BOY YOU’RE SO UNPREDICTABLE
and that’s why i love you
Les années 2000, c’est les meilleures qui ont pu exister. J’aurais pu vous faire un topo sur les années précédentes, mais elles ne sont pas très intéressantes. Le truc, c’est que je n’aime pas ma vie, je n’aime pas mon histoire… donc j’évite d’en parler. J’ai pas vraiment eu la vie de rêve que tout enfant souhaite d’avoir. La mienne, c’était un cauchemar. J’étais difficile à vivre pour les familles d’accueil qui m’ont accueilli. Le petit garnement qu’on veut foutre dans un coin et oublier. Mais moi, je faisais tout pour ne pas qu’ils m’oublient. Un besoin d’attention ? Peut-être. Je ne sais pas trop moi-même pourquoi j’agissais comme ça. Mes parents, je ne les ai jamais connu puisqu’ils m’ont abandonné à l’âge d’un an, devant un orphelinat irlandais. J’ai grandi dans les différentes familles d’accueil. Ce qui est cool quand on est dans le système, c’est… non, sérieusement, y’a rien de cool. On est fiché à vie comme un enfant abandonné et quoiqu’on dise, quoiqu’on fasse, ça restera ça. Baladé de famille en famille, je n’ai jamais trouvé le repère que je voulais, que j’avais besoin. Aucune des familles qu’on me proposait n’arrivait à m’offrir ce que je souhaitais. Tant pis. Après tout, on a jamais ce qu’on veut dans la vie, je l’ai appris bien assez tôt.
Du coup, je voulais avoir ne serait-ce qu’un minimum de choses, puisque je n’avais pas la famille et la stabilité, je cherchais l’argent et le matériel. La fille aussi, mais elle, ça arrivera plus tard. C’est quand j’ai atteint la dizaine d’années que ma réelle activité a commencé : l’arnaque et le vol. J’suis pas un mec bien grand et très baraqué alors la délicatesse et le faufilage sont des atouts pour moi et j’en profite. Me balader dans les rues en glissant mes mains dans les poches ou prétendre être quelqu’un que je ne suis pas, je savais faire. Je m’étais amélioré d’années en années. Faut bien l’avouer, le début c’était pas vraiment ça. Je me faisais prendre la plupart du temps, les flics du quartier avaient l’habitude de moi. Puis quand je me suis mis à m’améliorer, j’ai décidé de changer de quartier et forcément, on ne me connaissait moins là-bas.
A 16 ans, j’avais déjà cumulé un petit pactole, rien qu’en faisant la poche des gens pendant quelques années à la sortie de l’école. Et oui, faut pas croire mais j’continuais d’être assidu en cours. Je voulais aussi gagner ma vie et pour ça, je devais faire des études. Je me souviens d’une fin d’après-midi où j’avais assisté au sauvetage d’une personne qui venait d’avoir un accident de voiture. Ca m’avait donné envie d’assister les gens… Médecin ? Peut-être. Ca ou ambulancier. Je ne savais pas encore… mais ça resterait dans le médical. Quand on regarde ce que je fais à côté, ce n’est pas forcément ce qu’on peut croire de moi… de vouloir aider les gens. Mais j’sais pas, je suis pas méchant au fond, je suis juste un gamin qui veut s’en sortir dans la vie en créant lui-même ses bases. J’en étais à ma dixième famille d’accueil en seize ans quand j’ai demandé mon émancipation. J’avais l’argent nécessaire pour vivre seul, j’avais de bons résultats scolaires et surtout, une famille qui ne voulait plus de moi. J’étais enfin libre et j’étais livré à moi-même.
Il y avait cette fille, rencontrée quelques mois après mon emménagement dans un appartement dans le centre de Dublin. Un peu plus âgée, elle devait avoir 22 ou 23 ans. A la base, ce n’était qu’une voisine, mais c’est très vite devenu plus. Je la faisais rire à chaque fois qu’on se croisait dans l’ascenseur et je sais pas comment l’expliquer. Un jour, c’est devenu plus. On s’échangeait des baisers dans ce même ascenseur, sans gêne, sans retenue. Elle m’a emmené dans son appartement, on a couché ensemble et on se voyait souvent comme ça. Un couple ? Non, ce n’était pas ça. Elle avait un mec je crois… Je sais plus, j’crois pas en fait. Le truc, c’est que c’était fun et sans prise de tête, j’aimais ça. Sauf que du jour au lendemain, ça s’est arrêté. Je ne la voyais plus, elle ne répondait plus à mes sms. Je reprenais donc ma vie comme avant, sans me préoccuper de ce qui s’était passé. Finalement, un jour elle s’est pointée sur le pas de ma porte, la mine triste et désespérée. Elle était restée sans me donner de nouvelle pendant cinq mois, environ. Cinq mois et elle est réapparue comme ça. Je l’ai faite entrer et elle s’est installée sur mon canapé. Je sais pas si c’était parce que j’étais obnubilé par ses yeux que j’avais pas remarqué ce qu’elle allait m’annoncer. « Je suis enceinte. » Je fronçais les sourcils, regardant juste en dessous sa poitrine pour bien voir son ventre… qui était arrondi oui. Mon regard revenait attraper le sien. « Et ? » Je ne comprenais pas tout de suite pourquoi elle me disait ça. « Et il est de toi. » Je fronçais une nouvelle fois les sourcils. J’avais dix-sept ans, je pouvais pas être père. J’veux dire… Non. Je peux pas. « Et ? » Je ne voyais pas où elle voulait en venir, ce qu’elle attendait précisément de moi. « Et je le garde. »
J’étais resté trois semaines sans lui parler, à réfléchir après ce qu’elle m’avait avoué. Je ne savais pas si j’étais prêt à assumer un enfant, à vivre avec tout ça.. J’avais envie de faire des études, je bossais dur et j’avais envoyé une demande d’admission à Harvard, Yale, Columbia, Darthmouth, Princeton et Oxford. Oui, je voulais les meilleures universités et je m’y étais pris assez tôt. Surtout que même si j’avais assez d’argent pour vivre, j’avais tout de même besoin d’une bourse d’études, ne serait-ce que pour payer les frais d’inscription. Quand j’ai décidé d’aller la voir pour lui dire que je n’accepterai pas cet enfant, pour la simple et bonne raison que j’allais bientôt bouger dans un autre pays, elle n’était pas là. Pendant trois jours, je venais la voir plusieurs fois à son appartement, sans trouver le besoin de l’appeler et nope, aucune trace d’elle. Je décidais de céder à l’envie de l’appeler et je tombais sur une voix que je ne connaissais pas. « Allo ? » ; « Bonjour, je cherche à joindre Mlle Brightside s’il vous plait. » Je fronçais les sourcils, ne comprenant rien de ce qui se passait, encore une fois. « Bonjour, ici le St James’s Hospital. Mlle Brightside a été admise il y a une semaine suite à un accident de la route. Elle est actuellement dans le service de soins intensifs. Mlle Brightside n’a pas pris connaissance depuis son admission. » Je restais debout, comme une statue en cherchant à assimiler tout ça. « Et le bébé ? » Je sentais mon ventre se tordre dans l’attente d’une réponse. « Je suis désolée monsieur, le bébé n’a pas survécu. » Je me sentais coupable, de l’état de la jeune femme mais également de la perte du bébé. Si je l’avais prévenue plus tôt, elle n’aurait pas eu d’accident… elle aurait eu le bébé qu’elle voulait et.. « Et il s’est passé quoi concrètement ? Au niveau de l’accident ? » Je cherchais à en savoir plus mais c’était sans succès. « Je n’en sais rien monsieur, je ne suis qu’infirmière. Je ne connais que les détails médicaux de mademoiselle. Je vous invite à contacter le service de police pour en savoir plus. » ; « Merci, bonne journée à vous. » Je me laissais tomber dans le couloir de l’immeuble, réalisant que je n’avais plus le poids de la grossesse, mais le poids de la culpabilité. Je devais en savoir plus.
Harvard, septembre 2008. Emma s’était réveillée après plusieurs semaines dans le coma. Elle avait des séquelles puisqu’elle ne se souvenait plus de quelques détails, comme l’accident. Du moins, c’était le cas quand je l’ai quitté afin de partir aux Etats-Unis afin d’y faire mes études médicales. Oui, j’allais être médecin, puisque j’avais envie de tout faire pour les personnes qui se font hospitaliser en urgences, comme le cas d’Emma. Disons que ça a été le déclic. A présent, je prenais souvent des nouvelles d’elle, savoir si elle avait des souvenirs de ce qui s’était passé. Moi je le savais, je m’étais renseigné après avoir eu l’hôpital et il s’avère qu’elle n’était que piétonne et qu’elle s’est faite renverser. Elle allait bien au début, jusqu’à ce qu’elle tombe dans l’inconscience dans l’ambulance. Un caillot s’est formé dans son cerveau et ils l’ont retiré à l’hôpital. Son coma n’était que la suite de son opération. Le bébé a été le premier touché par l’accident, il est mort sur le coup. Je n’ai pas dit à Emma que je voulais pas du bébé, que je n’étais pas assez impliqué pour le vouloir. Je n’étais qu’un jeune ado qui ne souhaitait pas avoir d’attache et un bébé en était une trop grande. Je ne lui ai rien dit et elle n’a pas cherché à savoir. Je crois bien qu’elle voulait oublier ce passage et reconstruire sa vie. Ici ou ailleurs, j’en avais aucune idée. Pour ma part, Cambridge avec Harvard allaient être mon nid pendant plusieurs années. Et je m’en contentais. Mes petites affaires… je les avais mises de côté, mais je risque de les reprendre. Après tout, ça me manque un peu tout ça.