Allongé sur mon lit, j’observais le plafond comme si c’était la plus merveilleuse, la plus magnifique des œuvres d’art mais mon cœur resta sec. Je fermais les yeux, tentant de reprendre une respiration normale mais je n’y arrivais pas. Je venais de faire un nouveau cauchemar où Mary m’appelait au secours seulement j’avais beau courir le plus vite que je pouvais, je n’arrivais pas à l’atteindre et la bombe explosait, me réveillant en nage et en sursaut. Je ne supportais plus ses nuits, je ne voulais plus les subir mais elles restaient intransigeantes avec moi, me capturant, m’attachant à elles comme si la mort de celle que j’aimais n’avait pas été déjà suffisante. Mon cœur était en morceau et je craignais également pour mon année universitaire. En désespoir de cause, je me relevais, m’asseyant sur mon lit en prenant ma tête dans mes mains. J’étais fatigué, sur les nerfs depuis des jours et des jours si bien qu’un rien me faisait perdre mon calme pourtant si légendaire. Je me levais, faisant quelques pas jusqu’à m’asseoir sur la chaise devant mon ordinateur portable, regardant l’écran s’allumer. Je sentais l’insomnie poindre et une nouvelle fois, j’allais me torturer en regardant nos photos et autres vidéos mais à peine l’écran se fixa sur le bureau que je vis l’icône de Skype s’orner d’un joli rond orangé attestant qu’un de mes contacts m’envoyait un message. C’était mon grand-frère. « Tu n’es pas couché. » « Quelle fine observation. » « Les parents s’inquiètent pour toi. Mère m’a dit que tu ne dansais plus. Idiotie. Mary voudrait que tu danses encore et encore. » « Elle est morte. Je crois que tu es présomptueux de parler en son nom » « Il faut bien que quelqu’un le fasse puisque tu restes vautré dans tes regrets au lieu d’honorer à la fois sa mémoire mais aussi la danseuse exceptionnelle qu’elle était. Tu lui dois bien ça. » « Je suis fatigué. Bonne nuit »
Je soupirais en me déconnectant de la messagerie instantanée. Je n’avais pas envie de danser, je ne voulais pas tenir une autre femme qu’elle dans mes bras. Mon frère savait ce qu’il me demandait et je ne pouvais pas accepter cela. Danser était la seule façon que j’avais de me livrer corps et âme sans concession d’aucune sorte. C’était un peu comme me mettre à nu et j’avais besoin d’être en confiance, de me sentir à la fois soutenu mais également transporté. Je ne pouvais danser avec une autre femme que Mary surtout pour des concours. Ma mère ne comprenait pas car malgré tout l’amour qu’elle portait pour la danse, elle n’avait jamais eu ce rapport presque charnel que je ressentais pour cet Art. Elle était mon amante de toujours, ma confidente, ma raison de vivre. Je n’avais jamais ressenti cela pour personne avant de rencontrer Mary et désormais, elle n’était plus là. Je me sentais comme un orphelin si bien que je songeais réellement à reprendre le flambeau de mon père quitte à renoncer à mes rêves. Néanmoins, le danseur en moi se révoltait de plus belle. La danse me manquait atrocement et comme toutes les nuits, je m’habillais pour aller faire un jogging nocturne, glissant mes écouteurs dans les oreilles car la musique continuait d’être le moteur de mon existence.
Durant plus d’une heure je courrais sans but précis, tournant autour du campus sans vouloir m’arrêter, purgent mon esprit de toutes mes pensées négatives pour simplement me concentrer sur ma respiration et sur mes muscles qui réclamèrent bientôt grâce. Je m’arrêtais, essoufflé. Un seul regard me suffit pour comprendre que je me trouvais devant le studio de danse où nous avions l’habitude de nous entrainer tous les deux. Inconsciemment, je m’étais dirigé vers le seul endroit où je me sentais bien et c’est presque naturellement que je sortis mon trousseau de clé pour en ouvrir la porte. Je remontais le couloir, grimpant les marches l’une après l’autre sans précipitation avant de me rendre dans la salle Astaire. J’allumais les lumières, observant la pièce vide, effleurant la barre de danse accrochée aux miroirs. Doucement, je reprenais mes marques, essayant de rentrer à nouveau dans cette ambiance si spéciale. A ce moment précis, une musique se joua dans mes écouteurs et mon corps commença doucement à bouger. Mouvement après mouvement, pas après pas, je recommençais lentement à danser avant que la musique n’atteigne son apogée et que j’entrais bien plus furieusement dans le rythme, fermant les yeux pour savourer cette sensation. Je ressentais enfin, mon cœur rebattait et l’impression de revivre me submergea si bien qu’une fois que la musique s’arrêta, je restais de longues minutes à m’observer dans le miroir avant de continuer à danser jusqu’à l’aube où je rentrais épuisé mais comblé.
« Allez Caleb, sois sérieux un peu, je filme pour mon exposé alors tu pourrais faire un effort » bouda une voix féminine sur l’enregistrement vidéo tandis qu’un homme continuait de faire le pitre pour l’amuser et la faire rire. Pause. L’image se fixa alors sur le visage souriant de la jolie blonde aux yeux bleus. Mary. Ma Mary. Je me souvenais encore de cette journée où elle avait besoin que je joue les cobayes pour son doctorat à en sociologie. Mon doigt appuya sur la barre d’espace et le film reprit. « D’accord, qu’est-ce que tu veux que je fasse ou dise ? » m’entendis-je prononcer tandis que je venais m’asseoir bien en face de l’objectif. « Eh bien dans un premier temps, présentes-toi » m’avait-elle invité de sa charmante et douce voix. A l’image, je me vis grogner et soupirer. Je n’avais jamais aimé parler de moi alors le faire devant une caméra, c’était tout bonnement impensable. « Je m’appelle Caleb Tobias Weyss, je suis originaire d’Allemagne. Mes parents appartiennent à la scène politique et artistique de mon pays puisque je suis le fils d’un ambassadeur et d’une danseuse titrée. J’ai un frère aîné ainsi qu’une petite sœur » avais-je débité ce jour-là avant d’hausser les épaules, signe que je peinais à trouver les mots justes. Je n’avais jamais été un homme bavard. « Depuis quand es-tu aux Etats-Unis ? » m’avait-elle demandé alors. « Cela va faire douze ans dans deux mois. Mon père a été nommé ambassadeur à Washington et nous avons déménagé pour le suivre puis, récemment, il a été affecté à l’ambassade de New York. Mon frère est reparti, il y a deux ans en Allemagne. Il appartient au cabinet de la chancelière et ma petite sœur étudie à Yale avais-je répondu. Dans ma famille, nous n’avions que deux mots à la bouche : pouvoir et danse. Inutile de dire que le premier s’apparentait à mon père et le second à ma mère. Anya était la seule à avoir cassé la tradition en choisissant médecine mais mes parents ne lui en avaient jamais tenu rigueur. Nos rapports étaient certes assez distants mais nous étions néanmoins une famille unie et chacun était libre de choisir sa voie. En ce sens, on peut dire que oui, j’aimais ma famille bien qu’elle pouvait se montrer intrusive par endroit. « D’accord. Et pourquoi as-tu choisi choisis histoire de l’Art et danse comme cursus ? » avait-elle enchainé. « J’ai toujours été passionné par les Arts ainsi que par la danse et j’espère lorsque ma carrière de danseur professionnel prendra fin, travailler dans un musée et pourquoi pas, devenir conservateur »
J’éteignais la vidéo. Je ne sais pas ce qui m’avait pris de la regarder. Peut-être avais-je peur de l’oublier, de ne plus me rappeler de sa voix, de son sourire, de ses adorables fossettes quand elle riait quoiqu’il en soit, mon frère avait raison. Je devais me ressaisir surtout qu’il s’agissait de ma dernière année à Harvard. Je ne pouvais pas échouer si près du but. Alors, je me décidais pour archiver les photos et autres souvenirs de Mary dans un dossier de mon disque dur. Je devais aller de l’avant pour elle mais aussi pour moi car cette université après m’avoir tout pris, pouvait encore tout me donner. Je voulais croire en cela.