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Parce que certains soirs, il n’y avait plus d’autre chemin. Lever les yeux au ciel n’était pas suffisant, il aurait fallu les atteindre, aller caresser les étoiles, écouter le champ céleste du ballet nocturne, se laisser porter par la gravité, errer – jusqu’à ne plus rien savoir, jusqu’à ne plus faire qu’être vivant. Un corps vivant à l’abandon, la poitrine respirant, retrouver une force niée. Mais le ciel se dérobait sans cesse à ses essais, et Charlie n’avait plus qu’à regarder la terre ; alors il était l’heure où chacun se cloîtrait chez soi tandis qu’elle peinait à fermer la porte de sa chambre. Elle avait toujours eu de la détestation pour le sommeil, et abhorrait l’heure du coucher. De tous temps, il avait fallu combattre pour la mettre au lit. Perte de temps, crachait-elle. Hurlait-elle ensuite au décès de sa mère. Pas assez de temps dans la vie pour se permettre de dormir, jetait-elle aux visages. Ce soir, alors que des maux récents entamaient sa joie pérenne, dévoilaient d’anciennes failles jaillies du passé, elle se refusait tout endormissement – craignait les rêves et cauchemars, en vérité. Ne pas dormir pour éviter de se faire piéger par son inconscient.
Aussi courut-elle. Laissa derrière elle sa chambre à la Lowell, laissa la Lowell et tout le campus, et se mit-elle à courir dans les rues de Cambridge, à courir pour ne pas penser, à courir pour s’essouffler. S’arrêter, le corps tremblant, les lèvres riant. Elle ferma furtivement les yeux, releva sa tête. À quelques mètres d’elle, des joies éclataient dans la nuit. L’Irlandaise laissa son visage sourire un peu. Le Bukowski Tavern. Un pub qui lui rappelait sa terre natale, l’ambiance n’y était pas très différente. Naturellement, ses pieds l’y conduisirent. Pour distraire les tourments, elle n’avait besoin que de sourires et de rires, de gens portés par la chaleur d’un bonheur, aussi infime soit-il, aussi éphémère puisse-t-il être. Rien qu’un peu de bonheur, pour contrarier ses chagrins.
Elle poussa la porte, ne s’embarrassant pas d’arranger sa crinière rousse toute échevelée, se sentant un peu comme à la maison, ici. Charlie s’apprêtait à s’asseoir n’importe où, quand elle aperçut au loin une tête connue. La harpiste eut un léger sourire. Monsieur Allywan. Nouveau professeur de musique à Harvard, elle l’avait aidé à trouver son chemin en début d’année mais n’avait pas eu l’occasion d’aller lui parler ensuite. Parce qu’elle était d’un naturel à parler à quiconque, parce qu’elle se souciait peu des formalités, parce qu’elle était familière avec n’importe qui, parce qu’elle ne s’inquiétait pas des hiérarchies, parce qu’elle était d’un caractère terriblement social – ou parce qu’elle avait besoin de compagnie, plus que d’ordinaire ce soir, Charlie s’avança jusqu’à la place où s’était installé Rowan Allywan.
« Bonsoir monsieur Allywan. » le salua-t-elle tout d’abord. « Comment allez-vous ? Vous vous habituez à Harvard ? » l'interrogea-t-elle avec un sourire.
Elle était un peu moins sujette à son éternelle agitation ce soir. La perte de son amie Reaghan, et le fait que son professeur de théâtre et l’un de ses meilleurs amis aient quitté Harvard avaient quelque peu terni son enthousiasme étouffant et fatigant, et permettaient à la Lowell de faire preuve de calme et de tenue. Mais il suffisait d’un éclat de joie pour qu’elle se laisse gagner par sa folie – faire rire pour rire elle-même, rire toujours plus fort pour faire taire ses déplaisirs, tel était son leitmotiv depuis l’enfance.
La rousse s’installa près du professeur, sans s’inquiéter de savoir s’il était accompagné ou si elle le dérangeait. Sa familiarité ne lui échappait jamais, elle ne perdait pas toute son aisance en un simple changement d’humeur.
Aussi courut-elle. Laissa derrière elle sa chambre à la Lowell, laissa la Lowell et tout le campus, et se mit-elle à courir dans les rues de Cambridge, à courir pour ne pas penser, à courir pour s’essouffler. S’arrêter, le corps tremblant, les lèvres riant. Elle ferma furtivement les yeux, releva sa tête. À quelques mètres d’elle, des joies éclataient dans la nuit. L’Irlandaise laissa son visage sourire un peu. Le Bukowski Tavern. Un pub qui lui rappelait sa terre natale, l’ambiance n’y était pas très différente. Naturellement, ses pieds l’y conduisirent. Pour distraire les tourments, elle n’avait besoin que de sourires et de rires, de gens portés par la chaleur d’un bonheur, aussi infime soit-il, aussi éphémère puisse-t-il être. Rien qu’un peu de bonheur, pour contrarier ses chagrins.
Elle poussa la porte, ne s’embarrassant pas d’arranger sa crinière rousse toute échevelée, se sentant un peu comme à la maison, ici. Charlie s’apprêtait à s’asseoir n’importe où, quand elle aperçut au loin une tête connue. La harpiste eut un léger sourire. Monsieur Allywan. Nouveau professeur de musique à Harvard, elle l’avait aidé à trouver son chemin en début d’année mais n’avait pas eu l’occasion d’aller lui parler ensuite. Parce qu’elle était d’un naturel à parler à quiconque, parce qu’elle se souciait peu des formalités, parce qu’elle était familière avec n’importe qui, parce qu’elle ne s’inquiétait pas des hiérarchies, parce qu’elle était d’un caractère terriblement social – ou parce qu’elle avait besoin de compagnie, plus que d’ordinaire ce soir, Charlie s’avança jusqu’à la place où s’était installé Rowan Allywan.
« Bonsoir monsieur Allywan. » le salua-t-elle tout d’abord. « Comment allez-vous ? Vous vous habituez à Harvard ? » l'interrogea-t-elle avec un sourire.
Elle était un peu moins sujette à son éternelle agitation ce soir. La perte de son amie Reaghan, et le fait que son professeur de théâtre et l’un de ses meilleurs amis aient quitté Harvard avaient quelque peu terni son enthousiasme étouffant et fatigant, et permettaient à la Lowell de faire preuve de calme et de tenue. Mais il suffisait d’un éclat de joie pour qu’elle se laisse gagner par sa folie – faire rire pour rire elle-même, rire toujours plus fort pour faire taire ses déplaisirs, tel était son leitmotiv depuis l’enfance.
La rousse s’installa près du professeur, sans s’inquiéter de savoir s’il était accompagné ou si elle le dérangeait. Sa familiarité ne lui échappait jamais, elle ne perdait pas toute son aisance en un simple changement d’humeur.
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