19 ANS, CAMBRIDGE, DEBUT JUILLET ▶ J'avais perdu le fil de la conversation, en admettant que je sois d'humeur à la suivre. Une énième dispute entre maman et Gaïa. Est-ce que seulement ça leur arrivait maintenant d'avoir une conversation normale, ou ni l'une ni l'autre ne se sentait obliger de monter le ton ? Je ne voulais pas intervenir, me contentant de mâcher mon repas en masquant l'agacement que suscitait chez moi cette situation désagréable à souhait. Gaïa me fatiguait. Que ce soit clair, je l'aimais plus que tout, ma jumelle, l'autre moitié de moi, mais elle était chiante et ces temps-ci, on se disputait plus que je ne m'étais jamais disputé avec elle. Je trouvais qu'elle en faisait des tonnes. Quand est-ce qu'elle était devenue cette fille pointilleuse à mort, avec sa moue blasée et son besoin de remettre en question tout ce qui sortait de la bouche de notre mère ? Pourquoi elle se sentait obliger de tirer sans arrêt l'attention vers elle ? Je souffrais pas vraiment de ça, mais ça avait tendance à m'ennuyer sérieux.
Le moment actuel en était un parfait exemple : j'avais pas la moindre occasion de caser un mot. C'est vrai que c'était tellement plus sympas de s'engueuler autour d'un bon repas. Pour autant, je ne relevais pas. Ce n'était pas dans mon caractère : je me laissais un peu marcher sur les pieds. Pas par tout le monde, mais par Gaïa, dans ce genre de moments, oui. Sans doute car je la trouvais bizarre et au cours d'une de nos disputes, je l'avais sentit vraiment énervée, énervée de me supporter moi. A croire que je faisais quelque chose de mal. Peut-être qu'elle pensait ce que je pensais moi-même vis-à-vis d'elle : que je m'évertuais à accaparer l'attention des parents. C'était tellement pas le cas. Non, je ne voulais pas d'attention, du moins je ne voulais pas prendre celle que ma soeur suscitait, mais c'est vrai que je me surprenais à me réjouir quand j'avais l'occasion de passer un moment seul avec maman, sans qu'elle soit-là. L'atmosphère était moins tendue. Et bien oui : je n'avais pas trop fait ma crise d'adolescence et j'estimais avoir encore de bons rapports avec ma mère, encore plus en comparaison à celle mère-fille entre elle et Gaïa. Je m'en voulais de me réjouir de l'absence de Gaïa, car je l'adorais, en dépit de tous les défauts que je pouvais lui trouver. Mais voilà, j'avais envie d'être égoïste en ce moment. Même si je me sentais bébé d'être comme ça à dix-neuf ans, j'avais envie de profiter d'être avec ma mère. Je n'avais pas envie qu'elle me câline et m'embrasse à longueur de journées, j'étais pas en décalage à ce point avec tous les autres garçons de l'univers, mais disons que je redoutais furieusement l'avenir et que j'aimais bien m'accrocher au présent. Donc, quand le présent consistait en un énième repas du soir sous tension avec maman et Gaïa, ça me foutait vraiment les boules. Je n'avais pas envie de ça et j'en voulais à Gaïa de tout gâcher comme ça. Oui, elle me gâchait mon moment, même si forcément, elle me connaissait assez pour le savoir quand je mentais, mais en revanche, elle était pas capable de le lire sur mon visage quand j'avais juste vraiment très envie qu'elle la ferme.
L'année scolaire était terminée, on partait pour l'Italie dès demain, comme tous les ans depuis aussi loin que j'étais capable de m'en souvenir. Papa serait là demain. J'avais une espèce de boule au ventre qui ne voulait plus se défaire depuis quelques heures. C'était l'effet que me faisait la présence de mon père depuis un moment. Je l'aimais, pas de soucis et j'avais pas une relation aussi orageuse avec lui que maman et Gaïa. Non, j'étais anxieux pour d'autres raisons. Je savais pas mal de détails sur mes parents : je savais qu'ils avaient étudiés à Harvard, que Gaïa et moi, nous étions arrivés par accident et que la naissance, ça avait pas été facile. Je savais aussi que papa et maman avaient des vies différentes. D'ou ce changement de monde que me faisait le fait de venir en Italie tous les ans : la vie de tous les jours avec maman était simple et c'était ma routine. Je me sentais bien. J'étais pas malheureux avec papa, mais c'était différent. La famille de mon père, c'était quelque chose : une famille royale, si si. J'étais prince, Gaïa princesse, papa et bien bientôt roi. Et c'était bizarre. Encore plus de penser que je succéderais à mon père. Voilà de quoi était faite cette boule de plomb dans mon bide. Je n'étais pas amoureux de mon titre princier, ni du fait de passer du temps avec papa pour m'apprendre à assumer les responsabilités que j'aurais plus tard. J'aimais pas ça. Je ne voulais pas de ça. Allez l'expliquer à mon père. Enfin, de toute façon je n'avais pas le choix. Ca bousillerait sans doute ma relation avec mon père et c'était précisément ce que je voulais éviter. Bref, j'étais heureux de le revoir dans quelques heures, mais pas heureux à l'idée d'aller en Italie. J'avais de bons souvenirs là-bas, mais à l'époque j'étais plus petit et je réfléchissais pas, pas au futur. J'aurais préféré rester avec maman cet été. Bosser un peu mes cours, avoir une vie plus cool et surtout, surtout, ne pas avoir à m'angoisser pour l'avenir. Ahah. Malheureusement, je serais en Italie demain, que je le veuilles ou non. Je vais me coucher, je suis fatigué. Lâchais-je brusquement, les coupant dans leur conversation. Gaïa me lança un regard étonné. Et bien oui, il devait être huit heure trente à tout casser. Je m'étais pas couché tôt à ce point depuis mes dix ans. Déjà ? Argua ma mère, en écho à la tête de ma soeur. J'acquiesça. La journée de demain allait être longue après tout et j'avais jamais été un très grand fan de l'avion. J'étais malade en général. Pauvre petit prince. Ma mère m'embrassa sur le front et j'alla ranger mes couverts avant de rejoindre ma chambre sans demander mon reste. Je m'estima heureux d'avoir pris une douche avant le repas, sachant d'or et déjà que j'aurais strictement pas la tête à sortir ce soir.
Je me laissa tomber sur mon lit, au bord de la crise de nerfs. L'été, c'était pas sensé être la période ou j'aurais dut être trop heureux ? Promis, je n'avais jamais été du genre Caliméro, à ruminer et réciter mes malheurs à tout le monde, mais je n'étais juste vraiment pas désireux de partir. Et c'était pas sympas, même si c'était pas personnel. Qu'est-ce que j'aurais pas donné pour que Gaïa ai été la première à sortir du ventre de maman.