Je suis née à Paris, d’un père français et d’une mère britannique. J’ai donc passé mon enfance dans le sublime, le magnifique, que dis-je, l’unique quartier de Montmartre. Vous l’aurez compris, Paris reste dans mon cœur, en particulier ce quartier si particulier. Quand on fait ses premiers pas sur les pentes du centre de la Bohème, on ne peut que se laisser toucher par l’Art avec un grand A. L’Art qui envahit chacune des ruelles de la Butte, qui remplit chacun de ces petits ateliers cachés dans les moindres recoins, au détour d’un escalier ou d’une impasse. Il suffit de se laisser guider par l’âme du lieu pour en goûter les merveilles. Mon père étant également un grand amateur de tableaux et sculptures, il m’initia très vite à cet engouement pour l’histoire des arts, en m’emmenant dans les musées, ou encore en me faisant découvrir les expositions temporaires. Et c’est ma mère qui me donna la passion du pinceau, m’inscrivant dès mon plus jeune âge à des cours d’arts appliqués. Mon avenir était donc déjà tout tracé. Quand mes petits camarades de classes rêvaient de devenir princesse, pompiers ou autres licornes, je n’avais qu’un mot à la bouche : conservatrice.
J’intégrais donc tout naturellement un lycée où je pouvais suivre une classe d’arts appliqués, dans le but d’intégrer la prestigieuse école du Louvre après mon baccalauréat. Je travaillais d’arrache pied pour passer le concours, m’exerçant sans relâche sur tous les annales que je pouvais trouver, passant ma vie en bibliothèque à étudier l’histoire de l’art. J’en abandonnai mes pinceaux et ma vie sociale. Mes amis étaient devenus une préoccupation secondaire, je n’avais plus de temps à leur accorder. Seul le concours comptait, je ne pouvais pas me laisser distraire par une quelconque broutille. Une soirée ? Non, désolée, mes livres m’attendent. Une sortie au parc ? Non, vraiment, je ne peux pas, il me faut encore retenir l’ordre des rois de France, et leurs dates de règne. J’en perdais même le contact avec Siméon, ce cher ami d’enfance… Bon d’accord, c’était probablement plus qu’un ami, mais là n’est pas la question. Je n’avais vraiment d’yeux que pour cette fichue école et ce satané concours. Après trois mois de révisions acharnées, un soir alors que je rentrais de la bibliothèque, je trouvai mes parents assis sur le canapé, dans le salon, comme s’ils m’avaient attendue là toute la journée. Je sentais bien que quelque chose clochait, mais je n’y prêtais pas attention, accrochant ma veste au porte manteau et me dirigeant vers ma chambre après avoir esquissé un vague « bonsoir », comme à mon habitude. C’est là que mon père m’invita à les rejoindre, et à m’asseoir sur le fauteuil en face d’eux. Ils avaient à me parler. Ce n’était pas facile, mais ils n’avaient pas le choix, il fallait que je comprenne, que j’accepte cette décision sans faire de vagues, ça ne servirait à rien de s’énerver.
« Mais de quoi vous parlez à la fin ? Vous commencez vraiment à me faire peur là. »
« Voilà… Ton père est muté aux Etats Unis. Nous déménageons dès que tu auras eu ton bac. Tu ne pourras donc pas passer le concours de l’école du Louvre. »
Ma mère continua à me donner quelques détails sur le départ, le pourquoi du comment, essayant de me convaincre qu’il n’y avait pas d’autres solutions, mais j’avais déconnecté mon esprit, je ne les entendais plus, m’étant enfermée dans ma bulle. J’avais dû entendre de travers, ce n’était pas possible autrement. Mon père n’était pas muté, pas de l’autre côté de l’océan, c’était juste impossible. Ils ne pouvaient pas m’annoncer que je devais renoncer à mes rêves d’école du Louvre, pas maintenant, pas après tous ces efforts, après tous ces sacrifices. Je faisais un cauchemar, j’allais me réveiller, il n’en était pas possible autrement. Sans que je ne m’en rende compte, je me levai, enfilai ma veste et quittai l’appartement. Je laissai mes pas voguer au hasard des rues de mon enfance, ces rues que je connaissais si bien, ces rues que j’avais parcouru un million de fois, ces rues que je connaissais comme ma poche, ces rues que j’aimais de tout mon cœur. Ces rues que je n’allais plus revoir. Jamais. Quand je sortis de ma rêverie, réveillée par ce violoniste de rue qui m’avait vu grandir, je me trouvais devant la porte de cet immeuble que je connaissais si bien. L’immeuble de Siméon. Cela faisait près de trois mois que je ne lui avais plus donné de nouvelles, ignorant ses nombreux messages et appels, jusqu’à ce qu’il se lasse. Trois mois que je le laissais de côté, tout ça pour me concentrer sur ce concours que je ne pouvais même plus passer. Trois mois que je l’avais effacer de ma mémoire tant bien que mal. Mais à cet instant, c’était de lui que j’avais le plus besoin. J’avais besoin de sa voix pour me consoler, de ses bras pour me réconforter. J’avais besoin de lui, et de personne d’autre. Sans réfléchir plus longtemps, je composai le code et gravis en courant les quatre étages qui me séparaient encore de lui, comme si ma vie en dépendait. C’est lui qui m’ouvrit la porte, ses parents étant de sortie. Je pu lire la surprise sur son visage, ses lèvres entrouvertes cherchant quoi dire. Mais aucun son ne fut prononcé. Je fus incapable de dire quoi que ce soit, étant soudainement submergée par un flot de larmes incontrôlable. Sans rien demander, il s’avança et me prit dans ses bras, m’entrainant à l’intérieur. J’essayai de parler, de lui expliquer pourquoi j’étais là, pourquoi je ne l’avais pas contacté pendant ces trois mois, pourquoi je ne refaisais surface qu’aujourd’hui. Je voulais lui dire combien il m’avait manqué, combien ça avait été dur pour moi de le rayer de ma vie si longtemps, mais que je n’avais pas eu le choix. Malgré tous mes efforts, je ne parvins pas à produire une seule parole cohérente, seuls les sanglots m’habitaient. Je m’abandonnai dans ses bras, me laissant bercer par les battements de son cœur raisonnant contre mon oreille.
Lorsque j’ouvrai les yeux, j’étais allongée dans un lit, bordée comme une enfant. Je tournai la tête pour découvrir un verre de jus d’orange, un thé, et un pain au chocolat sur un plateau posé sur la table de nuit. Mon esprit était encore engourdi des larmes versées la veille. Les événements me revenaient par bribes à travers le brouillard de mon chagrin. Je m’assis et bus une gorgée de jus d’orange, avant d’attaquer le pain au chocolat. Une fois le petit déjeuner englouti, je me quittai la chambre, rejoignant Siméon dans le salon. Il m’attendait, assis sur le canapé. Comme mes parents la veille. J’allai le rejoindre et m’assis à ses côtés. Je pris une profonde inspiration, tentant d’ordonner mes pensées avant de prendre la parole, mais il commença avant moi.
« Tes parents ont appelé hier soir après que tu te sois endormie. Ils s’inquiétaient de ne pas te voir rentrer. Ils m’ont tout expliqué pour ton père, sa mutation, et ton concours… Je suis vraiment désolé pour toi, Norah… Est-ce que… C’est pour ça que… Pendant trois mois… »
« Oui. »
« Mais… Pourquoi ? Enfin, je veux dire… Pourquoi tu as été aussi radicale ? On aurait quand même pu se voir de temps en temps sans que ça ne te trouble dans tes révisions, non ? »
Je pouvais sentir le désespoir dans sa voix tremblante, l’incompréhension se mêlant à la compassion. Je lui pris la main, tournant les yeux vers la fenêtre pour ne pas avoir à affronter son regard.
« Je… Je n’avais pas le choix. Non, laisse moi finir. Siméon, je… Si j’avais continué à te voir, j’aurais été incapable de me concentrer comme je l’ai fait. J’aurais été trop distraite. Si j’ai préféré couper tout contact, c’est parce que… Oh, et puis à quoi bon, de toute façon, je vais partir à l’autre bout du monde sans pouvoir passer ce concours à la noix. Décidément, j’aurais tout perdu. Je me suis privée de ce que j’aimais pour atteindre un but qui est devenu inaccessible. J’ai taché de t’oublier pour avoir ce concours, et maintenant que je suis libre, je vais quand même devoir vivre sans toi puisque je m’en vais... Quelle ironie, tu ne trouves pas ? »
« Norah… »
Je plongeai mon regard empli de larmes dans le sien, m’abandonnant une nouvelle fois tout contre lui.
Il était là, le jour du grand départ. On gardera contact, grâce au mail. Et puis, je viendrai te voir là bas. Toi aussi tu pourras prendre l’avion pour revenir en France. Promesses d’adolescents amoureux, promesses intenables. Les premiers mois furent plus qu’horribles, puis la vie a reprit ses droits. Je m’intégrai tant bien que mal dans cette nouvelle université, me plongeant dans le travail pour oublier, devenant une brillante étudiante au cœur de glace, cherchant encore quelqu’un pour le rechauffer…