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Katherine & Kaleigh
J'avais imaginé une pièce intimiste dans laquelle je m'allongerais sur un sofa, seule avec un psychiatre qui me montrerait des images, me tendant un mouchoir ou deux si l'occasion se présentait. J'avais tort. Je pensais qu'on allait me laisser me reposer, m'apporter mon plateau repas et recevoir de la visite toute la journée pour m'aider à tenir le coup, il n'en était rien. Au lieu de cela je devais me lever tous les matins entre sept et huit heures pour aller prendre mon petit déjeuner, passage obligatoire et revenir dans ma chambre en attendant sagement qu'on vienne me prendre ma tension et m'examiner afin de savoir si le traitement qu'on me donnait était adapté, s'il ne provoquait aucune réaction secondaire. Le midi, le refrain était le même, obligée d'aller manger avec les autres, de m'assoir à une table avec d'autres, de me mélanger avec les malades de l'unité psychiatrique. L'après-midi, nous étions censés nous retrouver pour partager des activités car cela faisait parti intégrante de la thérapie disaient-ils. Et je me forçais, chaque jour à ignorer les regards qu'on me lançait, la grande vitre par laquelle je passais tous les matins car se réunissaient derrière elle le personnel qui étudiait chaque passage, le moindre de mes faits et gestes, notant toute réaction, tout changement d'humeur. Les séances quotidiennes d'analyse avec les spécialistes étaient fort désagréable. Il y avait tout d'abord le psychiatre, le psychologue, des infirmiers et des étudiants, tout ce petit monde à me toiser, prenant des notes sur ce que je disais, sur la manière dont je me tenais. Je n'avais pas le droit de recevoir de la visite et avais eu soixante douze heures de solitude durant lesquelles j'avais été privée d'appels téléphoniques et de textos. Encore aujourd'hui je restais coupée du monde, telle une adolescente qui serait privée de son cellulaire pendant la nuit. Je n'avais droit qu'à une heure de mon téléphone par jour, avant le repas et seulement pour envoyer des messages. N'ayant rien reçu dans les premiers jours, je m'étais sentie si abandonnée que je ne l'avais plus demandé, que j'avais laissé mon blackberry moisir dans un casier à mon nom. Mes parents étaient venus déposer un sac de vêtements pour moi et je devais me contenter de t-shirt et de pantalons basiques car je devais sois-disant être à l'aise pour participer aux différentes activités tel que la poterie ou le dessin. Foutaises. Et si je me sentais plus à l'aise en talons haut et slim sur mesure pour me salir les mains ? Une chose cependant me remontait le moral : les autres patients. Imaginant me retrouver avec une bande de cinglés, bavant et hurlant des inepties à propos de tout et de rien, il s'était avéré que rien de tout cela n'existait, du moins pas dans ce service. Peut-être dans des cliniques spécialisées dans lesquelles ses patients devraient séjourner à vie. Ils étaient normaux pour la plupart, dépressifs, dépendants à toutes sorte de chose, de la drogue, l'alcool à la colle-stick. Ils étaient comme tout le monde, quand on y réfléchissait. Ils se retrouvaient le soir pour regarder la télévision ou jouer aux cartes tandis que je restais dans mon coin, dans ma chambre à me demander ce que je foutais là, ignorant les toc-toc à ma porte des patientes qui voulaient m'apporter un peu de réconfort. Je me demandais ce qu'on pouvait bien avoir écrit sur moi, détestant le fait d'être jugée, étudiée et épiée toute la journée. Depuis mon arrivée, les infirmiers guettaient le moindre de mes pas, m'accompagnant aux toilettes - ce que je détestais - afin de voir si je ne régurgitais pas mes médicaments ou mon repas tout court. Le psychiatre avait même évoqué mes troubles alimentaires - troubles que je n'avais pourtant pas -. J'ai toujours mangé comme un oiseau, sauter des repas sans pour autant souffrir d’anorexie. Mes parents, ma mère surtout, m'avait toujours soupçonnée et j'étais persuadée qu'elle avait parlé de ses doutes aux médecins, comme si je n'étais déjà pas assez surveillée comme ça. Comme s'il était anormal de rechigner à avaler cette bouffe dégueulasse, l'eau du robinet et du thé premier prix. On ajustait mon traitement selon mes humeurs, jugeant ou non qu'il était efficace. Comme si je n'avais pas le droit d'être en colère, comme si je n'avais pas ce putain de droit d'être triste et déboussolée en temps normal.
« Comment allez-vous depuis lundi ? » Me demanda le psychiatre, assisté par la psychologue et quelqu'un dont je n'avais pas relevé la fonction pour ne pas avoir levé les yeux depuis mon arrivée dans la pièce, chaperonnée par deux infirmiers. « Kaleigh ? » « Pardon ? » Je relevais la tête, fronçant les sourcils sans comprendre ce qui m'arrivait, le bras fatigué de devoir se tenir immobile afin que la perfusion ne se bloque pas. « Comment vous sentez-vous depuis lundi ? » Lundi... j'avais hurlé à la mort, essayant de sortir de l'unité et de l'hôpital lui-même, courant comme une folle vers une quelconque sortie, renversant plateaux, patients et personnels dans ma course folle. On m'avait attrapée et mise sous calmants. Trop puissants pour mon poids, j'avais du être perfusée car ma tension ne faisait que descendre, m'empêchant de me lever sans tomber dans les pommes. « Je n'comprends toujours pas ce que j'fais ici, pourquoi j'ai pas le droit d'avoir mon téléphone, pourquoi vous m'épiez toute la journée comme un animal de foire, pourquoi j'ai pas l'droit d'aller aux toilettes sans être suivie comme si j'étais le président ! » Ce qui m'énervait le plus, je crois, était l'impassibilité du psychiatre chargé de me suivre. Je l'avais insulté, je lui avais arraché ses lunettes, je les avais piétinées, j'avais tenté de lui donner une gifle, un coup de pied... la seule chose qu'il faisait était d'appeler les infirmiers pour me renvoyer comme une adolescente insolente dans ma chambre, toujours avec ce sourire compatissant, comme s'il était de mon côté. Nous avions évoqué il y a quelques jours le nom d'une maladie que je connaissais pour l'avoir vue dans une série télévisée : la maniaco-dépression. Je n'étais pas malade ! On avait seulement abusé de moi et je ne comprenais pas pourquoi on me collait cette étiquette. Ne voulant pas poursuivre cette séance, je me levais et sortis en claquant la porte, aussitôt rattrapée par une aide-soignante qui marchait dans les couloirs. Je me fichais de mes bonnes manières. Je voulais être inconvenante, je voulais être malpolie. J'insultais alors la bonne femme et fus raccompagnée aussi sec à ma chambre. Je me mis à pleurer sur mon lit, recroquevillée en position fœtale, déclinant l'appel du repas. Pour une fois, on me laissa tranquille. Une étudiante vint m'apporter mes cachets et resta avec moi une dizaine de minutes afin d'être sûr que je n'aille pas les recracher quelque part.
En fin d'après-midi, je reçut la visite non pas du psychiatre qui s'occupait de ma pathologie mais de la psychologue, accompagnée par une étudiante dans ma propre chambre. Assise sur mon lit, les genoux repliés vers ma poitrine et les bras entourant ceux-ci, je levais pour la première fois de la journée la tête et fus intriguée par la nouvelle-venue. La même étudiante qu'il me semblait avoir vu un peu plus tôt dans la journée chez le psychiatre. Ayant une mémoire d'éléphant, quasi holographique, je replaçais en une fraction de seconde son visage et même son nom. Cette jeune femme habitait chez les Eliot depuis septembre, suite au décès de Peter, son mari et anciennement l'un des nôtres. Elle portait avec elle un calepin et un visage aussi professionnel qu'indéchiffrable. « Quelque chose ne va pas Kaleigh ? » J'aurais tout aussi bien pu informer la psychologue que je connaissais son étudiante mais je ne voulais pas passer pour une personne faible et incapable de me débrouiller seule. J'en oubliais mon désir d'inconvenance. « Si si. » « Je voulais savoir comment tu allais et si tu avais réfléchi à la discussion que nous avons eu l'autre jour. » Mon sang ne fit qu'un tour. Elle parlait de mon homosexualité, du moins de ma sexualité refoulée comme elle le disait, n'importe quoi ! Quoi qu'il en soit et même si je supposais Katherine professionnelle, je ne voulais en rien qu'elle sache mes inquiétudes ni même ma sexualité. Tout le monde savait que j'étais en couple avec un sportif pour m'en vanter dès que l'occasion se présentait, pour l'emmener à chaque fête pour l'exhiber tel un trophée. Je ne voulais pas ruiner le semblant de réputation que je pouvais avoir. « On peut parler d'autre chose ? En fait, je ne me sens pas très bien... on peut... remettre ça à demain ? » Dis-je, tentant d'esquiver cette discussion, ne sachant aucunement qu'elle avait prévu de me laisser seule avec Katherine.
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