Ce doux rêve dans lequel je m’étais plongé quelques heures auparavant commençait doucement à disparaître. Je ne voulais pas, je voulais rester avec elles. Pourquoi ? Voilà la question que je me posais depuis tellement longtemps. Pourquoi devais-je subir toutes ces souffrances, toutes ces incompréhensions ? Je voulais rester avec ma sœur, je voulais rester avec Cora, mais on m’en avait empêché. Elles étaient pourtant toutes les deux là, m’accueillant les bras ouverts. Je voulais courir vers elles, leur dire à quel point la vie semblait insignifiante seule, sans mes sœurs à mes côtés. Je n’avais plus rien, je n’étais déjà plus rien… On me prenait tout, mes meilleures amies, mes sœurs, mes amours. La vie était injuste et j’avais décidé de mettre fin à mes jours peu après les funérailles de ma meilleure amie. Un accident de voiture, il ne fallu qu’un petit accident pour voir ma vie se briser une seconde fois. Je n’avais pas pu le supporter et voilà que maintenant, je me retrouvais à l’hôpital. Je lui en voulais, à Andy, de m’avoir sauvé. Ma vie était assez misérable comme ça, ne pouvait-il tout simplement pas me laisser aller ? J’en avais besoin…

Doucement, j’ouvrais mes yeux. La lumière m’aveuglant prouvait que j’étais sortie de mon rêve, que j’étais à nouveau dans la réalité. Et je restais là, couchée, sans bouger. J’avais l’impression d’être dans le même état que la dernière fois. J’étais retournée à 6 mois auparavant, où mes parents m’avaient fermés dans cet hôpital… J’étais à nouveau dans un état déplorable, mais cette fois-ci, avec quelqu’un à mes côtés… Quelqu’un que je ne voulais pas voir.

Je ne voulais pas lui parler, je ne voulais même pas le voir. Pourquoi a-t-il fallu qu’il me retrouve ? Pourquoi a-t-il fallu qu’il rentre aussi tôt ? S’il avait laissé passé quelques minutes de plus, j’aurais enfin pu me retrouver libérée de toute cette douleur qui me rongeait de plus en plus. Mais non, il s’obstinait à venir me voir tous les jours. D’un côté, ça me rassurait de ne pas me savoir seule, mais d’un autre, je ne pouvais m’empêcher de ressentir de la colère à son égard. Parce qu’il n’avait pas voulu me laisser partir, parce qu’il avait décidé de me gâcher la vie encore une fois, comme si le fait que nous étions fiancés ne lui suffisait pas. Depuis cette soirée de la saint-valentin, nous ne nous étions plus revus seuls à seuls, jusqu’à ce que j’ouvre les yeux le lendemain de ma tentative. Sa voix avait été le premier bruit qui m’était parvenu à mes oreilles, et ses yeux, les premières choses que j’avais vu.

« Comment tu te sens ? » Doucement, je tournais mon visage vers lui, les yeux vides, avant de reprendre ma position initiale, tel un pantin. Comment est-ce que je me sentais ? Vide, tout simplement… J’avais l’impression d’avoir à nouveau tout perdu, j’avais l’impression d’être retombée dans cet état de léthargie qui m’avait accompagné durant les 6 mois après les funérailles de ma jumelle. Retour en arrière… Tout était en train de recommencer. Et sans m’en rendre compte, des perles se mirent à couler sur mes joues.

Pourquoi ? Pourquoi avait-elle péri ? Pourquoi m’avaient-elles toutes les deux abandonnées ? Pourquoi Cora et non pas Apple ? J’étais sans doute horrible de penser ainsi, mais j’aurai préféré mille fois savoir Cora blessée qu’enterrée sous terre… J’aurais préféré qu’Apple soit à sa place dans ce cercueil. Mais la vie était injuste, le destin en avait décidé autrement et un ange est partie rejoindre les cieux. Des doigts se posèrent sur mes joues, essuyant mes larmes qui coulaient. J’avais envie de me dégager, j’avais envie de le frapper, mais je n’en avais pas la force. Je n’arrivais même plus à bouger… Ou peut-être que je ne voulais tout simplement pas faire ne serait-ce qu’un mouvement, pour montrer que j’étais bien vivante. Mais, l’étais-je ? Moi-même, j’en doutais. Oui, je respirais ; oui mon cœur battait encore ; oui mon cerveau fonctionnait ; mais mon âme elle, s’était envolée en même temps que celle de Cora. Ce reste d’âme qui faisait celle que j’étais après le suicide de ma jumelle. C’est beau ça, la famille… Les deux filles Ravenswood qui meurent de leur propre volonté. Je ne l’étais pas encore, mais je savais que je le serais, un jour…

« Je t’ai apporté des chocolats. Tu les mangeras quand t’en auras envie. » Mon visage se tourna à nouveau vers lui. Du chocolat ? Je semblais alors réagir légèrement et pour la première fois depuis quelques jours, j’ouvrais la bouche. « Tu peux les garder ou les jeter, je n’en veux pas. » Voilà un bon début. Ma voix n’exprimait aucune hostilité, juste de l’indifférence. L’indifférence, le sentiment le plus craint de l’être humain. Peu importe toute la colère, toute la joie, toute la tristesse, il valait mieux exprimer ce qu’on ressentait que de tout garder. Et c’est ce que je faisais en ce moment même. Je gardais toute ma rancœur.