09 décembre 1992, Melbourne. La famille Sparcks venait de s'agrandir et de concrétiser leur couple d'une certaine manière. Je suis la preuve humaine de l'amour de mes parents. Je suis issue d'un père gérant d'un hôtel cinq étoiles situé en plein centre ville, et d'une mère faisant carrière dans le show-biz. On peut dire que j'ai atterri là où on ne manque de rien, là où l'argent n'est pas un problème mais plutôt une solution. J'ai eu une enfance heureuse, celle que toute petite fille rêverait d'avoir. Mais ce n'est pas pour autant que j'ai été une fille pourrie gâtée. Je n'ai pas été élevée de cette manière, avec des caprices satisfaits à longueur de journée, une absence parentale compensée par des cadeaux. Pour eux, l'argent n'était que secondaire. J'ai toujours eu des parents présents, là pour leur petite fille chérie. Je suis la seule de la famille, alors il n'était pas question pour eux de toucher à la prunelle de leurs yeux. C'est surtout mon père qui avait un oeil sur moi et qui a toujours surveillé mes moindres faits et gestes de très près. Il était mon meilleur ami, celui à qui je pouvais tout dire et qui prenait le temps de me raconter une histoire tous les soirs pour m'endormir. Avec ma mère aussi j'étais assez complice, mais moins qu'avec mon père -je pense même qu'elle était un peu jalouse de notre relation. Elle a toujours été mon modèle, aussi bien sur le plan physique que sur le plan personnel. On était une famille heureuse et unie. On était vraiment une famille en or qui brillait de mille feu. Mais tout ça est à conjuguer au passé. Cette image de famille idéalisée a très vite flanché.
*****************************************************12 avril 2003, Salle des fêtes, Melbourne. En ce jour particulier, on fêtait les trente ans de ma mère. Pour l'occasion, mon père et moi avons organisé une fête surprise. Tout le monde était là: les amis de mes parents, la famille au grand complet, et même quelques personnes inconnues qui accompagnaient des invités. La salle de fête était bondée de personne et l'ambiance était au rendez-vous. Ma mère en avait eu les larmes aux yeux au moment où elle avait pénétré dans la salle et que nous nous étions mis à crier tous en coeur
"Bon anniversaiiiiire". La fête battait son plein, tout le monde buvait, rigolait, mangeait, dansait, et je me rappel même que le frère de ma mère avait vomi sur l'un de ses cadeaux.
« Dis-moi ma puce, tu n'aurais pas vu après ton père par hasard? » Je hochais de la tête en guise de réponse négative. Ma mère le cherchait depuis déjà plusieurs minutes, et aucun des invités ne semblaient l'avoir vu. Il avait disparu depuis déjà une bonne dizaine de minutes. Il était censé partir chercher le gâteau, mais on ne le voyait pas arriver.
« Au secours, venez m'aider! » Ma mère avait crié tellement fort qu'on l'avait entendu malgré la musique qui défilait. A cet appel à l'aide, tout le monde avait arrêté ce qu'il était en train de faire et s'était empressé d'aller voir ce qu'il se passait.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé? » avait demandé un membre de la famille, affolée, pendant qu'un autre appelait les secours. Mon père était étalé à terre, inconscient avec un crin au niveau du crâne qui a surement du se faire au coup.
« Je ne sais pas, il était déjà là quand je suis arrivée » Et à ce moment-là, personne ne se doutait de ce qu'ils allaient apprendre.
La fête avait été clôturée avec cet accident. Les invités avaient gentiment regagnés leur domicile pendant que quelques personnes de la famille très proche nous tenaient compagnie. Les secours étaient arrivés très rapidement et avaient emmené mon père en ambulance jusqu'à l'hôpital. Il avait fait un malaise, mais les raisons étaient encore inconnues. Il allait être la cible de nombreuses analyses pour tenter de comprendre le pourquoi du comment. Ma mère était dans tous ses états. Moi, j'étais calme. A vrai dire, je ne savais pas comment réagir. Je ne réalisais pas l'ampleur des événements et n'était pas plus inquiète que ça. La seule chose qui me semblait juste à faire était de rassurer ma mère par mes câlins.
« Qu'est-ce qu'il a papa? » avais-je dit de ma petite voix d'enfant, assise sur les jambes de ma mère qui attendait la venue du médecin pour savoir le résultats des analyses.
« Je ne sais pas ma puce, mais je suis sur que ce n'est pas grave » Bizarrement, elle avait dit ça sans grandes certitudes. Mon père était toujours inconscient. La situation était donc prise au sérieux par les médecins. Et lorsque l'un d'eux s'approcha, ils s’escortèrent dans un endroit plus discret. La discussion avait bien duré une vingtaine de minutes. Ma mère était revenue les yeux rouges. Ça prouvait qu'elle venait de pleurer. Mes grands-parents -du côté de mon père- était restés près de moi pendant ce temps-là et attendaient de savoir à leur tour les résultats du médecin.
« Alors? Qu'est-ce qu'il a? Il va bien? » demandèrent mes grands-parents inquiets. Les lèvres de ma mère se mirent à trembler, ayant du mal à faire sortir les mots
« Les médecins lui ont diagnostiqué un... un cancer au niveau des poumons... » et elle se mit à pleurer de nouveau. "Cancer des poumons"... ce mot ne faisait absolument pas parti de mon vocabulaire, mais voyant l'état de ma mère je compris tout de suite que ce n'était pas une bonne nouvelle.
« Il est réveillé... on peut aller le voir... »
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Depuis le diagnostic du cancer de mon père, notre vie avait prit un tout autre mode de vie. Personne ne savait comment il avait pu se choper cette saloperie. Il ne fumait pas, bien qu'il avait été fumeur durant son adolescence. Sa dernière cigarette remontait à ses dix-neuf ans, alors ça ne pouvait pas être un facteur. Ce cancer s'était naturellement développé, détruisant peu à peu ses poumons, et surtout sa santé. Il était déjà à un stade sévère, et s'il n'avait pas été pris en charge au plus vite, mon père n'aurait eu plus que quelques jours à vivre. Il avait accepté tous les traitements. Il restait fort, se battait contre la maladie. Il le faisait avant tout pour nous, car il ne voulait pas nous laisser. Il avait pourtant fallut discuter longtemps avec lui pour finir par le convaincre de lui faire prendre ces fichus médicaments, chimio et tout ce qui en suit. Mon père ne voulait pas paraître malade. Il voulait pouvoir continuer de vivre comme quelqu'un de normal, continuer à voyager, à travailler, à profiter. Il voulait tout simplement continuer d'avoir la vie qu'il avait d'avant et était bien décidé à ne pas laisser le cancer prendre les devants. Alors il se battait, jour après jour, encore et encore. Il gardait le sourire, ne baissait pas les bras, bien qu'avec le temps, son corps s'affaiblissait. Pourtant, ça nous faisait du bien de passer encore les mêmes moments qu'on partageait avec lui avant le cancer. Ca nous donnait l'impression, l'espace d'un instant qu'il allait bien, qu'il pétait la forme. Mais très vite, la réalité nous ramenait sur terre lorsqu'il se mettait à tousser ou que son teint virait au pâle. Plusieurs fois on avait eu l'espoir qu'il allait mieux. Les médecins eux aussi le croyaient, mais à chaque fois il rechutait et ses métastases se multipliaient. Sa vie était condamnée, et on le savait, mais on préférait l'ignorer...
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octobre 2007, Centre Hospitalier. Mon père se plaignait déjà depuis plusieurs jours de fortes douleurs au niveau de la poitrine. Au début, on pensait ça normal, e n'était pas la première fois que ça lui arrivait. Ça se manifestait parfois, et puis plus rien. Mais cette fois, c'était plus sérieux, au point qu'il avait dû être hospitalisé d'urgence. J'avais quatorze ans à l'époque et j'étais tout à fait consciente de ce qui se passait, et de la gravité des choses. J'avais vu mon père se rendre à l'hôpital mainte et mainte fois, alors je restais forte et croyais en lui. Au fond, je savais que la fin s'approchait. Il le savait aussi, mais il continuait de sourire. Ca faisait déjà plus d'une semaine qu'il était hospitalisé, et les médecins avaient dit qu'il n'était pas près de sortir. Tous les jours je venais lui rendre visite. Je passais ainsi toute mon après-midi à lui tenir compagnie. Allongé sur son lit d'hôpital, et relier à différents appareils, je m'étais allongée à ses côtés, blotti tout contre lui. Ma mère était assise sur le fauteuil, lui tenant la main qu'elle caressait du bout de ses doigts de fée. Mon père se mit alors à me raconter une blague histoire de détendre un peu l'atmosphère.
« J'ai une devinette pour vous... » dit-il toujours en souriant avant de reprendre
« ... qu'est-ce qui est jaune et qui attend? » Ma mère et moi se mirent alors à réfléchir à la réponse. Ni elle, ni moi ne l'avait.
« JONATHAN! » dit-il de sa grosse voix de clown suivit d'un rire. Nous se joignons alors à lui, bien que se devinette n'était pas forcément marrante. C'était juste une connerie qui nous avait encore une fois fait sourire. Et alors qu'il se mit aussi vite à crapoter, je lui demanda
« Dis-moi papa, comment tu fais pour garder le sourire et faire comme si de rien n'était? » Cette question me turlupinait depuis longtemps. J'étais tellement fascinée par sa façon d'être malgré tout.
« Parce que je t'ai toi et ta mère, et que vous êtes mon sourire. » Sa réponse était la plus belle qu'il pouvait dire. Et ce n'est à peine une heure après qu'il s'éteignit. J'ai vu mon père mourir... Je l'ai accompagné vers ce voyage long et interminable. Mais une chose est sûre, c'est qu'il s'en est allé heureux. Il s'est battu pendant plus de deux ans, en gardant toujours cette joie de vivre. Alors aujourd'hui, je garde l'image d'un homme heureux, qui a aimé vivre sa vie.
*****************************************************« Maman, faut que tu sortes un peu. Je n'aime pas te voir ainsi. » Ma mère ne vivait plus. Elle passait ses journées enfermées avec pour seule compagnie de l'alcool et des cigarettes. C'est la mort de mon père qui avait déclenché ce comportement. Elle avait abandonné sa carrière dans le show-biz, avait abandonné ses sorties entre amies, avait abandonné son rôle de mère. Elle avait abandonné sa vie. Elle se laissait mourir à petit feu, n'attendant plus rien de la vie, me rejetant moi sa propre fille.
« Fiche moi la paix Lilly. » Elle n'appréciait plus ma compagnie. Elle préférait passer ses journées ivre d'alcool, ivre de douleur, les poumons étouffés par les cigarettes qu'elle enchainait les unes après les autres. En partant, mon père avait laissé derrière lui une tonne de dettes impayées, et forcément, c'était à ma mère de les régler. Au début, on ne s'inquiétait pas, on était suffisamment riche pour tout payer sans soucis, mais les dettes semblaient interminables, jusqu'à rendre notre situation financière plus difficile. Nous n'avons plus de richesse, surtout avec ma mère qui était maintenant au chômage officiel.
« Y'a pas que toi qui souffre dans toute cette histoire. Moi aussi j'ai mal, mal qu'il ne soit plus avec nous aujourd'hui. Mais ca fait quatre ans aujourd'hui. Y'a un moment où il faut se relever. J'pensais que cette épreuve on allait la surmonter à deux, mais non tu préfères boire et fumer à longueur de journée. En fait ce n'est pas qu'un père que j'ai perdu, mais aussi une mère. » Ca me faisait du mal de lui dire tout ça, mais je n'avais pas le choix. J'espérais que ces paroles la feront réagir, la boosteront à reprendre sa vie en main. Mais elle ne disait rien. Pas un regard, pas une émotion. Elle ne faisait que prendre une bouffée de plus sur sa cigarette, fixant un point dans la maison.
« J'aurais voulu que tu sois là pour moi durant ce moment difficile. J'ai du surmonter tout ça toute seule, continuer à avancer, chose que toi tu n'as même pas essayé de faire. Est-ce que tu sais que j'ai 18 ans aujourd'hui? J'suppose que non vu que tu n'as même pas pris la peine de ma le souhaiter, ou même d'y penser. Je déteste ce que tu es devenue maman. Je suis sur que papa aussi déteste te voir ainsi. » Elle s'était levée, me donnant une gifle. Je ne bougea pas un instant, n'en revenant pas de ce qu'elle venait de faire. J'étais figée, choquée, abasourdie, brisée. J'avais effectivement eu une réaction de sa part, mais surement pas celle que j'aurais voulu.
« De quel droit oses-tu me parler sur ce ton? Sors de cette maison! » Des larmes coulaient le long de mes joues. Je n'en revenais pas qu'elle venait de me gifler. J'avais eu besoin de vider mon sac, lui faire comprendre cette douleur atroce que j'avais en moi par sa faute. Je n'avais pas que mal de la mort de mon père, j'avais mal aussi de la voir ainsi.
« TOUT DE SUITE! » Elle était furieuse, me lançant un regard foudroyant. Je voyais la haine qu'elle avait dans ses yeux. Je ne la reconnaissais plus. J'avais devant moi une femme inconnue, et ce depuis que papa est parti.. Elle qui avait été mon modèle durant mes 14 premières années, voilà qu'aujourd'hui elle était devenue ce que je détestais le plus. Je tourna les talons, monta dans ma chambre à toute vitesse pour faire mon sac. Je redescendis aussi vite les escaliers, regarda un instant ma mère qui était retournée à ses occupations d'alcoolique, et claqua la porte. Ce jour était la dernière fois que je l'avais vue. Je venais de me faire mettre dehors par ma propre mère, allant me réfugier chez de la famille qui habitait plus loin. J'étais en âge de me débrouiller seule, je le faisais depuis mes 14 ans, depuis la mort de mon père, alors ce n'était pas maintenant que ça allait changé quelque chose. Je pris alors ma vie en main, décidant de vivre loin d'ici, le plus loin possible de celle qui était censée être ma mère. Ma destination s'était orientée vers les Etats-Unis, faisant un circuit, allant de ville en ville. Je ne partais pas sans rien, j'avais des projets dont celui d'intégrer Harvard dans l'année qui suivait (de mes 19 ans en bref) pour me lancer dans des études de stylisme.