Mon premier réel et précis souvenir remonte à l’âge de six ans. Je suis en plein milieux d'un cours de français. Il fait chaud. La fenêtre est ouverte, laissant entrer un faible et doux courant d'air qui s'en va taquiner la longue chevelure blonde de mademoiselle Delmas. Devant mes yeux, ma table, et sur cette table une feuille. Il y a quelque chose dessus. La maîtresse, de sa voie claire, tente de dissiper les dernières zones d'ombres. "Quand tu te réveilles, à quel est la première pensée qui te traverse la tête? Quand tu te couches, quelle est la dernière chose à laquelle tu penses?"
Ce souvenir m'est revenu alors que je faisais mes cartons, me préparant pour ce qui allait être un nouveau départ. Et alors que je me retrouvais avec ce devoir dans la main, je tentais de répondre à la question. A l'époque, j'avais inscrit, dans une écriture tremblotante : "Quand je me lève, je pense à tous ceux que je pourrais faire sourire. Quand je me couche, je pense au fait que je ne serais jamais seul." Est-ce que c'est encore le cas aujourd'hui? Oui, je veux faire apparaître un sourire sur les visages que je croise qui sont important pour moi. Mais est-ce que moi, je suis heureux? Je souris peut-être, mais c'est sans doute une façade. A l'intérieur, petit à petit, je m'effondre. Mais quand je me couche, c'est surement le moment le plus douloureux, car c'est en cet instant que je comprends que je me mens, que je suis seul.
Je ne suis pas défaitiste, bien loin de là. Je dirais juste que le sort à quelque peu tendance à s'acharner sur moi en ce moment, et de manière plutôt violente. Et avec ce devoir dans la main, je me rends compte à quel point j'ai été passif ces dernières semaines. Tout ce que j'ai cherché à enfouir, à cacher pour rester fort, pour ne pas sombrer. Mais maintenant, je me rends compte de certaines choses. Je me rappelle de cet attentat, de ces larmes qui coulent sur le visage de mon père, ces larmes qui ne sont pas pour moi. Nous a-t-il jamais réellement aimé? Oui je sais, c'est dur à dire, mais je dois dire que je doute. Je doute depuis que je l'ai vu, celle qui a amené le trouble dans notre vie, celle qui a réussi à déchirer ma famille, Satyana
Mais est-ce que j'ai vraiment le droit de me plaindre? Mes soucis me paraissent tout petits à côté de sa vie. Je veux dire, regardez, je suis né dans une ville magnifique, Paris, dans une famille qui s’évertue à envahir chaque foyer de bonheur, de joie et d'espoir. Je suis né dans le bon endroit. Est-ce que j'ai été un gamin compliqué, difficile? Nan, juste un gamin comme tous les autres, heureux d'être entouré par ces amis, de véritables amis. Pas juste des mouches attiré par un nom de famille accrocheur. Car oui, même si j'ai un nom plutôt célèbre, je n'en fais pas étalage. Je veux que les gens me remarquent pour ce que je suis, pas pour ce que représente ma famille. Tout cela pour en venir à un point très particulier. Je n'ai pas à me plaindre, je n'en ai pas le droit. J'ai toujours fait de mon mieux, je suis bosseur, ma famille m'as procuré tout ce dont j'avais besoin. J'étais positif. J'étais ce gamin aux yeux curieux, ce gamin qui peut rester assis dans une forêt pendant des heures sans s'ennuyer, découvrant de nouvelles choses incroyables à chaque fois que ces yeux se posent sur un nouvel endroit. Mais ce garçon n'est plus, car la réalité est venue lui foutre une baffe. Cette réalité à un nom. C'est Satyana.
Il y a dans le monde une seul personne en laquelle j'ai vraiment confiance. Une personne qui me suit depuis la naissance, que je suis depuis que j'ai ouvert les yeux sur ce nouveau monde. Capucine. Ma sœur. Ma sœur jumelle pour être plus précis. Mon roc, celle qui me rappelle d'avoir les pieds sur le sol. C'est elle que je fais le plus souvent sourire. C'est important pour moi. On a eu nos phases un peu bizarre oui comme tous les gosses. On a créé notre propre langue, nos propres jeux, nos propres délires. On a creuser dans notre jardin pour rejoindre Neverland, on a fouillé toutes les armoires en bois sculpté, dans l'espoir de trouver un passage vers Narnia, la veille de nos onze ans, on a attendu pendant des heures le courrier, juste pour savoir si on avait été reçut à Poudlard, et jusqu'à très récemment, on traquait des cabines de police bleu, juste pour vérifier si elles étaient plus grand à l'intérieur. Oui je suis un geek, ma sœur aussi, et on le vis très bien. Du moins, on le vivait très bien. C'est bizarre comme les relations semblent fluctuer selon les situations. Je crois que ça doit faire plus d'un mois que je ne lui ai pas adressé une phrase entière. A aucun membre de ma famille d'ailleurs. Je fais encore mon deuil. Seul, je me noie dans ma peine. Mais je suis en train de construire un mur, juste pour éviter la réalité. Je ne peux vivre comme ça, sans eux, sans Capucine. Mais je ne peux pardonner. Je ne peux lui pardonner, à mon père.
Vous connaissez sans doute ce sentiment profond, celui que l'on a envers certains de nos proches, cette confiance aveugle que l'on a pour les figures que l'on admire. Mais laissez-moi vous comptez une petite histoire. Il était il n'y a pas si longtemps, un jeune homme et sa famille. Ses parents, des personnes très respectés, étaient fidèles aux étiquettes, aux codes de la haute société. Mais le fils lui, rêvait d'une vie d'aventures, de plaisirs et de rêves sans fin. Et c'est dans cette quête sans fin qu'il rencontra une jeune femme. Sa beauté était-elle qu'il en tomba follement amoureux à l'instant même ou ses yeux se posèrent sur sa peau doré par les rayons d'un soleil jaloux de tant d'attention. La vie défilait au ralentit pour ce jeune couple, chaque jour étais un nouveau mystère, ils vivaient, sans soucis, seulement dans les yeux de l'un et l'autre. Mais quelque chose brisa ce doux Eden. Une annonce déchira tout. La femme était enceinte. L'homme, dans sa grande noblesse retrouvé, repris conscience, se réveilla de ce rêve sans fin. D'un seul coup, tout lui revint en tête. Sa noblesse, son rang, sa famille, son devoir. Ni une ni deux, il quitta donc ce paradis pour retourner auprès des siens, laissant la femme dans l'embarras, devant affronter seul le sort qui allait bientôt s'acharner sur elle. Cette histoire, celle de l'homme, est celle de mon père. Il a abandonné son amour par peur, abandonnant son enfant à cause de son immaturité. Et je ne peux pardonner cela. Pourquoi? Car je ne l'ai pas appris de sa bouche.
Mon père est tombé malade. Ce genre de maladie qui vous clous au lit dans d'horribles souffrances. Ce genre de maladie qui nécessite un sacrifice, dans le cas présent, un rein. Et comble de l'humour, comme dans ces vieux contes pourris, aucun de nous n'étaient compatibles. Mais le destin, c'est un marrant lui. Le destin, c'est Satyana. Une jeune américaine, arrivant dans la chambre d'hôpital de mon père, les mains dans les poches de sa veste. L'objet de la honte est enfin là. Tout aurais pu finir bien, la famille enfin réunie, mais ce geste désintéressé, celui de sauver la vie de mon père ne servi à rien, car il mourut tout de même, nous laissant seul, avec cette fille. Ce n'est pas de sa faute, je le sais bien, mais je ne comprends pas. Pourquoi tout lui donner à elle, à nous rien. Je comprends son histoire à elle, tout ce qu'elle a vécue, tout ce qu'elle a dû endurer. Le plus dur en réalité, ce n'est pas elle, mais ce que je vois à travers elle. Mon père. Et cela, c'est trop dur pour moi. Capucine, je sens la colère monter en elle. Et encore plus quand elle a compris ou étudier Satyana. La vengeance brille dans ses yeux. Je ne sais plus ou j'en suis. Le dernier carton est emballé. Je reste assis par terre, à regarder cette chambre qui a été mon cocon pendant de très nombreuses années. Par la fenêtre, s'étend Paris. Je sais que partir vers Boston peut être considéré comme un nouveau départ, enfin l'occasion d'être moi. Mais je ne peux pardonner, je ne peux pas. Mon père est mort dans la douleur et la honte. Je ne peux lui pardonner ce qu'il a fait.