectif de travail. Mais travailler vite, c'est du travail bâclé, et peu à peu sa réputation d'excellent doubleur fut réduite à néant. Fauché, les mafieux n'y allèrent pas par quatre chemins. Dans un premier temps, ils retournèrent l'appartement. Cette vision terrifia Caden, qui avait peur qu'ils reviennent pour elle. La jeune femme en pleurs, ne put que constater les dégâts. Tout était cassé, les tableaux déchirés, les cadres photo brisés, les rideaux en lambeaux, les coussins éventrés saignaient de plumes. Caden prit sa petite-amie dans ses bras, tentant de calmer ses sanglots. Elle n'avait plus peur auprès de lui, mais face à ce spectacle, elle était effondrée. Le jeune homme avait cependant une solution pour en finir avec cette situation, une bonne fois pour toute.
Demain serait le jour de sa mort.
Il s'était levé à sept heure, le studio d'animation lui donnait une dernière chance. Megan était déjà debout, emmitouflée dans un pull-over crème. Elle regardait par la baie vitrée la ville s'activer en dessous d'eux, dans quelques minutes, elle se joindrait à eux, elle irait s'enrichir un peu plus, madame voulait devenir pédiatre. Elle y arriverait, ses profs ne tarissaient pas d'éloges à son sujet. Mais Caden ne serait pas là pour le voir. Du moins, il ne serait pas à ses côtés. Il petit-déjeuna sans la lâcher du regard, ce qui la fit rire, elle lui demanda ce qu'elle avait de spécial aujourd'hui. Il l'attira dans ses bras, & l'embrassa tendrement. Un long baiser qui figea le temps, maintenu en suspens, comme si c'était lui qui retenait sa respiration. Il passa sa main dans ses cheveux blonds, elle entremêla ses doigts à ses boucles brunes. Elle libéra ses lèvres après quelques instants, murmurant un simple
« Wahoo.. » Elle avait les yeux clos, il dégagea ses cheveux de son épaule, ramenant sa chevelure d'or sur le côté. Il effleura doucement son cou, le couvrant de baisers. Il devait s'arrêter là, il ne pourrait jamais la laisser partir. A contre cœur, il se détacha d'elle, embrassant celle qu'il aimait une dernière fois.
« Passe une bonne journée. » « Je vais te manquer tant que ça ? » « A chaque seconde. » Il était devenu un tout autre homme à ses côtés. Les paroles délicieusement niaises & sucrées qui sonnaient faux dans les films, il adorait les réinventées pour elle. Parce qu'elle était tout pour lui. Cependant, ce soir là, c'est une Megan Wilson rongée par l'inquiétude qui téléphone à la police ;
« Oui.. Non.. Non, il n'est pas rentré ce soir, ça ne lui ressemble pas, il rentre toujours après le travail, je veux dire, directement.. Et il est presque vingt-trois heures.. Non, ça ne fait pas vingt-quatre heures qu'il a disparu.. Je sais qu'on ne peut pas entamer une procédure, mais.. Non attendez, s'il vous plaît !... Allô ? » Les yeux noyés de larmes, elle se roula en boule sur le canapé. Renata, leur husky, se coucha contre elle. Megan caressa sa grosse tête de peluche sur pattes, lui parlant comme si elle savait où il pouvait être.
« Où est ton maître ? Je te jures que lorsqu'il va rentrer, je le tue. Je le tue. Oui, je le tue. » « Il faut qu'il rentre, il rentrera », se répétait Megan en fixant les grands yeux bleus du canidé. Cela ne pouvait pas se passer autrement. Mais il ne rentra pas. Ni le lendemain. Ni la semaine suivante. C'est aux informations, quelques semaines plus tard, qu'on fit le lien entre la disparition de Caden Alonso Lewis & le repêchage d'un corps dans un lac. Au fond y baignait également la carcasse d'une voiture, sa voiture. Megan était effondrée. L'enquête avançait, et elle fut bouclée quelques mois plus tard, accident de voiture. La personne avait ses papiers sur elle, c'était ceux de Caden. Megan ne pourrait pas vivre sans lui, elle voulait en finir, encore. Mais ne pas se rater cette fois-ci. De toute façon, personne ne la rattraperait maintenant, elle était seule. Elle avait du grandir seule, ses parents absents n'étaient en aucun cas des repères pour elle. Elle n'en avait qu'un, c'était lui. Maintenant, elle était perdue. Une gamine qui a grandie dans le brouillard, se construisant elle-même, qui trouve enfin un sauveur, une aide, une main tendue. Et cette main se refermait, s'éloignait. Elle était seule à nouveau. Elle était terrifiée, elle n'y arriverait pas sans lui. Mais elle n'en finirait pas. Non, Caden la voit de là-haut, elle le sait. Si jamais elle se fait du mal, il lui en voudra. Alors elle va se contenter de déprimer pendant des mois, d'être réduite à l'état de légume. Oui, ça, c'est bien, c'est permis. Une lettre était arrivée pour elle, l'assurance-vie de Caden. Plusieurs milliers de dollars, mais elle s'en fichait. Elle n'ouvrit même pas l'enveloppe, le cachet dessus la dégoûta, l'effraya. L'enveloppe resta fermée. Elle ne remarqua donc pas que sur les cent-quatre-vingt-six-mille dollars, il n'en restait que la moitié. L'autre était allée directement dans les caisses de la mafia. De toute façon, elle ne s'en serait pas souciée. Elle avait perdu l'homme qu'elle aimait, la personne qui comptait le plus à ses yeux. Elle avait l'impression de revenir à ses dix-sept ans, une gamine déboussolée, qui doit se débrouiller seule. Cependant, elle sentait Caden à ses côtés. Il lui avait tant appris, tant montré, tant donné qu'elle ne pouvait pas revenir en arrière, revivre le calvaire qu'elle avait vécu. Elle s'en sortirait, difficilement, mais elle s'en sortirait.
Caden pourrait passer pour un monstre, parce que ce genre de geste ce n'est beau qu'au cinéma. Mais peut-être fallait-il connaître tout ce qu'il y a à savoir sur cette histoire.
Cheveux en bataille, l'homme tendit sa carte d'identité au contrôleur.
« Jack Raphael Tedcastle ? » « Lui-même. » Un sourire angélique pour accompagner cette petite phrase, un sourire tout ce qu'il y a de plus faux. Il n'avait pas le cœur à sourire, mais en tant qu'acteur, il se devait de savoir jouer la comédie. Après quelques instants, on le laissa passer & récupérer ses bagages. Il arrivait à Cambridge, il avait quitté Melbourne. Oui, il. Il, vous le connaissez, c'est Caden. Il n'est pas mort, il a orchestré sa mort. Mais pourquoi avoir fait ça ? Megan souffre terriblement, ils auraient pu s'évanouir tous les deux dans la nature, donner l'argent aux mafieux & point final. Mais non, c'en était hors de question. Caden était un fugitif, un hors la loi. De faux papiers, de toute beauté, mais des faux. Un jour, quelqu'un remarquera une faille dans l'affaire Lewis, un problème sur son permis de conduire. Et ce jour-là, Megan ne devra pas être à ses côtés. Elle devait courir, rire, soigner les enfants. Ça, c'est une vie. Être un fugitif qui risque à chaque instant sa peau, c'en n'était pas une. Mais c'était celle de Caden. Enfin, plutôt celle de Raphael. Au jour d'aujourd'hui, il est bibliothécaire, dans une vieille bibliothèque du centre-ville. Le calme, l'odeur du papier, et presque personne. C'est un peu son jardin d’Éden, son échappatoire, mais aussi un moyen d'être en contact avec
Elle. Elle passait des heures à lire, Caden était devenu jaloux de ses bouquins, qu'elle touchait plus souvent que lui. C'était à peine exagéré. Alors il s'allongeait, posait sa tête sur ses cuisses. Il la regardait lire, attendait qu'elle finisse. Elle posait ses bras sur son torse, Monsieur servait d'accoudoir pour la lecture de Madame. Mais ça ne le dérangeait pas, parce qu'ils étaient ensemble. Il s'endormait, et elle ne bougeait pas de peur de le réveiller. Mais ça ne la dérangeait pas, parce qu'ils étaient ensemble. ENSEMBLE. Un mot devenu dur à entendre pour Caden. Mais il s'efforçait de vivre, malgré tout.