« NOM D’UN BEST-SELLER ! » s’était exclamé Eventine en se réveillant en sursaut, la sueur lui dégoulinant littéralement du front. Où se trouvait-il, au juste ? Ah oui, le grand salon de l’immense baraque appartenant à la famille Casiraghi et qui manquait de tomber totalement en abandon tant ses membres ne lui rendaient que rarement une visite. Que foutait-il là ? « Veuillez pardonner ce réveil fort peu protocolaire mais votre altesse semblait ne pas être en mesure d’entendre toutes mes autres tentatives vocales… votre altesse semblait fatiguée à vrai dire, sans doute le voyage. » On aurait très bien pu s’attendre à ce que le jeune prince se relève pour saluer plus respectueusement son interlocuteur mais actuellement, l’esprit du brun était tellement embrumé qu’il en était incapable. « L’alcool Monsieur, pas le voyage » ajouta-t-il non sans amusement malgré le mal de tête qui lui sciait littéralement le crâne. « Je peux avoir l’insigne honneur de savoir qui vous êtes ? » « Gauthier Monsieur, votre nouveau majordome de la gentlem… » « Moi j’ai follement besoin d’une aspirine de la gentlem machin chose » articula-t-il avec difficulté, se levant finalement pour faire face à son interlocuteur ne le détaillant que discrètement et sans insistance. Même un lendemain de soirée excessivement arrosée, Eventine avait tout de même la présence d’esprit de savoir se tenir… dans le cas contraire ses éventuelles frasques feraient sans arrêt la une des pires magazines people, il va sans dire. Ceci dit, l’homme d’une trentaine d’années s’exécuta sans rechigner, soupirer ou démontrer la plus petite marque d’agacement… il disparut cinq minuscules minutes, revenant avec un grand verre d’eau et un aspirine en pleine effervescence à l’intérieur. « J’ai pensé que ce serait plus efficace pour vous. » « Gauthier, vous êtes une mère pour moi ! » lança-t-il d’un ton on ne peut plus reconnaissant avant de se masser ses tempes douloureuses. « En parlant de votre mère, son altesse la princesse Caroline de Monaco m’a chargé de veiller personnellement sur vous. Je me dois de vous accompagner dans vos moindres déplacements afin de m’assurer de votre bien-être. » Eventine écarquilla deux grands yeux surpris bien qu’en soit, la tentative de sa mère ne soit pas un choc le moins du monde. Elle s’était toujours montrée mère poule envers chacun de ses enfants, et c’était littéralement pire depuis que deux d’entre eux étaient devenus parents… mais le beau brun ne faisait pas encore partie du lot, trop jeune qu’il était. Il peinait déjà à se trouver une relation stable et aimante, alors procréer… ce n’était définitivement pas à l’ordre du jour. « Et si je suis en concert à Chicago par exemple, vous venez avec moi en mode supporter dans les coulisses ? » demanda-t-il, subitement curieux. « Je suis un grand admirateur de musique classique et tout spécifiquement de votre talent, votre altesse. Le terme « reporter » me semble être mal usité… un admirateur, sans doute, un soutien, à n’en point douter ou comme je le préfèrerais, un adepte. »
Le cerveau du jeune homme était définitivement trop embrouillé pour saisir tout le génie du verbe de Gauthier mais à défaut, il lui offrit un sourire amusé. Celui-là risquait d’être dur à faire taire mais ce n’était pas plus mal, et Eventine comprenait aisément pourquoi sa mère l’avait choisi lui en particulier… non seulement il s’exprimait comme s’il venait d’un autre siècle, mais il ne s’écrasait pas devant le jeune prince. Son nouveau majordome n’avait pas idée du nombre de personnes, sous le fallacieux prétexte d’être en face d’une personnalité royale, s’écrasaient et prenaient la poudre d’escampette dès qu’ils en avaient l’occasion… difficile que de se sentir entouré à des kilomètres des siens de cette manière mais Eventine acceptait de payer ce prix car cela lui offrait une liberté qu’il n’aurait jamais pu obtenir autrement. Après tout, n’avait-il pas passé un pacte des plus honnêtes avec son oncle Albert, le prince actuel de Monaco ? Celui-ci ne l’incitait pas à étudier la politique ou les affaires étrangères s’il obtenait un véritable diplôme en bonne et due forme. Quand bien même sa carrière de violoniste battait son plein depuis des années, il pouvait y avoir un moment où la renommée, cette amie si infidèle, lui ferait défaut… et bien qu’Eventine n’ait jamais manqué de prié un seul jour pour que sa chute soit extrêmement lente, si d’aventure chute il devait y avoir, la raison de son oncle avait bientôt résonné dans son esprit. Sa présence à Harvard en avait bien évidemment découlé… « Donc vous êtes une ombre mais une ombre adepte, voilà qui ne risque pas d’engendrer la morosité ! » s’exclama Eventine avant de boire docilement son aspirine, encouragé de près par son majordome qui suivit son geste au millimètre, comme prêt à intervenir s’il s’étouffait. « Vous êtes au courant qu’il y a peu de risques que je m’étouffe des suites d’un complot orchestré par une aspirine ? » « Il faut être vigilent votre altesse. De nombreuses personnalités ont fait l’expérience des bulles et ne sont plus là pour le raconter… » Cette fois-ci, ce fut un éclat de rire sonore qui peupla l’atmosphère du salon où ils se trouvaient tous deux. Gauthier avait définitivement réponse à tout et rien que pour cela, il serait sûrement le meilleur allié qu’il ait jamais eu. « Si personne n’avait inventé votre répartie, j’aurais eu un prix Nobel en le faisant… » « Je crains Monsieur qu’un tel prix Nobel n’existe pas. » « Qu’est-ce que je disais ! » Mais cet homme d’une trentaine d’années n’ayant ni carrure effrayante ni style à tomber par terre compensait chacun de ses défauts par un verbe haut ne frôlant jamais l’insolence, bien au contraire. En lui envoyant ce dernier, sa mère avait frappé plus fort et plus juste qu’elle ne s’était jamais montrée capable de le faire : non seulement elle connaissait son fils, ses habitudes ainsi que son goût pour les joutes verbales mais désormais, elle venait de lui offrir un allié de taille pour la poursuite de son existence ici, à Harvard, et à plus forte raison au sein de cette immense maison où la solitude n’en n’était que plus vive.
« Avant que je n’oublie votre altesse, votre auguste mère souhaite mettre à votre disposition des billets d’avion pour Monaco afin de vous permettre de vous déplacer lors de vos prochaines vacances, souhaitez-vous que je vous les dépose quelque part ? » « Elle doit vouloir que je me rende sur sa tombe… » ajouta-t-il d’une voix légèrement plus lointaine, comme absente, disparaissant même à l’horizon. « Je sais bien que vous ne répondrez sûrement pas Gauthier, ça outrepasse vos fonctions mais que feriez-vous si vous étiez incapable de vous rendre sur la tombe de votre propre père ? C’est devenu un folklore, une obligation… il n’y a plus rien de naturel, de familial. Je suis le seul de mes frères et sœurs à ne pas l’avoir connu puisqu’il est mort d’un accident avant ma naissance. Si je dois me rendre sur sa tombe, ce sera seul… j’ai bien trop de choses personnelles à lui dire. » Rien qu’en cela, Eventine venait de lui prouver par a+b qu’il lui faisait une confiance aveugle et qu’il viendrait probablement d’autres moments où le jeune prince se confierait à cet homme, bien qu’il ne le connaisse pas encore sur le bout des doigts. Après tout, ne lui suffisait-il pas de lui poser une maigre question de quatre mots pour obtenir une définition précise de quarante-six pages ?